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États-Unis: Attachez vos ceintures... le pire est à venir

«Ici, je partage l'idée que les États-Unis sont aux prises avec une crise constitutionnelle qui accentue les risques d'une guerre civile.»

Entrevue :
/ Noovo Info
Erick Duchesne
Texte :
Erick Duchesne

Le professeur titulaire au Département de science politique de l'Université Laval, Erick Duchesne, affirme dans une lettre ouverte,  que les États-Unis vivent une crise constitutionnelle qui pourrait mener à une guerre civile. 

Mon but ici n'est pas de ruiner votre fin de semaine, mais de vous informer. Profitez du beau temps pour vous changer les esprits. Je sais que je le ferai.

Voyez l'entrevue de Jean-Simon Bui avec Erick Duchesne dans la vidéo.

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Ici, je partage l'idée que les États-Unis sont aux prises avec une crise constitutionnelle qui accentue les risques d'une guerre civile.

Une crise constitutionnelle survient lorsqu'il y a un conflit majeur concernant l'interprétation ou l'application de la Constitution d'un pays, ou lorsque les institutions gouvernementales ne parviennent pas à fonctionner comme prévu.

Dans ce contexte, le système de poids et contrepoids (checks and balances) de la Constitution américaine revêt une importance cruciale, car il répartit les pouvoirs entre trois branches distinctes du gouvernement—le pouvoir législatif, l'exécutif et le judiciaire—afin d'empêcher toute concentration excessive de pouvoir.

Les pères de la Constitution américaine l'ont voulu ainsi pour se libérer de la tyrannie du pouvoir impérial britannique. Ils ont aussi conçu un système qui accordait des contrepoids substantiels aux États, pour la même raison.

Le pouvoir législatif, incarné par le Congrès (composé du Sénat et de la Chambre des représentants), a pour rôle de rédiger et voter les lois.

Il peut, par exemple, utiliser le pouvoir de la « clause de l'appropriation », contrôlant ainsi les financements nécessaires à l'exécution des politiques.

De plus, le Congrès peut mettre en œuvre des mécanismes de contrôle, tels que des commissions d'enquête ou la destitution (impeachment), pour surveiller les actions de l'exécutif.

Le pouvoir judiciaire, quant à lui, est chargé d'interpréter les lois et de veiller à leur conformité avec la Constitution.

Grâce au principe du contrôle de constitutionnalité, illustré par l'arrêt Marbury v. Madison de 1803, les tribunaux peuvent invalider des actions ou des lois qui ne respecteraient pas le texte fondamental.

Le pouvoir exécutif, confié au président, a la responsabilité de mettre en œuvre et d'appliquer les lois.

Le président dispose notamment du droit de veto, qui lui permet de bloquer des législations, mais ce veto peut être contourné par une majorité qualifiée au Congrès.

Ce système est conçu pour instaurer une réciprocité entre les branches : chaque pouvoir peut limiter l'action des autres afin d'éviter toute dérive autoritaire.

Pour vous donner une image simple, imaginez trois gardiens qui se surveillent mutuellement pour s'assurer qu'aucun ne triche. Si l'un d'eux commence à dépasser ses prérogatives, les deux autres doivent pouvoir freiner son action. C'est exactement ce que prévoit la Constitution américaine.

Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump a pris une série de mesures qui ébranlent ces mécanismes d'équilibre.

Dès son investiture, il a procédé à des limogeages en masse, renvoyant, entre autres, plusieurs hauts fonctionnaires du ministère de la Justice pour les remplacer par des alliés politiques.

Cette décision a affaibli l'indépendance judiciaire et donné au président un contrôle accru sur les enquêtes fédérales.

Parallèlement, il a remplacé des responsables clés à la tête du FBI (par Kash Patel), du renseignement national (par Tulsi Gabbard), de la sécurité intérieure (par Kristi Noem), de la défense (par Pete Hegseth) et de la CIA (par John Ratcliffe) par des personnalités connues pour leur loyauté, ce qui remet en cause la neutralité et l'efficacité des agences de sécurité.

Trump a également contourné le Congrès en promulguant plusieurs décrets présidentiels, notamment en matière de financement des infrastructures sans l'approbation budgétaire législative, et, face aux décisions judiciaires contraires—comme son refus d'obtempérer à la décision du juge John O'Connell de débloquer des fonds pour les services publics déjà approuvés par le Congrès ("impoundment")—son administration a choisi d’ignorer les injonctions, créant ainsi un précédent dangereux pour la séparation des pouvoirs.

L'immersion des jeunes "troopers" d'Elon Musk dans les finances de l'État américain font aussi face à de nombreuses actions judiciaires. Si vous suivez un tant soit peu l'actualité américaine, vous comprenez la dangerosité des actions du "Department of Gouvernment Efficiency" pour les respects des données personnelles des citoyens américains, ainsi que pour la règle de droit.

Par ailleurs, Trump désire exercer le plein contrôle sur le quatrième pouvoir, soit celui des médias. Il admet désormais des blogueurs fidèles à sa cause dans la salle de presse de la Maison-Blanche. Plus sérieusement, Trump y a restreint l'accès de l'Associated Press en raison de son refus de renommer le Golfe du Mexique et Golfe de l'Amérique dans ses pages. Il s'engage ainsi sur une voie glissante vers les restrictions du rôle des médias en démocratie.

