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Pourquoi l’indépendance de la Fed est-elle cruciale, et peut-elle résister à une pression politique aussi intense?
Alors que les marchés boursiers mondiaux vacillaient, le président Donald Trump a de nouveau attaqué verbalement Jerome Powell, président du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis.
Accusant Powell de «saboter l’économie» et de «refuser obstinément d’abaisser les taux d’intérêt», Trump a affirmé qu’il chercherait à «remplacer rapidement» celui qu’il a pourtant lui-même nommé en 2018.
Une déclaration qui inquiète les investisseurs, fait plonger les marchés et soulève une question fondamentale: pourquoi l’indépendance de la Fed est-elle cruciale, et peut-elle résister à une pression politique aussi intense?
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Créée en 1913 par le Federal Reserve Act, la Réserve fédérale est la banque centrale des États-Unis. Son mandat principal est triple :
La Fed n’est pas une agence gouvernementale ordinaire. Elle est indépendante dans sa prise de décision, mais rend des comptes au Congrès, ce qui crée un équilibre entre autonomie et transparence démocratique. Son président, comme les autres membres du conseil des gouverneurs, est nommé par le président des États-Unis, mais avec confirmation du Sénat.
Le mandat du président de la Fed est de quatre ans, et il est renouvelable si voulu, tandis que les gouverneurs siègent pour 14 ans — un mécanisme conçu pour éviter l’instabilité politique à court terme.
Donald Trump, fidèle à son style transactionnel et directif, considère la Fed comme un levier économique personnel. Il pense en businessman : des taux d’intérêt bas dopent la croissance et les marchés boursiers, deux éléments qu’il associe à son succès électoral.
Cependant, la Fed ne gère pas la politique monétaire dans l’intérêt d’un seul président ni d’un seul cycle électoral et encore moins pour faire plaisir à Wall Street. Son objectif est de maintenir une croissance durable et équilibrée sur le long terme, même si cela implique des décisions impopulaires à court terme.
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Quand Trump exige une baisse des taux malgré une inflation déjà au-delà de la cible de 2 %, il démontre une méconnaissance — ou un mépris — de la mission fondamentale de la Fed : assurer la stabilité des prix.
Une baisse excessive et injustifiée des taux pourrait enflammer l’inflation, affaiblir le dollar, et faire fuir les investisseurs étrangers des marchés obligataires américains. Le rôle de la Fed est donc de résister à la tentation politique du court-termisme.
L’histoire américaine n’est pas étrangère aux tensions entre la Maison-Blanche et la Fed. Voici quelques exemples célèbres :
Harry Truman vs Thomas McCabe (1951)
Pendant la guerre de Corée, le président Harry Truman voulait que la Fed continue à acheter des obligations gouvernementales à taux bas, pour financer l’effort de guerre sans hausse de coût. Le président de la Fed, Thomas McCabe, refusa, craignant une flambée inflationniste. Ce conflit mena au fameux « Accord du Trésor-Fed de 1951 », qui scella l’indépendance opérationnelle de la Fed. Une étape décisive dans l’histoire monétaire américaine.
Lyndon B. Johnson vs. William McChesney Martin (1965)
Le président Johnson voulait maintenir les taux bas pour financer ses projets sociaux et la guerre du Vietnam. En 1965, il convoqua le président de la Fed William Martin dans son ranch texan pour l’intimider après une hausse de taux. Martin raconta plus tard que Johnson l’avait « plaqué contre un mur », furieux. Martin tint bon, fidèle à sa célèbre devise : « Le rôle de la Fed est de retirer le bol de punch juste au moment où la fête commence. »
Richard Nixon vs Arthur Burns (1970-74)
Nixon réussit à placer Arthur Burns à la tête de la Fed, espérant une politique monétaire accommodante avant sa réélection en 1972. Burns céda à la pression. Les taux restèrent artificiellement bas. Résultat : une explosion de l’inflation à deux chiffres plus tard dans la décennie. Cet épisode est un avertissement clair des dangers d’une Fed soumise à l’exécutif.
Ronald Reagan vs Paul Volcker (1980-87)
Contrairement aux cas précédents, Reagan a laissé Paul Volcker mener une politique monétaire très restrictive pour casser l’inflation. Malgré des taux au-delà de 18 % et une récession sévère en 1982, Reagan ne l’a pas limogé ni attaqué publiquement. Volcker a ainsi restauré la crédibilité de la Fed — une des raisons pour lesquelles sa présidence est aujourd’hui saluée par les économistes.
Techniquement, non. Le président des États-Unis ne peut pas congédier le président de la Fed à volonté. Le Federal Reserve Act ne prévoit le renvoi que pour « cause grave », une notion juridiquement floue, mais contraignante. Aucun président de la Fed n’a jamais été renvoyé.
Si Trump tentait de le faire sans cause valable, cela provoquerait une crise constitutionnelle et financière. Ce serait perçu comme une attaque frontale contre l’état de droit et la crédibilité monétaire des États-Unis.
En revanche, Trump pourrait refuser de renouveler le mandat de Powell en 2026, ou tenter de nommer des membres plus favorables à ses vues au sein du Conseil. Une stratégie plus subtile, mais tout aussi inquiétante si elle vise à instrumentaliser la Fed à des fins électorales.
La perte d’indépendance de la Fed aurait des conséquences graves et durables :
La réputation des États-Unis comme refuge économique mondial repose en grande partie sur la neutralité et la compétence de sa banque centrale. La remettre entre les mains d’un exécutif capricieux, c’est jouer avec des allumettes au-dessus d’un baril de poudre.
La Fed n’est pas parfaite, mais son indépendance est un rempart essentiel contre les dérives politiques, les bulles spéculatives et l’inflation. Donald Trump, en tentant de soumettre Jerome Powell à sa volonté, ébranle un des fondements de la stabilité économique américaine.
Or, l’histoire nous enseigne que chaque fois qu’un président a tenté de manipuler la Fed, le pays l’a payé cher.
En ces temps incertains, il est plus que jamais nécessaire de défendre la compétence technocratique face à l’impulsivité politique, et de protéger les institutions qui, dans l’ombre, assurent l’équilibre d’un système économique mondial fragile.
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