Le Mascouchois de 28 ans a témoigné pour sa défense à son procès pour homicide involontaire, délit de fuite mortel et conduite dangereuse causant la mort, au palais de justice de Sherbrooke, jeudi.
Au moment des événements, sa conjointe de l’époque habite Sherbrooke depuis quelques mois, tandis que lui vit à Mascouche. «J’allais la voir la fin de semaine avec mon auto, chez moi, chez elle, les fins de semaine», explique-t-il.
Kouddar se réveille chez sa conjointe dans l’après-midi le samedi. «Elle me dit qu’elle a besoin de nourriture et de litière à chat. […] Plus particulièrement elle me demande d’aller au Walmart», explique-t-il. Il est décidé qu’ils prennent la voiture de Kouddar.
Ils arrivent au Walmart vers 16h30 et se stationnent «un peu plus éloignés de la porte». Ils sortent du véhicule et remarquent la présence d’une agente de sécurité, qui semble donner des indications quant aux mesures sanitaires en place.
«Je vois devant moi qu’il y a des personnes qui entrent ensemble. Il y a clairement des personnes qui sortent du même véhicule qui passent ensemble, devant moi», relate Kouddar. Leur tour venu, l’agente leur aurait toutefois refusé la même chose et seule la conjointe est admise.
«[L’agente de sécurité] est baveuse et arrogante avec moi. Autoritaire, baveuse et arrogante», décrit l’accusé, qui aurait à son tour été baveux. «Je lui ai parlé de la façon qu’elle m’a parlé […] Je lui répondais de la même façon qu’elle me parlait», a-t-il indiqué à la cour. Il indique à l’agente qu’il «trouve ça injuste», avant que sa copine n'entre à l’intérieur. L’agente lui indique qu’il peut rester à l’extérieur, à une distance de deux mètres de la porte. Il choisit ensuite de s’éloigner de la file d’attente.
«Je suis resté comme ça pendant je ne sais pas combien de temps. Après ça, il y a un agent de sécurité qui sort. Un gars sort du Walmart, met ses gants noirs et s’approche de moi. J’ai réalisé que c’était un agent de sécurité quand j’ai vu sur son chandail [sur lequel] il était écrit Titan Sécurité», explique Kouddar, qui décrit l’agent comme étant assez bâti, fait fort. L’agent Philippe Jean s’approche de lui et lui dit «deux mètres».
«Il met sa main sur moi, il me pousse à plusieurs reprises en me disant ‘’deux mètres’’, pendant que moi je recule», décrit l’accusé. «Il venait enragé. Arrogant. Il me pousse. ‘’Deux mètres! Deux mètres !’’. Il rentre dans ma bulle», poursuit-il. Selon son récit, Philippe Jean commence ensuite à lui lancer des insultes racistes. Les deux hommes s’échangent ensuite des politesses.
«Il me parlait baveux, méchant. Moi, je lui ai parlé baveux, méchant», décrit Kouddar.
«Toi, tes grosses lunettes dans la face, tu m’envoies chier gratuitement. Tu ne sais pas je suis qui», aurait lancé Kouddar. «J’ai décidé de me retirer de ça, de m’éloigner de cette personne-là et de retourner à mon véhicule», continue-t-il.. Il estime n’avoir jamais touché physiquement à l’agent.
De retour à sa voiture, il appelle son meilleur ami pour lui expliquer la situation, mais celui-ci ne répond pas. Il se tourne vers sa conjointe et l’appelle alors qu’elle se trouve toujours dans le magasin.
«Mon état émotionnel quand je parlais à Jessica, je n’étais pas content, c’est sûr et certain. Je venais d’avoir des propos racistes, je ne suis pas content de ça et je l’explique à ma blonde», décrit Kouddar. Sa conjointe le calme et le rejoint quelques minutes plus tard dans l’Acura, avec les commissions.
À ce moment, l’accusé avoue être repassé devant le Walmart pour lancer une insulte à Philippe Jean.
