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«Plus j’en lis sur "l’affaire Haroun Bouazzi", plus je suis consternée».
Plus j’en lis sur «l’affaire Haroun Bouazzi», plus je suis consternée. Nous sommes passés de propos assez banals sur la manière dont les politiciens peuvent participer à la construction d’un discours négatif sur l’immigration à «tous les députés de l’Assemblée nationale du Québec sont racistes». Quelle enflure spectaculaire !
Où sont les fervents défenseurs de la liberté d’expression ? Absents d’office lorsque le discours véhiculé ne cadre pas dans leur programme politique. Par leur silence, ils envoient le message à tous ceux qui ne resteront pas dans le rang, qu’ils seront les prochains à se faire «remettre à leur place.»
Je ne suis membre d’aucun parti politique et je ne l’ai jamais été. La politique partisane n’est pas toujours la seule manière — ou la plus efficace — de faire bouger une société. Or, comme citoyenne, intellectuelle, travailleuse sociale et écrivaine, je suis préoccupée par la mort tranquille de la liberté d’expression de celles et ceux que l’on entend déjà trop peu.
Choquée des abus de la ligne de parti à l’Assemblée nationale du Québec. Navrée de voir que le parti du député de Maurice-Richard, Québec solidaire, ne se porte pas beaucoup à sa défense, et ce, pour espérer obtenir une poignée de votes de plus aux prochaines élections provinciales.
J’ai eu la chance de recevoir le don des mots. Ils sont mon oxygène, mon ancrage, ma colonne vertébrale politique et morale. Sans les mots, je ne respire pas. Ils sont le seul et le plus grand espace de liberté que j’ai eu le privilège de recevoir dans ma vie. Ce faisant, il n’y a rien de plus cher à mes yeux que la liberté d’expression. Dérober la liberté d’expression à un artiste équivaut à tuer cet artiste symboliquement.
Je protège mordicus l’un des seuls privilèges que la vie m’ait donnés, parce que je vis dans une société qui m’a volé tout le reste. Corrompre ma voix équivaudrait à me trahir moi-même, à trahir mes ancêtres et à trahir cette facilité avec laquelle je suis née.
Lorsque l’on réfère à moi comme étant « une porte-voix », je reste perplexe. Parce que les « sans-voix » n’existent pas. On semble toujours silencieux, réservé ou timide face à des personnes qui ont décidé que ce que l’on a à dire n’est d’aucun intérêt pour soi ou pour autrui.
J’exerce ma liberté d’expression dans l’optique de bâtir des ponts entre des solitudes. Pas uniquement entre les francophones et les anglophones, mais entre tous ces autres univers qui ne se rencontrent pas. Briser la solitude que des individus portent en eux, aussi.
Comme écrivaine, je conçois mon rôle comme celui d’une médiatrice, d’une traductrice, voire d’une béquille. Les mots sont le masque à oxygène que je mets pour permettre à d’autres de trouver leur propre souffle ; ce souffle qu’ils possèdent naturellement au plus profond d’eux-mêmes, souvent sans le savoir. Même s’il y aura toujours des gens de mauvaise foi, je prends le risque de parler quand même, pour tenter, en cette ère sombre, d’élever le débat pour qui veut bien l’entendre.
Les artistes exercent un métier très dangereux. Par leur créativité, ils réinventent le monde, éveillent les consciences et les cœurs et font trembler les puissants. Ce n’est pas pour rien que nombre d’artistes à travers l’histoire du monde ont été emprisonnés, persécutés, contraints à l’exil et au silence, ou même assassinés. Les artistes sont à l’avant-garde de leurs collectivités. Ils sont une boussole morale. Ils prennent le « pouls » d’une société donnée. Ils font de la politique à leur manière et sans parti pris.
La liberté d’expression, c’est aussi pouvoir critiquer son « propre camp. » Après 20 ans d’engagement communautaire, il n’y a plus rien qui m’étonne. Les mots peuvent libérer comme ils peuvent étouffer. Et je n’ai pas de mots assez forts pour exprimer mon mépris envers celles et ceux qui utilisent le langage de la justice pour casser et écraser des personnes qui n’ont pas leur verbe.
Il faut être d’une délicatesse absolue avec les personnes qui incarnent nos combats, particulièrement lorsqu’elles sont vulnérables. Même lorsqu’elles ne sont pas en train de nous applaudir. Le genre ou la couleur de celui ou celle qui asphyxie avec ses mots n’y change absolument rien ; pour moi, c’est du pareil au même. Je suis navrée de le dire, mais toutes les fois où j’ai perdu foi en l’humanité, c’était dû aux mouvements sociaux pour la justice sociale.
L’heure n’est pas à la réjouissance. Les mouvements d’extrême droite fleurissent partout en Occident avec des répercussions négatives très concrètes dans la vie quotidienne des personnes les plus marginalisées de notre société. C’est le cas en France, aux États-Unis avec la récente élection de Trump, et même ici, au Canada. Or, si cette extrême droite étend ses tentacules avec tant d’aisance, c’est aussi en raison de l’incapacité des progressistes — qu’ils soient dans un parti politique ou pas — à se regarder dans le miroir. En cherchant constamment à éviter d’être comme « trop ceci » ou « trop cela », sans même savoir pour qui ou pour quoi, tout le monde finit par y perdre.
Ce noble message de justice pour tous que l’on souhaite « vendre » ne se rend pas. Visiblement, quelque chose est à repenser. La première étape de cet examen de conscience serait de casser les lignes de parti symboliques de nos luttes parce qu’elles ont le même effet pourri que celles qui existent à l’Assemblée nationale du Québec.