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Quelque chose dans l’ambiance et l’apparence générale du quartier semblait s’être détérioré.
Il y a quelques mois, je me promenais aux alentours du métro Beaudry avec une amie. Je lui expliquais que j’avais eu un choc la première fois que j’avais remis les pieds dans le Village après quelques années. Quelque chose dans l’ambiance et l’apparence générale du quartier semblait s’être détérioré.
Visiblement, je ne suis pas la seule à avoir eu un tel sentiment.
Récemment, une pétition a été lancée par des résidents et commerçants du quartier. Cumulant près de 250 signatures au moment où j’écris ces lignes, elle exige à l’administration Plante d’en faire plus pour lutter contre l’insécurité croissante qui serait attribuable à «l’itinérance, les comportements perturbateurs et les incidents violents». On y déplore la détérioration de la qualité de vie et la menace que tout ceci représente pour le bien-être de la communauté.
Déjà, il y a un an, la Ville de Montréal a voulu répondre aux doléances des résidents et des commerçants en lançant la Stratégie d’intervention collective pour le Village. La Stratégie, qui se décline en trois champs d’intervention, a pour objectif d’accroître l’accompagnement des personnes vulnérables et de soutenir la vocation communautaire du quartier tout en misant sur l’entrepreneuriat comme lever social. La vision ultime est d’arriver à restaurer une quiétude et un milieu de vie accueillant tout en créant des ponts entre les communautés.
Lors de son lancement, la Stratégie avait reçu un accueil tiède de la part des acteurs clés du milieu. À l’époque, plusieurs entrepreneurs avaient même menacé de plier bagage et de fermer boutique.
Force est de constater qu’elle ne va pas assez loin pour eux.
Lorsque l’on parle de « sécurité publique », plusieurs choses se confondent. Cette subtilité m’apparaît plus facile à expliquer en anglais.
La sécurité (security) réfère à la surveillance notamment par la police et les agents de sécurité dans le but de protéger… les institutions. Lorsque l’on parle des communautés queers et des populations marginalisées de façon générale, ces agents de l’État suscitent la méfiance.
Souvenez-vous des émeutes de Stonewall à la fin des années 60 aux États-Unis, aujourd’hui considérées comme le catalyseur du mouvement LGBTQ+. À cet égard, le Québec n’est pas en reste. Entre 1975 jusqu’au début des années 2000, Montréal a été le théâtre de plusieurs décentes policières où gais et lesbiennes ont subi répression et violence de la part des autorités.
Je dresse un lien entre la sûreté (safety) et les déterminants sociaux de la santé, soit l’ensemble des facteurs qui favorisent l’épanouissement des individus, des familles et des collectivités. Vous savez, des « petits trucs » comme avoir un revenu et des conditions de travail décentes, un accès aisé aux soins de santé physique et mentale, un système d’éducation solide, grandir dans un foyer rempli d’amour et de bienveillance et j’en passe. Ici, ce sont les personnes que l’on protège.
Lorsque l’on valorise quelque chose, on en fait une priorité.
Tout ceci me rappelle une réflexion que nombre de chercheurs en sciences sociales se font à la blague, soit que pour une raison «obscure», les bâtiments les plus beaux de nos campus universitaires sont souvent ceux des facultés de médecine, droit et business.
Toutte est dans toutte.
Il est impossible de dissocier la situation au Village de la crise du logement, de l’itinérance et de la détérioration de notre filet social. C’est sans parler de la haine croissante envers les personnes trans en Amérique du Nord.
Par ailleurs, je ne comprends pas la pertinence de démanteler des campements, ces camps de réfugiés urbains, à répétition.
Je sais que les choses peuvent être compliquées en coulisses de telles décisions.
Mais, où voulez-vous que ces gens qui dorment à la belle étoile aillent?
C’est comme un perpétuel jeu de chat et souris à travers la ville où ces personnes se font chasser d’un point pour aller à un autre… jusqu’au prochain démantèlement.
Quelle est l’utilité (et la légalité) à long terme d’une telle pratique?
Pour améliorer la situation au Village, nous avons aussi besoin du palier provincial. Or, le ministère de la Santé et des Services sociaux se désinvestit de plus en plus de la mission « services sociaux » de son mandat.
L’an dernier, l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec a produit un rapport en collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde, fruit d’une démarche de réflexion sur l’avenir de la profession.
Après une énième réforme, le ministre de la Santé, Christian Dubé, vient d’annoncer la composition du conseil d’administration de Santé Québec, cette agence censée rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace.
Parmi les administrateurs, on retrouve 15 membres aux profils diversifiés sous la présidence de Christiane Germain, coprésidente et cofondatrice des hôtels Le Germain.
Où sont les travailleurs sociaux à la table de discussion?
Malheureusement, derrière ce choix d’ignorer le travail social se cache un mépris à peine voilé envers toute analyse structurelle de ce que nous voyons se déployer sous nos yeux.
Au fond, il s’agit d’une posture politique qui révèle une certaine vision du monde.
Cela fait en sorte que la population finit par en payer les frais.
Comme celle qui essaie de raviver les couleurs du Village, et ce, à bout de bras.
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