«Mon intention c’était d’avoir le dernier mot. Il avait été raciste avec moi, je voulais être baveux. Je voulais avoir le dernier mot.»
«Ça vous donne quoi de faire ça ?», demande son avocat. «De me vider le cœur», répond l’accusé. Alors qu’il quitte, il estime que l’événement est terminé. Il quitte avec une «conduite lente», explique-t-il. Kouddar se trompe et tourne à gauche dans le stationnement au lieu de poursuivre sa route vers la sortie, au feu de circulation de la 13e avenue. Sa conjointe l’informe de sa bévue et il reprend donc à droite.
«Je vois un véhicule Lincoln Navigator blanc, un VUS qui vient pédale au fond vers moi. Au moment où je l’ai aperçu, c’était vers la fin qu’il arrivait vers moi. Il venait pied, pied, pied au fond. C’est sûr et certain que si je n’avais pas fait un arrêt d’urgence, c’est sûr, sûr, sûr qu’il allait me foncer dedans», estime Kouddar, qui croit que la portière du côté passager aurait été la cible du contact, s’il était survenu.
Kouddar et sa conjointe, dit-il, sont alors apeurés.
«On s’est dit : ‘’c’est un malade !’’. C’est un malade qui vient pied au fond pour me foncer dedans.»
C’est quand Philippe Jean sort de son véhicule et vient vers lui au pas de course que Kouddar réalise qu’il s’agit bien du même agent de sécurité avec qui il s’est disputé quelques instants plus tôt. «Ma blonde pleurait à ce moment-là», raconte-t-il.
«Il a bombé son chest, il s’est gonflé pour se montrer plus grand, plus supérieur, il a retroussé ses manches, fermé ses poings […] Il faisait des signes de provocation, en voulant dire, vient te battre. Il était en colère, il était enragé. Quand il est sorti de son véhicule, il n’était pas venu pour me donner un bec.»
«Je ne sais pas quoi faire, je n’ai jamais vécu ça. Je ne veux pas commencer à manger une volée dans le parking du Walmart», décrit l’accusé, qui choisit de reculer avec son véhicule. «Il court et ne veut pas que ça se finisse là. Il court vers moi pendant que moi je m’éloigne», note l’accusé. À un certain moment pendant que Kouddar recule, Philippe Jean rebrousse chemin et retourne à sa voiture.
«Pour moi, c’est sûr que quand je l’ai vu retourner à son véhicule, moi dans ma tête je me suis dit c’est fini. Il a fait son show, il a voulu me faire peur, m’intimider, faire un spectacle», explique l’homme de 28 ans.
Mais Kouddar s’était trompé. Selon sa version des faits, il se remet en marche avant pour contourner le camion de Philippe Jean et espérer se diriger vers la sortie.
«Je roule vitesse normale. Je le vois à la dernière minute. C’était imprévisible. Je vois un agent de sécurité qui court vers mon véhicule. Moi jamais je n’aurais pensé que quelqu’un pouvait courir vers un véhicule en mouvement», raconte Kouddar, qui croit alors que Philippe Jean a sauté sur sa voiture. «Je n’ai pas eu le temps de réagir. Imprévisible», répète-t-il.
«Moi, j’avance, je continue de rouler. ll a commencé à casser mon pare-brise. Il n’arrêtait pas de donner des coups de poing. J’étais en état de panique. […] Je recevais des éclats de vitre à chaque coup qu’il donnait.»
Selon Kouddar, Philippe Jean «criait au meurtre» et lui demandait, même une fois sur le véhicule, de se battre. Contrairement aux versions présentées par trois témoins civils, Kouddar estime ne pas avoir accéléré une fois la victime en place sur son capot. «C’était une conduite lente», a-t-il estimé. Il a poursuivi sa route vers la sortie et dit ne pas savoir comment Philippe Jean est tombé du véhicule.
