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Il est discriminatoire — et donc illégal — de ne pas embaucher une personne sur la base de sa grossesse ou de poser la question en entrevue.
Pendant les entretiens d’embauche, les employeurs continuent de demander à des femmes si elles comptent tomber enceintes. Cette pratique est pourtant condamnée par la loi.
La Charte québécoise des droits et libertés de la personne interdit toute forme de discrimination basée sur 14 motifs, dont la grossesse, dans tous les aspects de la vie incluant le travail.
«Les employeurs ne vont pas nécessairement reconnaître ouvertement qu’ils posent cette question. Plusieurs de mes étudiantes se la sont déjà fait poser», affirme Alina Nusa Stamate, professeure au Département d'organisation et ressources humaines à l'Université du Québec à Montréal (UQAM).
Les idées reçues liées aux femmes et à leur grossesse sont encore bien ancrées chez certains employeurs.
«C'est la peur de l'inconnu, la peur d’avoir des employées moins disponibles, moins orientées vers la performance au travail et qui vont prioriser moins le travail», avance la professeure.
Pourtant, «les études montrent que ce n’est pas nécessairement le cas pour les femmes avec des enfants», rappelle-t-elle.
Selon le chercheur et professeur à l'UQAM Angelo Dos Santos-Soares, les femmes rencontrent des barrières et sont victimes de la discrimination pendant le processus d’embauche avec ces questions, durant la grossesse et après la grossesse au retour du travail.
Chaque année, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) reçoit des plaintes à ce sujet.
En 2020-2021, elle a ouvert 22 dossiers, dont cinq concernant l’embauche de discrimination pour motif de grossesse dans le secteur du travail. Cette année, elle en a reçu et ouvert 11, dont un qui concernait la discrimination dans le processus d’embauche pour un emploi.
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Crédits: CDPDJ
Demander à une femme si elle prévoit avoir des enfants peut être légitime dans de très rares exceptions, par exemple lorsque la nature de l’emploi comporte des risques pour la santé de la mère, ou encore à celle de l’enfant.
«On va donner un congé maladie aux éducatrices en milieu familial et CPE qui tombent enceintes parce qu'elles sont exposées à des maladies qui peuvent affecter l’enfant», soulève la professeure Alina Nusa Stamate.
«L’employeur doit être capable de justifier la question en lien avec la nature poste», précise Pascale Denis, professeure spécialisée dans la discrimination en embauche au Département d'organisation et ressources humaines à l'UQAM.
Il demeure néanmoins discriminatoire — et donc illégal — de ne pas embaucher une personne sur la base de sa grossesse ou de poser la question en entrevue sur le fait d'être enceinte ou d’avoir l'intention de l’être ou d'avoir des enfants.
Les spécialistes en ressources humaines suggèrent plusieurs réponses-types pour sortir de cette situation inconfortable.
«Quand on me l’a demandé, j’ai répondu: "C'est une bonne chose que vous me posez la question, ça prouve que vous avez vraiment besoin de quelqu'un en sélection de personnel parce que cette question, vous ne devriez pas la poser". Ça a détendu l’atmosphère, mais dans mon cas, le poste s’y prêtait» - Pascale Denis, professeure et psychologue
Elle conseille aux candidates de répondre par l’autodérision ou l’humour, si elles ne veulent pas confronter leur futur employeur.
«Ça peut être tout simplement: "Je ne vois pas le lien avec le poste, êtes-vous en mesure de m’expliquer le lien cette question avec le poste? Quelles sont les exigences du poste?"» ajoute-t-elle.
Les professeurs Alina Nusa Stamate et Angelo Dos Santos-Soares conseillent toutefois de jouer la carte de l’honnêteté.
«Vous n’allez pas vous rebeller et dire: "Vous n’avez pas le droit de poser cette question." Réagir de cette manière implique de ne pas avoir le poste que vous voulez», prévient le professeur Angelo.
«Les femmes ont peur de se faire refuser un poste ou de se faire congédier», précise Judith Dignard, cofondatrice chez Boite Pac et mère de deux enfants.
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Rappelons que les candidates ont toujours le choix de porter plainte ou non à la CDPDJ. Que l’on se fasse poser ce type de question ou que l’on se fasse refuser le poste parce qu’on est enceinte, on peut porter plainte gratuitement à la Commission.
«Le nombre de plaintes n’est pas significatif de la réalité (…) On a aussi des dossiers où les femmes ont perdu leur emploi après avoir annoncé leur grossesse», indique Meissoon Azzaria, coordonnatrice aux communications de la CDPDJ.
Après avoir contacté l’organisme public, celui-ci vérifie la recevabilité de la plainte et demande tous les détails. Si le cas est recevable, il va entamer une enquête en contactant l’employeur pour lui en informer et avoir sa version des faits.
«On va proposer la médiation parce que dans certains cas, si les deux parties sont d'accords, la médiation peut être une façon de régler la situation plutôt que d'aller en enquête et éventuellement devant le tribunal. Certaines décisions sont allées jusqu'au tribunal», dit Mme Azzaria.
En 2021-2022, la Commission a recensé un dossier qui s’est réglé par voie de médiation et un autre dossier qui s’est réglé devant la Cour.
Au Québec, le marché du travail est touché de plein fouet d’une pleine pénurie de main-d’œuvre.
«Selon les échos du terrain, les employeurs ne posent presque plus de questions qui pourraient décourager les candidats d'accepter un poste. C’est une bonne chose dans le contexte actuel (…) étant donné qu’ils n’ont plus beaucoup de choix, ils vont revoir leurs exigences à la baisse», explique la professeure Pascale Denis.
Depuis l’arrivée de la pandémie, le marché évolue et les employeurs ont dû s’adapter. Les politiques d’entreprise ont été allégées avec la mise en place du télétravail, la conciliation travail-famille et d’autres programmes d’aides pour les familles.
«Il va y avoir un changement d’approches de la part des employeurs. Est-ce que cela va éliminer ces billets de subjectivité manifestés lors des entrevues d'embauche? Il n’y a pas de réponse pour l'instant», soutient la professeure Alina Nusa Stamate.
Selon l’entrepreneuse Judith Dignard, la génération actuelle souhaite davantage travailler pour des entreprises qui tiennent à cœur leur impact social et environnemental.
«Les employeurs n'auront pas le choix d’attirer des employés en proposant des programmes de développements personnels intéressants», ajoute-t-elle.
Elle conseille aux entreprises «de vraiment prendre le temps de réfléchir» sur leur modèle d’affaires en favorisant le développement professionnel des employés en leur offrant notamment un safe space et un congé parental.
«Les employeurs en 2022 devraient mettre sur pied d’égalité la maximisation des profits et le bien-être des employés et ce qui va faire le succès des affaires», dit l’entrepreneuse Judith Dignard.
«On offre de la formation aux employeurs sur le thème de la discrimination et on a fait une campagne de sensibilisation en 2019, souligne Mme Azzaria de la CDPDJ. Avec le temps, les femmes ont plus tendance à dénoncer ce genre de situation. Les mentalités changent, mais il reste encore du chemin à faire.»
Pour la spécialiste en ressources humaines, Mme Nusa Stamate, les femmes et les enfants sont l’avenir de l'économie.
«Les employeurs doivent embaucher et encourager les femmes qui veulent retourner au travail et les former. On voit très bien qu'on peut performer au travail en ayant une vie personnelle.»