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Des enfants peuvent par exemple inviter un ami de l’unité voisine à venir souper dans son unité, «comme n’importe quel enfant qui appelle son voisin pour qu’il vienne jouer à la maison», décrit Mme Carvalho. Les éducateurs du centre jeunesse n’hésitent pas non plus à faire des sorties où les enfants auront l’occasion de se mêler à d’autres jeunes du quartier. Et si un enfant revient d’une sortie avec son parent en soirée, l’adulte sera encouragé à venir le border lui-même dans son lit «pour faciliter la transition», explique la cheffe de service.
Présentement logé au Centre de réadaptation Dominique-Savio, le Foyer Pelletier doit déménager d’ici quelques mois dans un quartier résidentiel de Montréal-Nord. Un quadruplex acquis par le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal en 2020 est en cours de rénovation et accueillera 14 enfants, répartis en deux groupes. Ce milieu de vie permettra aux jeunes de participer encore davantage à la vie de quartier et de tisser des liens avec la communauté.
Dossier «Transformer la DPJ» | Près de trois ans après le dépôt du rapport Laurent, des projets naissent pour tenter d’offrir une vie plus normale aux enfants pris en charge par les services de protection de la jeunesse. Plongée exclusive au cœur de deux projets pilotes du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal.
La philosophie du Foyer Pelletier cadre avec plusieurs recommandations du rapport de la Commission Laurent, déposé il y a près de trois ans. La commissaire y enjoignait Québec d’«humaniser les services de réadaptation», notamment en valorisant l’implication des parents, en ouvrant les centres de réadaptation sur la communauté et en personnalisant les services offerts aux jeunes et à leurs familles.
«Moi, je ne les vois pas comme des enfants qui ont vécu des traumas», insiste Sirah Diarra, éducatrice au Foyer Pelletier. «Pour moi, c’est juste des enfants. Et je pense que, justement, certains d’entre eux n’ont pas eu la chance d’être justes des enfants.»
À l’emploi du Centre jeunesse depuis trois ans, l’éducatrice explique privilégier le jeu et les sorties au sein de la communauté pour entrer en relation avec les jeunes dont elle s’occupe. «J’aime leur faire vivre ces expériences que n’importe quel enfant qui n’est pas placé aurait vécues», explique Mme Diarra.
Dans le cadre de leurs fonctions, les éducatrices et éducateurs en centre jeunesse doivent composer avec les perceptions souvent négatives associées à la DPJ.
«Comme éducateur ou comme travailleur social, on a le mauvais rôle de ceux qui “prennent” l’enfant ou qui ont des choses à reprocher au parent», témoigne Jérémie Joly qui a notamment travaillé auprès des jeunes contrevenants avant de devenir éducateur au Foyer Pelletier. «Ce n’est pas comme ça qu’on veut emmener les choses, mais c’est aussi notre responsabilité pour protéger l’enfant et pour permettre que le travail se fasse de refléter les choses comme nous on les voit.»
Un exercice qui peut être «très confrontant» pour les parents, concède M. Joly. «Ça prend un certain tact et une certaine approche pour que le parent puisse entendre notre intervention.»
«Quand tu ne connais pas le milieu, c’est facile d’avoir une certaine idée de la DPJ, du système», estime Sirah Diarra, qui affirme avoir dû travailler pour défaire auprès de son propre entourage pour défaire leurs préjugés au sujet de son travail. «En leur expliquant comment mes journées se passent, les choses qu’on fait avec les enfants, ils disent “ok, wow, vous prenez soin d’eux”», raconte-t-elle.
Lui-même père de deux enfants, Jérémie Joly dresse des parallèles entre son rôle d’éducateur en centre jeunesse et son rôle de parent.
«Je pense souvent au fait que je passe plus de temps avec ces enfants-là qu’avec mes propres enfants», laisse-t-il tomber. «C’est sûr que ce n’est pas la même chose parce que ce ne sont pas mes enfants, mais reste que dans le quotidien, c’est le même genre d’interventions, c’est le même genre de regard que je pose sur eux.»
Cette relation de proximité qui se développe entre les éducateurs et les enfants est à la fois l’une des plus belles richesses et l’un de plus grands défis pour ces professionnels. «Le plus grand défi, c’est de faire la séparation entre les émotions qu’on vit», décrit Sirah Diarra. «Il y a des situations qui peuvent faire vivre beaucoup d’émotions et il faut être capable de garder son professionnalisme et de ne pas ramener le travail à la maison.»
«Ce qui est sûr, c’est que c’est un métier qui amène énormément de remises en question, parce qu’on vit souvent des échecs avec les jeunes», témoigne Jérémy Joly. «En tant que personne, j’explore plein de facettes de ma personnalité parce qu’il faut que je puisse être à l’aise dans une variété de rôles.»
Les deux éducateurs insistent sur l’importance de pouvoir compter sur le soutien d’une équipe de collègues stable, ce qui est parfois compliqué par la pénurie de main-d’oeuvre. En date du 12 janvier dernier, près de 10% des postes au programme jeunesse du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal étaient vacants, soit 32 postes sur 332.
Malgré les défis, Jérémy Joly et Sirah Diarra insistent sur l’aspect gratifiant de leur métier. «Ce qui fait la richesse dans mon travail, c’est de faire connaissance avec ces enfants-là, décrit M. Joly. On les voit grandir de semaine en semaine et on voit vraiment les changements qu’on rend possibles.»
«Je pense que la plus belle chose à Pelletier, c’est quand on aide les parents et les enfants à se réunir et que les enfants quittent», souligne Mme Diarra.