L'adoption d'un décret présidentiel dès le 20 janvier sur la sécurité nationale, élargissant la définition du terrorisme domestique aux immigrants illégaux, a également permis de cibler plus facilement des groupes vulnérables et ainsi s'accorder le droit de restreindre les libertés civiles de ceux et celles qui participeront à des manifestations en défense des immigrants, renforçant ainsi l'emprise de l'exécutif.

Dans plusieurs pays, les forces armées constituent le dernier rempart contre un coup d'État.

Ainsi, l'une des actions les plus alarmantes a été le limogeage de plusieurs hauts gradés militaires, y compris des membres du Joint Chiefs of Staff et les juges-avocats généraux (JAG), remplacés par des généraux considérés comme proches de sa ligne politique. (Voir le "semi-spew" de Steve Saideman à ce sujet).

En remplaçant des chefs militaires expérimentés (dont le seul "défaut" est d'être noir ou une femme) par des loyalistes (comme un homme blanc à la retraite), Trump a compromis la neutralité de l'armée, un pilier essentiel de la démocratie américaine.

Ce bouleversement risque de provoquer le refus d'obéissance de certains officiers supérieurs, certains iront jusqu'à démissionner pour protester contre ce qu'ils qualifieraient de dérive autoritaire.

Ces démissions ne feront que consolider la mainmise de Trump sur les forces armées et, de fait, faciliteront la répression des protestataires dans des manifestations contre l'administration Trump.

Par ailleurs, l'administration tolère, voire encourage, l'émergence de milices armées pro-Trump, contribuant à un climat de tension exacerbé entre factions de l'armée régulière, milices privées et forces locales. La grâce présidentielle accordée aux insurgés du 6 janvier 2021 pointe directement en cette direction.

Cette situation, en affaiblissant le système traditionnel de commandement et en brouillant les lignes de responsabilité, accroît considérablement le risque d'une confrontation armée, voire d'une guerre civile.

Le fonctionnement du poids et contrepoids repose sur l'interaction constante entre les trois branches du gouvernement (ainsi que les États, les forces armées et les médias) : le Congrès peut enquêter sur l'exécutif et, en cas de dérives, engager des procédures de destitution ; le président peut opposer son veto aux lois qu'il juge contraires à sa vision, tout en étant limité par la capacité du Congrès à passer outre ce veto ; et le pouvoir judiciaire peut, en dernier ressort, contrôler la constitutionnalité des actions de l'exécutif et des décisions du législatif.

Cette architecture institutionnelle est conçue pour prévenir les abus de pouvoir et garantir que chaque branche reste dans le cadre de ses attributions constitutionnelles.

Cependant, les actions de Trump, en cherchant à contourner ces mécanismes—par des décrets unilatéraux, des limogeages massifs et une redéfinition des rôles traditionnels—menacent cet équilibre précaire et mettent en péril la stabilité du système démocratique américain.

On peut d'ores et déjà affirmer que les États-Unis sont engagés dans une crise constitutionnelle.

Les conséquences de ces dérives se font sentir tant sur le plan national qu'international.

Des manifestations de masse anti-Trump et anti-Musk se mettent en branle dans plusieurs villes et elles s'accentueront, tandis que des organisations telles que l'ACLU et des gouverneurs étatiques engagent des poursuites judiciaires pour défendre les libertés constitutionnelles des citoyens américains.

Par ailleurs, la polarisation accrue et le renforcement d'acteurs armés, qu'ils soient issus de l'armée traditionnelle ou de milices privées, placent le pays au bord d'un conflit interne majeur, avec le risque latent d'une guerre civile.

La rupture des mécanismes de contrôle entre les branches du pouvoir affaiblit non seulement la gouvernance démocratique, mais fragilise également la confiance des citoyens dans l'État de droit, alimentant ainsi un cycle de tensions et de confrontations qui menace la pérennité des institutions constitutionnelles.

Attachez vos ceintures... le pire est à venir...

*Détenteur d’un doctorat en science politique de Michigan State University, Erick Duchesnea été le président de la Société québécoise de science politique (SQSP, 2022-23) et ancien directeur du Département de science politique à l’Université Laval (2016-19 et 2023-24. De 2006 à 2008, il a été le directeur de la revue Politique et Sociétés. Il a auparavant enseigné à la SUNY Buffalo de 1998 à 2004, année où il s’est joint à l’Université Laval. Depuis le début de sa carrière, il a supervisé les travaux de près de 150 étudiants aux cycles supérieurs. Il est un spécialiste de l’économie politique internationale et il a produit plus d’une cinquantaine de publications sur des enjeux tels que, entre autres, les négociations économiques internationales, les politiques commerciales américaines, les politiques agroalimentaires et les programmes du Groupe de la Banque Mondiale. Il a effectué des séjours de recherche dans une douzaine d’universités, dont l’Université de Harvard, l’Université Libre de Bruxelles, la Peace Research Institute of Oslo (PRIO), l’Université de Wuhan et l’Université de Grenoble-Alpes.

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Erick Duchesne