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Politique
Chronique |

Trump, Poilievre et les universités

On saurait gré M. Poilievre de prendre plus clairement ses distances «des méthodes trumpistes» en matière d'indépendance universitaire.

Question piège, d’emblée: quel lien existe-t-il entre la démocratie et l’indépendance universitaire? 

Réponse courte: une multitude.

Sans indépendance universitaire, difficile d’assurer le progrès scientifique (et le progrès tout court), de fomenter la dissidence ou la critique gouvernementale et institutionnelles.

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Sans elle, on ne peut garantir l’imperméabilité entre intérêts partisans et savoirs objectifs, protéger la liberté des chercheurs, éviter censure et autocensure, ni favoriser le foisonnement d’idées contestataires et subversives.

Des doutes? Pensons notamment à toutes ces gigantesques manifs sur les campus en faveur de l’égalité raciale, du droit à l’avortement, de la cessation de la guerre du Vietnam et combien d’autres... Par la force des choses, ces moteurs d’expression dérangent le pouvoir et l’ordre établi et obligent la reddition de comptes. Parfait ainsi.

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Or, on sait l’ampleur des attaques vicieuses et pernicieuses dirigées par Washington à l’endroit des universités américaines, les grandes comme les petites.

On sait plus précisément les menaces fomentées quant aux manifestations permises sur leur campus, leurs politiques EDI et le maintien en poste de profs jugés «trop militants». 

On sait l’arrestation – voire le kidnapping – par l'ICE de Mahmoud Khalil, étudiant à la Columbia University, faisant maintenant face à des menaces d’expulsion du territoire américain. Son «crime»? Avoir organisé des manifestations pacifiques pro-Palestine sur le campus.

On sait les coupures de transferts fédéraux de 400 millions de dollars, au désarroi de cette même Columbia, par l’administration Trump.

On sait le musellement de la communauté scientifique par Robert Kennedy Jr., secrétaire d’État à la Santé, sur divers travaux et recherches universitaires, tentant d’implanter un agenda partisan, voire complotiste, à même ceux-ci.

On sait le doigt d’honneur d’Harvard, refusant de se plier aux menaces en question, effronterie lui ayant valu des coupures de 2,2 milliards de dollars en transferts fédéraux, et des insultes de Trump voulant qu’elle enseigne «la stupidité et la haine», voire l’antisémitisme, sans preuve aucune, bien entendu.

On sait l’annulation impromptue de la conférence de la Québécoise Joan Liu, à l’Université de New York, où elle devait disserter sur la catastrophe humanitaire afférente à Gaza.

On sait que craignant les représailles financières, quelques universités révoquent à titre préventif des visas d’étudiants.

On sait, ou devrait savoir que de nombreuses autres illustrations d’autocensure, souvent par définition non rapportées, pullulent probablement. 

On sait, par conséquent, l’écroulement d’un des socles par excellence de la démocratie.

Qui, par exemple, pour assurer la quête de la contestation, dissidence et science sachant un emprisonnement possible? La perte d’une chaire de recherche? Le congédiement pur et simple? Peu. Ou pas. 

Comique, quand même, de voir actuellement Pierre Poilievre prendre ses distances de Trump, lui qui copiait pourtant, encore tout récemment, une partie importante du livre de recettes du président américain.

Chassez le naturel, dixit l’adage, et il reviendra au galop.

Neil Oberman, candidat pour le Parti conservateur dans la circonscription de Mont-Royal, est en feu. Les politiques de son parti sont «claires, précises et très efficaces» : les universités «ne recevront pas un seul sou du gouvernement fédéral tant qu’elles n’auront pas fait le ménage, tant qu’elles n’en feront pas assez pour combattre l’antisémitisme».

Manifestement influencé par l’affaire Khalil, de l’Université Columbia, Oberman poursuit sa diatribe en se déclarant être en faveur de l’expulsion d’étudiants étrangers qui «participent activement à la destruction des minorités, des communautés».

Et la réponse de Poilievre, interrogé à savoir ce qu’il pensait des propos de son candidat?

Ceci: «On ne devrait jamais donner notre argent pour subventionner l’antisémitisme; je trouve ça aberrant que des universités ont gardé en place pour longtemps des profs antisémites» et que des « programmes font la promotion de la haine contre les juifs ». 

Comment répondre à tout ceci? Par un festival d’évidences...

  • Que l’antisémitisme doit être combattu, il va sans dire, sous toutes ses formes et coutures, en tout temps;
  • Que le Code criminel, à son article 319, interdit expressément la propagande haineuse à l’endroit d’un groupe identifiable, dont évidemment la communauté juive, est susceptible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
  • Que tout prof universitaire, étudiant et cadre est assujetti à ce même article;
  • Que lors des deux demandes d’injonction de l’Université McGill (dont une plaidée par Me Oberman) afin de démanteler le campement anti-génocide, aucune antisémitisme ou d’autre type de violence n’a été retenue par la Cour supérieure;
  • Qu’il n’y a pas de corrélation immédiate ou établie entre le fait de dénoncer un génocide et d’assurer la promotion du Hamas;
  • Que si Poilievre connaît bel et bien l’existence de «professeurs antisémites ou de programmes universitaires faisant la promotion de la haine contre les juifs», il serait bien aimable d’en faire part publiquement et, histoire de se rendre utile, de porter plainte au poste de police le plus près de chez lui. 

Dans l’intervalle, on lui saurait gré de nous épargner les machinations et autres frimes trumpistes. Il en va de la liberté universitaire, et conséquemment, de notre démocratie. 

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