«On trouvait ça quelque part lourd et triste de savoir que nos parents partiraient en même temps, mais beau qu’ils aient été 58 ans ensemble et qu’ils partent ensemble, qu’ils n’aient pas à souffrir du deuil de l’un et de l’autre. Mais finalement il (son père) n’a pas eu à prendre de décision.»
Près de 22 000 Québécois ont eu recours à l’aide depuis 10 ans permettant aux familles de vivre des décès en douceur comme Mme Larochelle qui était sereine et décidée. Avec émotions son fils Robert raconte que la journée de son décès, son frère, sa sœur et leurs enfants se sont réunis au domicile de la grand-mère pour aller glisser et faire des bonhommes de neige une dernière fois.
Et le matin même, la femme de 82 ans a décidé de la manière dont elle quitterait ce monde dans son salon qui donne sur une magnifique vue panoramique. «Elle a décidé de faire ça dans la robe de chambre de mon père et dans le fauteuil que mon père aimait qu’on a amené au milieu du salon. Tout ça était très symbolique et très rassurant aussi», explique l’homme, une larme à l’œil. «C’était pas très très clair pour elle comment elle voyait la vie après la mort, mais elle se disait, "là je suis avec Claude et peut-être que je m’en vais le retrouver". Elle avait sa photo dans les mains. Tout a été vraiment très doux».
L’an dernier au Québec, sur les 5717 personnes qui ont demandé l’aide, 1200 ont opté pour la recevoir à la maison. Ce sommeil éternel dans la douceur a été rendu possible après un long processus. Dès 2009, c’est le collège des médecins qui pose la question en premier et qui veut se pencher sur des solutions.
Commission mourir dans la dignité
La députée Véronique Hivon crée alors la Commission mourir dans la dignité, qui va mener à une loi adoptée le 5 juin 2014 encadrant les soins de vie. Huit mois plus tard, le plus haut tribunal du pays lui donne raison dans l’arrêt Carter.
Les neuf juges de la Cour suprême se prononcent à l’unanimité et invalident la prohibition de l’aide à mourir, en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cet article prévoit que «chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale».
À ce moment, le Dr Georges L’Espérance déplore de voir certains de ses patients maintenus dans un état végétatif. Il lutte pour humaniser cette aide qui était de toute façon administrée illégalement. «Non pas en tuant les gens comme certains disent, pas du tout, mais en leur donnant des médicaments qui soulageaient leurs souffrances», affirme-t-il.
Il applaudit le jugement historique. «Pourquoi a-t-on une décision qui permet l’aide à mourir pour la préservation de la vie? La réponse est très simple. C’est que ça évite aux gens qui sont rendus à l’extrémité de se donner la mort eux-mêmes dans des circonstances indignes», explique-t-il.
Par la suite en 2021 Nicole Gladu atteinte d’une maladie dégénérative et Jean Truchon, d’un handicap, gagnent devant la Cour supérieure du Québec faisant à leur tour élargir l’application de la loi. «Tout patient qui a une maladie grave, incurable, avec un déclin irréversible de sa situation, et des souffrances physiques, ou psychologiques ou existentielles, peut obtenir l’aide médicale à mourir, tant qu’il est apte. Ce qui inclut donc les patients atteints de la maladie d’Alzheimer par exemple», précise le neurochirurgien à la retraite qui continue de l’administrer aux patients qui le réclament.

Depuis octobre dernier, c’est aussi possible de faire une demande anticipée au Québec. Mais pour le médecin, il y a encore du chemin à faire, comme la rendre disponible pour les mineurs atteints de sarcomes.
Il faudrait aussi l’élargir à certains dont la santé mentale est hypothéquée pourvu que ça se fasse sur un suivi de longue durée. «Ce n’est pas pour les gens tout à coup déprimés. Quand tu as 76 ans et que tu as une schizophrénie et que jamais rien n’a fonctionné, en vertu de quoi on peut penser qu’on va le guérir? La médecine n’est pas miraculeuse, la médecine n’a pas réponse à tout», termine-t-il.
Sur les 5517 patients qui ont fait ce choix cette année, 75% avaient plus de 70 ans, 60% avaient le cancer, 84% un pronostic de survie de moins d’un an et 96% des souffrances physiques inapaisables. Ce sont 1200 personnes qui ont choisi de la recevoir à domicile comme, madame Larochelle.
Bien que le nombre de demandes augmente sans cesse chaque année, une faible minorité de personnes font ce choix si l’on considère que 61 659 patients ont plutôt opté pour les soins palliatifs l’an dernier.
Demandes d'aide médicale à mourir par année entre le 10 décembre 2015 et 31 mars 2024
2015-16 | 63 |
2016-17 | 599 |
2017-18 | 968 |
2018-19 | 1295 |
2019-20 | 1788 |
2020-21 | 2444 |
2021-22 | 3712 |
2022-23 | 5227 |
2023-24 | 5717 |