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Une analyse conclut que le coût des chirurgies et autres interventions réalisées dans le secteur privé au Québec surpasse largement celui du secteur public, parfois de 150 %.
Si Québec veut faire encore plus de place au privé en santé, il doit s'attendre à payer le gros prix. Selon une analyse basée sur un projet-pilote mené par le gouvernement, le coût des chirurgies et autres interventions réalisées dans le secteur privé surpasse largement celui du secteur public, parfois de 150 %.
Des données obtenues par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) grâce à une demande d’accès à l’information sont issues d’un projet-pilote initié en 2016 par l’ancien ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, qui visait à comparer les coûts de cinq types de chirurgies et procédures entre le réseau public et trois cliniques privées.
«Ce projet-pilote visait presque à démontrer que le privé coûtait moins cher. Je pense que c'est ce qui était attendu de la part du gouvernement, mais ce qu'on constate c'est que c'est beaucoup plus cher», conclut la chercheuse Anne Plourde.
D'après les données obtenues par Mme Plourde, on rapporte notamment qu'en 2019-2020, le coût d'une chirurgie du tunnel carpien était en moyenne de 908 $ au privé contre 495 $ au public; une coloscopie courte coûtait 739 $ au privé comparativement à 290 $ en établissement public.
Trois cliniques privées ont fait partie du projet-pilote de Québec, soit RocklandMD, Chirurgie Dix30 et Opmedic.
L'écart de coût au privé dépasse largement la marge de profit de 10 % qui était accordée dans les contrats, ce qui fait dire à la chercheuse que l'efficacité tant vantée par le privé n'est pas au rendez-vous.
«Il semble vraiment que les centres médicaux spécialisés ne soient pas en mesure d'offrir le même service à un coût comparable au secteur public», précise-t-elle.
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En revanche, l'analyse de l'IRIS note que le réseau public est parvenu à faire des gains d'efficience importants pendant que les coûts augmentent dans les cliniques privées. Entre 2018-2019 et 2019-2020, au public, le coût a diminué de 11 % pour les chirurgies de la cataracte, de 38 % pour les coloscopies longues et de 13 % pour les coloscopies courtes, alors qu'il a augmenté respectivement de 3 %, 4 % et 81 % lorsque ces procédures étaient effectuées dans les centres médicaux privés.
Selon Mme Plourde, ce qui plombe la facture au privé, ce sont notamment les conditions négociées par le gouvernement avec les cliniques privées qui seraient en réalité des incitatifs à augmenter les coûts.
«Les entreprises qui participent au projet pilote ne prennent aucun risque financier. L'ensemble de leurs dépenses sont assurées d'être remboursées par le public et on leur assure en plus une marge de profit de 10 %. Ce qui veut dire quand les coûts sont plus élevés, les profits sont plus élevés aussi», explique-t-elle.
Anne Plourde se dit préoccupée par cette pratique puisque le même type de contrat se serait multiplié au cours des dernières années avec des marges de profit s'élevant parfois jusqu'à 15 %.
Dans son analyse, l'IRIS souligne que le projet-pilote qui devait coûter à l'origine 4 millions $ aura finalement coûté 80 millions $. Malgré ces investissements massifs, on ne semble pas vouloir en tirer les conclusions qui s'imposent aux yeux d'Anne Plourde.
«Le gouvernement semble plutôt vouloir étendre cette pratique-là alors que, clairement, du point de vue des finances publiques, ce n'est pas du tout dans l'intérêt de la population», martèle la chercheuse qui rappelle que Québec a ces données en main depuis 2020.
Pour ajouter aux impacts du recours au privé, Mme Plourde mentionne aussi la cannibalisation des ressources humaines. Que l'on parle de médecins, d'infirmières ou de tout autre professionnel de la santé, la pénurie de main-d’œuvre est un enjeu bien réel.
«Les ressources sont limitées et le secteur public et le secteur privé sont des vases communicants. Quand on en ajoute à un endroit, on en enlève à un autre endroit», résume la détentrice d'un doctorat en science politique et d'un postdoctorat en sciences sociales.
Il y a une dizaine de jours, une coalition rassemblant quelques dizaines d'organismes a critiqué le Plan santé dévoilé par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, affirmant qu'il s'agissait d'une attaque contre les piliers du système public comme la gratuité, l'universalité et l'accessibilité.
La coalition s'est inquiétée de l'accélération de la privatisation du système de santé, rappelant que le secteur privé n'est pas là pour la gratuité, mais pour faire des profits.
Le projet de loi 15 portant sur l'efficacité du système de santé vise notamment à réduire l'attente pour une chirurgie. Or, le projet-pilote n'a pas évalué l'impact du privé sur l'accès aux services ni sur les délais d'attente.