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Y a une enfant qui a perdu la vie parce qu’on aménage l’espace urbain en cabochon et que les gens sont rendus tellement impatients au volant qu’ils sont parfois prêts à nous passer sur le corps pour se rendre plus vite à destination.
7 ans, l’âge de mon fils.
Mon fils qui, depuis cette année, se rend à l’école à pied avec les enfants de mon chum, ce qui est tout à fait normal, quand on y pense. Mais pas un matin ne se passe sans que j’y pense: et s’il se faisait frapper?
Même que, le soir, quand je reviens de quelque part et que je croise une ambulance, je me demande: «Et si c’était lui? Et s’il s’était fait happer par une voiture?» Quand ça m’arrive, j’essaie de me ramener à l’ordre le plus vite possible. «Ben non, que je me dis, t’es ben trop mère poule, il y a un brigadier. »
Comme parent, on a tous ces pensées-là. Et hier, quand on a appris la terrible nouvelle, on s’est tous dit que ça pourrait être notre enfant, inerte sur l’asphalte. C’est une pensée terrible. Ça nous nous a hanté toute la journée. On s’est imaginé le pire. On a vu des images. On a lu tous les articles qui en parlaient, une grosse boule dans le ventre. Et le pire là-dedans, c’est qu’il y a une famille qui l’a vécu pour vrai.
Y a une maman qui n’a pas pu serrer sa petite fille dans ses bras au retour de l’école et qui, contrairement à nous, n’a pas pu se consoler en se disant qu’ouf, ça arrive juste aux autres.
C’est vrai, il y a un brigadier avant et après l’école. Le nôtre se pogne d’ailleurs souvent avec des parents qui viennent de déposer leur progéniture à l’école et qui veulent tourner à droite le plus vite possible. Y avait eu un article là-dessus, d’ailleurs, en 2019 dans La Presse.
Les journalistes Tristan Péloquin et Marie-Ève Morasse racontaient avec moult détails à quel point les parents adoptaient des comportements routiers dangereux dès que leurs enfants étaient sortis de l’auto. Comme si tout à coup, les limites de vitesse et la vigilance n’étaient plus de mise parce que «notre enfant est en sécurité à l’intérieur de l’école».
Ce n’est un secret pour personne, il y a beaucoup d’incidents impliquant des piétons et des véhicules autour de zones scolaires. Et si on revient au drame sans nom d’hier, c’est terrible à dire, mais on aurait pu l’éviter. Ça faisait des mois que les citoyens lançaient des cris d’alerte, des semaines qu’on se disait qu’il y aurait un mort. C’est arrivé.
Une petite fille de 7 ans, une réfugiée ukrainienne de surcroît, a perdu la vie à cause d’un aménagement déficient, de voies de contournement mal faites et des comportements excédés des automobilistes. De lire hier que la personne qui l’aurait frappée s’est juste poussée, la laissant-là, gisante sur le bitume, m’a cassée en deux.
Y a une enfant qui a perdu la vie parce qu’on aménage l’espace urbain en cabochon et que les gens sont rendus tellement impatients au volant qu’ils sont parfois prêts à nous passer sur le corps pour se rendre plus vite à destination.
J’ai été sur le conseil de l’établissement de l’école de mes filles longtemps. L’une de nos batailles, c’était justement l’aménagement de saillies et de panneaux d’arrêt aux alentours de l’école afin de sécuriser les environs. Si vous saviez comment ç’a été compliqué de changer les choses.
À la Ville, c’était carrément les douze travaux d’Astérix. Tout le monde se renvoyait la balle, on devait faire une étude de faisabilité et ainsi de suite. On devait faire tout ça alors que les citoyens demandaient à la ville depuis des mois de réaménager l’espace.
Ç’a pris quoi pour que ça se fasse? Une sortie médiatique. C’est plate, mais c’est ça. Pourquoi faut toujours que les médias s’en mêlent et qu’il y ait de possibles pertes au plan politique pour que les politiciens agissent?
Dans le cas de cette petite fille, je le répète, ce n’est pas comme si on tombait des nues. Tout le monde le savait que c’était dangereux. Et la solution, ce n’est certes pas d’empêcher les autos de circuler sur certaines rues. Parce que quand on fait ça, on fait juste déplacer le problème sur d’autres rues. Non, faut aménager les affaires comme du monde et cesser d’avoir de la tolérance pour les morons qui veulent tourner à droite la plus vite possible.
Y a une petite fille de 7 ans qui a été laissée sur le trottoir parce qu’on est une bande d’incapables égocentriques qui veut se rendre plus vite du point A au point B. Elle ne reviendra pas. Pourquoi ça prend toujours des morts pour qu’on remette notre mode de vie en question et nos façons de faire en question?
Je vais paraphraser une vieille pub des années 1990, un panneau qu’on peut encore apercevoir dans certaines rues et ruelles du Québec. Sur l’image, on voit un enfant étendu par terre, visiblement blessé. Sur la pancarte, c’est écrit, attention, ça pourrait être le vôtre. Et il n’y a rien de plus vrai que ça. Hier, ça aurait pu être le nôtre.