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Justice

Procès de Nacime Kouddar: qui dit vrai?

Trois témoins oculaires de la scène, qui s’est déroulée dans le stationnement du magasin Walmart de Fleurimont, sont venus partager leur version des faits, lors de la deuxième journée d’audiences.

Des versions contradictoires ont été présentées au procès de Nacime Kouddar, accusé d’avoir foncé avec son véhicule sur l’agent de sécurité Philippe Jean, le 4 avril 2020. Trois témoins oculaires de la scène, qui s’est déroulée dans le stationnement du magasin Walmart de Fleurimont, sont venus partager leur version des faits, lors de la deuxième journée d’audiences.

L’agente de sécurité Catherine St-Hilaire, qui comme Philippe Jean s’assurait du respect des mesures sanitaires à l’extérieur du magasin Walmart ce jour-là, a vu toute la scène se dérouler devant elle. Mme St-Hilaire a d’abord indiqué que Kouddar et sa conjointe était arrivés ensemble au commerce. Elle leur indique alors que le magasin ne peut qu’accueillir une personne par ménage ou par famille, vu les mesures liées à la pandémie de la COVID-19.

«Il est arrogant, il n’est pas content de ne pas pouvoir rentrer», a décrit celle qui avait débuté comme agente de sécurité depuis à peine cinq jours. Philippe Jean, qui était alors à la salle de bain, arrive sur la scène et intervient auprès de Kouddar.

«Il a décidé d’aller plus proche de lui pour essayer de calmer ça. […] Ils font des gestes avec les mains chaque côté. Comme quand on discute avec quelqu’un et qu’on gesticule un peu. Les deux le font. Je ne suis pas capable de dire ce qui se disait entre eux», a raconté l’agente.

Alors que la situation ne s’améliore pas, Mme St-Hilaire compose le 911 et partage la situation. «Quelqu’un d’impoli et une vie en danger, c’est un peu différent», avait répondu la répartitrice dans l’enregistrement présenté en salle d’audience. L’appel est donc transféré au Service de police de Sherbrooke. À ce moment, l’agente de sécurité informe la personne au bout de la ligne que Kouddar est de retour à son véhicule, en attente de sa conjointe qui complète son magasinage. «Honnêtement, on est hyper débordés, mais s’il revient, rappelez-nous», avait répond l’agente du SPS.

 

Selon sa version, la conjointe de Kouddar est ensuite sortie du magasin pour le rejoindre dans son véhicule. Au lieu de quitter le stationnement, le véhicule repasse par l’entrée du magasin. «Tu devrais aller te magasiner des lunettes de soleil au Dollarama, parce que tu travailles juste au Walmart», aurait lancé l’accusé à la victime, mettant le feu aux poudres.

La suite des événements mènera ultimement au décès de Philippe Jean. «[Philippe] est parti vers son véhicule pour le suivre dans le stationnement», a expliqué la témoin. «Quand il voit que quelqu’un le suit, le véhicule de Kouddar revient sur ses pas.» À ce moment, Philippe Jean freine et descend de son véhicule.

«Il s’approche du véhicule de Nacime. Il fait comme un petit geste, comme pour faire peur à un animal qui est sur son terrain, ou quelque chose du genre. Il a les bras chaque bord de lui et il se penche un peu, vers l’avant», a-t-elle dit lors de son témoignage. 

Mme St-Hilaire a raconté que le véhicule de Kouddar recule, alors que la victime retourne vers son véhicule. «Il s’est reculé pour s’avancer ensuite vers Philippe. [Philippe] s’est retourné et a vu que le véhicule s’en venait sur lui. Il n’avait pas cinq minutes pour savoir ce qu’il allait faire. C’est soit il se faisait passer dessus ou il sautait sur le capot du véhicule de M. Kouddar», a estimé sa collègue de travail.

En contre-interrogatoire, l’agente de sécurité a été talonnée par Me Nicolas Cossette, l’avocat de Kouddar, sur le comportement de Philippe Jean.

«Il n’a pas de raison d’intervenir auprès de M. Kouddar, au point de vue de votre emploi?», a-t-il questionné.

«Ce n’est pas dans notre juridiction de partir après la monde», a répondu Mme St-Hilaire. Elle a aussi indiqué que M. Jean roulait trop rapidement pour un stationnement.

«- Si M. Jean s’était enligné vers vous en faisant la même chose, vous ne lui prêtez pas des bonnes intentions? Vous êtes d’accord avec moi?
-Oui.»
-Extrait d’un échange entre le témoin et l’avocat de la défense

Kouddar victime de propos racistes?

Ce fut au tour ensuite de Jessica Lahaie-Chartier, l’ex-conjointe de Nacime Kouddar, de témoigner. Malgré que leur relation soit actuellement terminée, elle dit garder un bon lien avec lui. Elle estime que Kouddar a été victime de propos racistes de la part de Philippe Jean, lors de leur dispute à l’extérieur du magasin. Elle confirme que des agents de sécurité s’occupaient du respect des mesures sanitaires à l’entrée du magasin.

