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C’est quoi nos attentes quand on va au restaurant?
Je reviens sur un dossier très intéressant piloté par Nathaëlle Morissette lundi matin dans La Presse. Semblerait-il qu’à cause de la hausse des prix, la clientèle des restaurants troque le traditionnel souper au resto pour un déjeuner.
Tout d’abord, quelques chiffres mis de l’avant dans le texte de la journaliste. «En 2022, 47,4 % des restaurateurs ont augmenté les prix sur leur menu d’au moins 6 % à 10 %. Cette année, plus de la moitié (56,8 %) ont l’intention de les hausser de 6 % à 10 %.» Personnellement, j’ai été TRÈS surprise par ces chiffres. J’étais vraiment sous l’impression que le prix de l’assiette avait augmenté plus que ça.
Dans certains établissements que j’ai l’habitude de fréquenter, des plats que j’affectionne particulièrement sont passés de 22 $ à 35 $. C’est quand même une méchante différence. Et je passe sous silence la réduction des portions, qui est bien visible elle aussi.
Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. Pour la plupart des gens, aller au restaurant est un luxe. Or, avec la flambée des prix et la hausse des taux d’intérêt, certaines personnes ont juste carrément cessé d’y aller. J’avoue que dans les postes de dépense facile à couper, c’est le premier auquel je pense quand je dois me serrer la ceinture.
Moins de restos, moins de café sur le pouce (à 7 $ parce que le lait végétal est un extra), moins de commandes sur des sites comme DoorDash ou UberEats où, disons-le, on se fait avoir, pis pas à peu près.
Sauf que la vie, ce n’est pas juste des principes économiques et des postes de dépenses. Dans «la vie», y a le mot vie, justement. Et la vie, c’est chaotique, parfois imprévisible et souvent éreintant. Alors, même si je dois couper dans le gras — et je ne parle pas ici des gras trans — il m’arrive, comme mère de trois enfants, de sombrer dans ce que j’appelle «une soirée d’abandon». La grande démission. J’amène tout mon petit monde au resto ou je commande sur les sites sataniques évoqués plus haut. Mais j’avoue que j’y pense maintenant à deux fois. Et souvent, je me botte le derrière et je cuisine de quoi parce que c’est rendu que le resto pizz du coin me coûte 120 $. Ça fait un méchant trou dans mon budget. Avec ça, je pourrais me payer ̶u̶n̶e̶ ̶é̶p̶i̶c̶e̶r̶i̶e un sac d’épicerie et cuisiner deux ou trois repas.
Maintenant qu’on a dit ça, j’essaie de voir les choses autrement et de me demander pourquoi on n’est souvent pas prêts à payer pour la vraie valeur de ce qu’il y a dans notre assiette.
Quand on s’attable à notre restaurant préféré, on ne paie pas seulement pour le délicieux risotto aux champignons et le verre de rouge qui vient avec. On défait les cordons de la bourse pour vivre une expérience dans un local où l’ambiance aura été judicieusement pensée. On débourse pour le service, la musique. On paie POUR NE PAS LE PRÉPARER, LE RISOTTO, pour se le faire servir.
Une chose ne me rentre pas dans la tête. J’ai passé l’été à regarder mon feed Facebook et Instagram en voyage en Europe, malgré la flambée des prix (peut-être pas la meilleure expression alors que des feux s’abattent sur plusieurs pays, faisant des morts).
Et depuis que Taylor Swift a annoncé sa venue au Canada, bon nombre de mes connaissances ont annoncé leur intention d’acheter des billets. Des billets dont le prix oscille entre 2000 et 8000 $. Mais un risotto à 32 $ ? IM-POS-SI-BLE. «Les méchants restaurateurs s’en mettent plein les poches.» Non.
Une autre affaire à prendre en considération quand vient le temps d’aller manger au restaurant: est-ce que préparer le plat que j’ai envie de manger à la maison va me coûter moins cher? Dans 95 % des cas, oui. Mais quelques fois, ce sera moins cher et moins compliqué d’aller au resto.
