Né d’une collaboration entre le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal et l’organisme communautaire Logis Rose Virginie, le foyer héberge neuf adolescentes de 12 à 18 ans sous la Loi de la protection de la jeunesse. Le bâtiment du quartier Ahunstic comporte également un appartement de deux chambres, au sous-sol, où deux adolescentes peuvent faire l’expérience de la vie en appartement sous la supervision des intervenantes du foyer, afin de faciliter leur transition vers l’âge adulte.
Mais même pour celles qui vivent en groupe à l’étage, tout le quotidien est pensé pour développer l’autonomie. C’est que la plupart des adolescentes qui résident au foyer Esplanade sont placées «à majorité» et n’ont pas le projet de retourner dans leur famille.
«Ça veut dire qu’elles vont avoir un projet de vie autonome à 18 ans. C’est jeune», explique Anne-Marie Estrela, cheffe de service du foyer.
Dossier «Transformer la DPJ» | Près de trois ans après le dépôt du rapport Laurent, des projets naissent pour tenter d’offrir une vie plus normale aux enfants pris en charge par les services de protection de la jeunesse. Plongée exclusive au cœur de deux projets pilotes du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal.
Des études ont démontré que les jeunes de la DPJ sont plus susceptibles de vivre des épisodes d’itinérance ou d’instabilité résidentielle que les autres Québécois. C’est encore plus vrai pour les jeunes qui ont vécu dans des milieux de placement collectif, selon une étude publiée en 2022 par des chercheurs de l’École nationale d’administration publique (ENAP). Alors que le tiers des ex-placés de la DPJ sondés ont vécu au moins un épisode d’itinérance avant l’âge de 21 ans, cette proportion grimpait à 44,3% chez les jeunes ayant vécu en foyer de groupe ou en centre de réadaptation.
Pour élaborer un projet qui préparerait mieux les jeunes de la DPJ à leur sortie des centres jeunesse, le CIUSSS a consulté plusieurs partenaires, dont des organismes communautaires et d’ex-placés.
Comme les difficultés en lien avec l’alimentation et le budget étaient fréquemment évoquées, des programmes d’initiation à la cuisine et de simulation de budget ont été mis sur pied. Mais les consultations ont aussi fait ressortir un défi moins pratico-pratique auquel font face ces jeunes adultes lorsqu’elles quittent le système: celui d’apprendre à gérer la solitude.
«En haut, même si on a essayé d’individualiser la programmation, elles vivent avec huit autres filles», rappelle la cheffe de service Anne-Marie Estrela. «Le but c’est vraiment qu’elles aillent chercher leurs réponses à l’extérieur, alors on essaie de les outiller et de les réseauter dans la communauté.»
Encore du travail à faire
«Quand j’ai commencé, il y a 25 ans, les jeunes arrivaient à 18 ans et ils partaient avec leur linge dans des sacs à vidange et ils ne savaient pas où aller», raconte Manon Dufour, éducatrice au Foyer Esplanade. «Aujourd’hui, il y a tellement de beaux projets qui se sont construits à travers la DPJ pour répondre aux besoins de nos jeunes», observe-t-elle.
Depuis l’entrée en vigueur des modifications à la Loi sur la protection de la jeunesse, le 26 avril dernier, la DPJ est légalement tenue d’offrir un «plan de transition à la vie adulte» pour chaque adolescent de plus de 16 ans sous sa responsabilité.
Ce plan ne répond toutefois pas adéquatement aux besoins des jeunes, selon la directrice du Comité Ex-placé DPJ Jessica Côté-Guimond. Elle estime par exemple que les jeunes ne sont pas suffisamment accompagnés quand vient le temps de remplir ce plan. «C’est juste des cases blanches où on dit au jeune “exprime-toi”. Mais comment peux-tu savoir ce dont tu as besoin si tu n’as jamais vécu seul?»
Jessica Côté-Guimond reconnaît que le gouvernement Legault a fait des pas dans la bonne direction pour mieux accompagner les jeunes dans leur transition vers l’âge adulte. Le Comité Ex-placé DPJ constate toutefois «beaucoup de disparités» dans l’accompagnement offert d’une région à l’autre, et même d’un intervenant à l’autre.
«C’est écrit dans la loi que le gouvernement doit informer les jeunes des programmes et services qui sont disponibles pour lui, rappelle Mme Côté-Guimond. Mais même les intervenants ne connaissent pas tous les programmes.»
Elle rappelle que la commissaire Régine Laurent a formulé plusieurs recommandations portant sur la transition vers l’âge adulte dans son rapport déposé en 2021. Elle juge que ces recommandations sont «beaucoup plus structurantes que ce que le gouvernement nous propose», juge-t-elle.
Le ministre des Services sociaux Lionel Carmant s’est notamment engagé à élargir l’accès au Programme qualification des jeunes, qui offre de l’accompagnement psychosocial aux ex-placés jusqu’à l’âge de 25 ans. Le rapport Laurent recommandait que ce programme soit accessible à l’ensemble des jeunes ex-placés.
Un flou persiste quant à l’état d’avancement de l’application des recommandations du rapport Laurent. Le comité chargé de faire le suivi de ces recommandations devait déposer un premier rapport en novembre dernier, mais a reporté cette première analyse. Citant les retards dans la livraison du rapport final de la Commission Laurent, la présidente du comité de suivi Martine Desjardins a confirmé à Noovo Info qu’une première analyse doit être déposée d'ici mai 2024 «au plus tard».