«Nacime avait commencé un peu à s’obstiner. Je le comprends parce que j’ai vu qu’[une agente de sécurité] venait de faire rentrer deux personnes. J’ai dit "écoute, va à l’auto et attend après moi". Moi je suis entrée dans le Walmart», a-t-elle expliqué au procès. Kouddar l’appelle ensuite à partir de son véhicule pour lui dire qu’une dispute a éclaté entre lui et deux agents de sécurité. Il indique qu’il a été victime de propos racistes.

À sa sortie du magasin, Kouddar l’aide à déposer ses sacs dans la voiture, mais au lieu d’ensuite se diriger vers la sortie, décide de repasser devant les agents de sécurité qui se trouvent devant le magasin. «Il a insulté le gars», a décrit son ex-conjointe. Ils quittent ensuite, mais remarquent qu’un véhicule «arrive trop vite dans le stationnement», selon sa version.

«L’auto a essayé de foncer dans nous. Nacime, il a fallu qu’il recule pour ne pas faire un face-à-face», a-t-elle indiqué à la cour. Selon son témoignage, l’agent de sécurité serait ensuite sorti de son véhicule en invectivant Kouddar, en lui demandant de se battre et en frappant sur son véhicule.

«Nacime a commencé à reculer pour partir. […] Quand on a voulu partir, il s’est jeté sur la voiture»
-Jessica Lahaie-Chartier, l’ex-conjointe de Nacime Kouddar

«On continue un peu à rouler et l’agent est tombé de la voiture», a-t-elle poursuivi, indiquant que Philippe Jean avait pu rester sur le capot pendant deux à trois minutes. Du bout des lèvres, elle a ajouté que «d’après moi, il a peut-être plus voulu éviter aussi en même temps». Elle estime que pendant cette séquence, M. Jean continuait de lancer des insultes à caractère raciste à Kouddar.

Actuellement considérée comme un témoin et non comme une accusée, Mme Lahaie-Chartier a indiqué qu’elle et Kouddar avaient convenu d’appeler la police une fois rendue à son appartement. Elle estimait qu’il «réglait ses choses», lorsqu’elle a vu la police débarquer chez elle et parler avec l’accusé à l’extérieur, quelques dizaines de minutes après l’accident.

«Il n’était pas en tort. Un agent de sécurité n’est pas supposé nous poursuivre en voiture», a indiqué celle qui a suggéré à Kouddar d’appeler les secours.

Un employé de la Ville témoin de la scène

Pascal Plamondon, alors employé de la Ville de Sherbrooke, a aussi été témoin de la scène. Il s’affairait alors au nettoyage des rues et se trouvait sur la 13e avenue. À sa droite, dans le stationnement des Galeries Quatre-Saisons, son attention se tourne vers deux véhicules immobilisés et vers Philippe Jean, qui fait «des mouvements de haut en bas avec ses bras».

Il observe le véhicule Acura de Nacime Kouddar qui recule sur une distance «entre 10 et 20 pieds», alors que Philippe Jean, lui retourne vers son véhicule. Alors que la victime s’assoit dans sa propre voiture, l’accusé remet son véhicule en marche avant, selon lui.

D'après la version des faits de M. Plamondon, l’agent de sécurité décide de sortir à nouveau de son véhicule et de se diriger d’une «marche très très rapide» vers l’Acura de Kouddar, qui avance maintenant à vitesse constante.

«M. Jean se place devant le véhicule, sûrement pour que le véhicule arrête. C’est là que M. Jean va sauter pour ne pas se retrouver en dessous du véhicule», estime le témoin. Kouddar aurait ensuite accéléré, atteignant une vitesse de 30 à 40km/h, traînant avec lui la victime sur son capot sur une distance de 50 à 100 pieds. Un coup de volant aurait entraîné la victime sur la chaussée, selon M. Plamondon.

Kouddar et sa conjointe auraient ensuite quitté la scène. «Avant de prendre 13e Avenue Nord, il a fait son stop et il est reparti. J’ai essayé avec le Bobcat d’avancer pour essayer de bloquer le chemin», a indiqué le témoin, qui n’a toutefois pas été en mesure d’y arriver vu la vitesse de l’engin. Il a néanmoins pu prendre en note le numéro de plaque du véhicule de l’accusé.

Ayant une formation de premier répondant, M. Plamondon est rapidement venu au secours de la victime, qui est alors « inconsciente, avec de légères convulsions et les pupilles ouvertes ».

«On stabilise la tête. On l’a mis en position latérale de sécurité vu qu’il avait beaucoup de saignement au niveau de la bouche pour ne pas qu’il avale du sang », a-t-il indiqué.

En contre-interrogatoire, M. Plamondon a lui aussi été questionné sur le comportement de Philippe Jean. «Il avait l’air provoquant?», a demandé l’avocat de Kouddar. «Ce n’est pas une histoire d’amour», a répondu le témoin.

Le témoin avait aussi rapporté plus tôt que Philippe Jean était reparti vers son véhicule et s’était assis à l’intérieur. «La situation avait l’air terminée?», a demandé Me Nicolas Cossette. «Je ne suis pas dans la tête de M. Jean», a-t-il répondu.

Le procès se poursuit mercredi et des témoins doivent être entendus jusqu’à vendredi.