Passer au contenu principal
À voir:

Début du contenu principal.

Politique

Ingérence politique au conseil d'administration: la SAAQ préfère ne pas répondre

Le député libéral Monsef Derraji lors de la période de questions à l'Assemblée nationale, le 20 février 2025.
Le député libéral Monsef Derraji lors de la période de questions à l'Assemblée nationale, le 20 février 2025.
Patrice Bergeron
Patrice Bergeron / La Presse canadienne

La Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) préfère garder le silence devant les accusations d'ingérence politique lancées par l'opposition officielle. 

Le Parti libéral du Québec (PLQ) soupçonne le conseil d'administration de la SAAQ d'avoir voulu protéger la Coalition avenir Québec (CAQ) en  évitant de divulguer les dépassements de coûts du virage numérique, en pleine campagne électorale en 2022.

Plutôt que d'accorder un supplément de 222 millions $ aux entreprises SAP et LGS, le conseil d'administration a alors décidé de morceler le montant en plusieurs petits contrats, en raison d'un «risque politique et médiatique élevé», a conclu la vérificatrice générale dans un rapport accablant.

En épluchant des procès-verbaux de 2022 en partie caviardés, le député libéral Monsef Derraji a conclu plus tôt cette semaine que le conseil d'administration et son président de l'époque Konrad Sioui auraient tenu compte de considérations politiques pour prendre leur décision.

En entrevue, l'élu du PLQ a soupçonné aussi le ministre des Transports de l'époque, François Bonnardel, d'avoir été au courant.

Il a également pris la peine de souligner que M. Sioui avait été nommé par la CAQ.

La Presse canadienne a formulé à la SAAQ une demande d'entrevue adressée aux membres du conseil d'administration et à sa présidente actuelle, Dominique Savoie.

Le porte-parole de la SAAQ, Gino Desrosiers, a fait savoir que la société d'État déclinait la requête.

«Pour le moment, c'est notre position», a-t-il affirmé dans une courte entrevue avec La Presse Canadienne.

Il a fait savoir que la SAAQ n'allait pas commenter d'aucune façon et allait plutôt pleinement collaborer aux enquêtes en cours.

Les conseils d'administration des sociétés d'État sont encadrés par une série de règles strictes pour protéger l'indépendance de leurs membres, leur neutralité, et éviter notamment les conflits d'intérêts.

M. Derraji craint qu'il y ait eu des entorses, notamment lors de deux réunions du conseil d'administration, les 14 et 15 septembre 2022.

Lors de la séance du 14, le conseil d'administration a longuement discuté du projet de virage numérique, mais aussi de la stratégie contractuelle de la SAAQ relativement au projet, sans qu'on puisse lire les délibérations caviardées.

Le lendemain, le conseil d'administration discute de nouveau de la stratégie contractuelle, puis le président du c.a., Konrad Sioui, prend la peine de rappeler aux membres «certaines obligations s'appliquant aux administrateurs dans un contexte d'élections générales», peut-on lire.

Selon le député, il y a anguille sous roche. Questionné sur la nature de ces «certaines obligations», à savoir s'il s'agissait par exemple d'un devoir de réserve, M. Derraji dit n'avoir jamais rien lu de tel concernant les administrateurs, alors qu'il est lui-même administrateur de société certifié (ASC).

M. Derraji a soutenu que cet enchaînement de décisions et cette intervention du président du c.a. constituent des preuves.

«Il y a eu un choix politique de morceler le contrat pour ne pas mettre la CAQ dans l'embarras en pleine campagne électorale», avait-il affirmé au cours d'une entrevue.

Des règles strictes

En matière de «neutralité politique», le Code d'éthique et de déontologie de administrateurs et vice-présidents de la SAAQ prévoit que «les décisions d'un administrateur ou d'un vice-président, prises dans l'exercice de ses fonctions, doivent être indépendantes de toute considération politique partisane».

En ce qui a trait au «devoir de réserve», on peut lire que «l'administrateur ou le vice-président doit faire preuve de réserve dans la manifestation publique de ses opinions politiques».

En outre, le Règlement sur l'éthique et la déontologie des administrateurs publics de la Loi sur le ministère du Conseil exécutif, qui encadre aussi les administrateurs de la SAAQ, stipule que «le président du conseil d'administration, le premier dirigeant d'un organisme ou d'une entreprise et l'administrateur public à temps plein doivent faire preuve de réserve dans la manifestation publique de leurs opinions politiques».

M. Derraji exige que l'ensemble des procès-verbaux soit décaviardé.

Le premier ministre François Legault a fait part de sa volonté de mettre sur pied une commission d'enquête sur le dérapage à la SAAQ.

À la fin de février, le gouvernement avait interpellé l'Unité permanente anticorruption, en plus de demander au ministère des Transports et à l'Autorité des marchés publics d'enquêter sur la situation à la SAAQ.

Depuis son lancement en 2017, le programme CASA de la SAAQ, c'est-à-dire son virage numérique, a coûté 500 millions $ de plus que prévu, pour un total qui dépassera le 1,1 milliard $ en 2025, a évalué la vérificatrice générale.

Le déploiement raté de SAAQclic a provoqué en 2023 de longues files d'attente devant les succursales et engorgé le service à la clientèle.

«Ces problèmes n'ont pas été communiqués de façon adéquate au comité de direction et au conseil d'administration de la SAAQ, a affirmé la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, dans un rapport sévère. La direction du programme ne donnait pas un portrait juste de certains enjeux importants.»

Le gouvernement caquiste n'a pas cessé de répéter qu'il n'en savait rien et qu'on lui avait tout caché, mais la ministre des Transports actuelle, Geneviève Guilbault, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, voire le ministère du premier ministre lui-même avaient été informés des mises à jour du projet.

M. Caire a dû démissionner de son poste de ministre le jeudi 27 février, mais reste député de La Peltrie.

Patrice Bergeron
Patrice Bergeron / La Presse canadienne