Jasons du fameux poke bowl. Je me suis amusée à déterminer le coût de revient de ce plat qu’on est plusieurs à manger sur le pouce. Mettons que mon poke me coûte entre 15 et 20 $ dans un petit restaurant de quartier. Eh bien, si je n’ai rien pantoute pour le préparer (les petites sauces, le riz, le poisson, les légumes, etc.) ça me revient peut-être bien plus cher en temps et en argent de le préparer à la maison. Je ne suis donc pas si «perdante».
Là, vous allez me dire, «oui, mais Geneviève, si tu en manges souvent et que tu t’équipes pour en faire à la maison, tu vas rentrer dans ton argent assez vite». Vrai. Cet exemple servait à souligner que c’est OK, parfois, de payer pour du resto et que le temps et les ingrédients ont une valeur.
Les choses ont donc — breaking news — un coût. On sait aussi que le milieu de la restauration se bat depuis plusieurs années pour offrir un meilleur salaire et de meilleures conditions pour leurs employés. Un moment donné, il n’y a pas de miracle ni de magie. Le restaurateur n’a plus le choix. S’il veut offrir de bonnes conditions à son staff, il doit refiler une partie de la facture à ses clients. Pour minimiser leurs coûts opérationnels,
Plusieurs restaurateurs ont modifié leur vision du service. Attention, ça ne veut pas dire que tu ne te fais plus servir ton assiette. Juste que les frontières entre les postes sont de plus en plus fluides. Par exemple, les gens en cuisine font aussi le service et il y aura moins d’ustensiles, de changements d’assiettes et de verres. Tous des détails qui comptent quand vient le temps de couper dans les coûts d’opération.
Une autre tendance qu’on voit de plus en plus, de payer sa place à l’avance. Plusieurs restaurants gastronomiques le font pour prévoir la gestion de leurs stocks et éviter les no show. Une calamité. Ne faites pas ça. Jamais.
C’est sûr que quand on parle de gastronomie, les gens s’attendent à ce que ça coûte plus cher que deux steamés à la Belle Province ou qu’une soupe tonkinoise. Je me verrais mal payer à l’avance mon quart cuisse chez St-Hubert, mais vous comprenez le principe.
Est-ce que les restaurateurs doivent se tourner vers d’autres types de produits? C’est peut-être une piste. La viande, c’est cher et ça va l’être de plus en plus et c’est sans compter le coût environnemental d’offrir un menu carné.
Certains excellents chefs comme Marc-Olivier Frappier du restaurant Mon lapin (qui vient d’être sacré meilleur restaurant au Canada) cuisinent beaucoup avec les légumes et intègrent des légumineuses à leur menu. Le problème, c’est que ce ne sont pas des aliments qui sont considérés par la majorité comme faisant partie prenante de ce que l’on considère comme «de la haute cuisine». Alors parfois, les clients chialent. Ils sont déçus. Ils ne s’attendent pas à trouver ce type d’aliments à une table gastronomique.
Pourtant, les chefs restaurateurs qui possèdent ce type d’établissement ne font pas juste créer des plats. Ils ont toute une réflexion sur leur place dans la chaîne alimentaire, sur l’empreinte carbone, sur les aliments du futur. Ils ont une vision.
C’est normal qu’ils aient envie d’explorer et de faire partie de la solution. Je vois mal un ou une jeune cheffe dire «moi, je me fous de l’environnement et des conditions de travail de mon staff». Ce n’est juste plus comme ça que ça fonctionne. Il faut dire adieu à la restauration d’avant et songer à ce que ça devrait être un restaurant, maintenant.
Ce qui m’amène à notre rôle comme de consommateur de restauration. On a des choses à apprendre comme client. On doit comprendre le coût de notre assiette et faire notre bout de chemin en ne considérant pas juste le prix que ça coûte à préparer, des pâtes carbonara.
C’est quoi nos attentes quand on va au restaurant? Encourager nos restaurateurs locaux, les chaînes québécoises, c’est fondamental. Comprendre leur réalité et se montrer solidaire, c’est aussi important. Les restaurants québécois et ceux qui y cuisinent et qui nous y servent des délices font partie de notre culture et de notre identité. Y aller moins souvent, peut-être, mais y aller mieux? Est-ce que ça fait partie des solutions?