«Sauté, débarqué ? Je n’en ai aucune idée. Je ne le sais pas. Je ne le sais vraiment pas. […] Je sais qu’à un moment donné, ça a arrêté de piocher sur le char à coups de poing», a-t-il indiqué.
«Une fois qu’il n’est plus sur mon véhicule, je me dirige vers la sortie. J’ai fait ma lumière, j’ai fait un arrêt. J’ai continué mon chemin.»
Peur
Kouddar a été longuement questionné par son propre avocat sur sa prise de décisions après l’événement. Pourquoi n’est-il pas resté sur place après coup ?
«Au moment où il n’était plus sur mon véhicule, moi j’avais toujours peur. Il a été capable la première fois de quitter son poste de travail et de me pourchasser. Moi, je n’ai jamais voulu sortir de mon auto. Est-ce qu’il va rembarquer dans son Lincoln Navigator pour venir me pourchasser ? Moi j’avais peur de ça. Ma blonde m’a dit ‘’Nacime, va-t’en’’», a expliqué l’accusé.
Il dit n’avoir fait aucune démarche pour voir où était l’agent de sécurité. «Moi, mon but, c’était de me mettre en sécurité et de quitter les lieux», a-t-il insisté. Il n’a alors «aucune idée» de l’état de santé de l’agent.
«Hors de question que j’ouvre la porte de mon auto, que je sorte de mon auto et que je mange une volée. Il était hors de question que je me mette en danger. […] Je suis convaincu que l’attaque se serait poursuivie. De ma perception à moi, je suis sûr qu’il aurait continué», poursuit Kouddar.
La conjointe de l’accusé et lui auraient convenu d’appeler le 911 une fois rendus à l’appartement de Mme Lahaie-Chartier. L’avocat de la défense a aussi demandé à son client s’il n’aurait pas pu s’arrêter sur la route pour appeler la police.
«Mentalement, je n’étais pas là. Le seul but que j’aurais eu pour appeler la police, ça aurait été pour porter plainte pour agression», dit Kouddar.
À leur arrivée à l’appartement, Kouddar téléphone plutôt à son meilleur ami. Il sera arrêté plus tard arrêté par les policiers au domicile de Mme Lahaie-Chartier
«J’étais content, j’étais soulagé de voir la police. Anyway je les aurais appelés pour porter plainte», explique Kouddar. Les policiers, toutefois, l’informent qu’il est en état d’arrestation pour «voies de fait armées, quelque chose de même».
«Je dis à la madame ‘’c’est pas moi qui devrais être arrêté’’, je dis ‘’moi j’ai été victime, je me suis fait attaquer’’», relate-t-il.
Kouddar a expliqué au début de son témoignage qu’il travaille maintenant avec son père en construction, après avoir perdu son emploi dans le domaine du ravitaillement de pétrole, à la suite de l’événement impliquant Philippe Jean. Bien qu’il espère devenir électricien, il estime que l’interdiction de conduire un véhicule lui nuit. Il souhaite aussi attendre la fin des procédures judiciaires.
Arrestation
La policière Caroline Landry a aussi témoigné jeudi matin. Elle était en patrouille avec un coéquipier au centre-ville de Sherbrooke lorsqu’elle reçoit un appel. «Un homme a foncé dans un citoyen et a quitté les lieux aux galeries Quatre-Saisons», détaille-t-elle. On lui fournit un numéro de plaque et une adresse et ils se rendent ensuite à cette adresse.
Le véhicule s’y trouve et quelques minutes plus tard, Kouddar apparaît à l’extérieur et se dirige vers eux. La policière a pu l’identifier grâce à une photo sur Facebook.
«On le met en arrestation pour agression armée, on lui a lu ses droits», explique l’agente Landry. Kouddar est ensuite amené en véhicule de patrouille au poste de police.
En contre-interrogatoire, la policière a indiqué que le véhicule de l’accusé n’était ni caché, ni camouflé ou dans une position «dure à voir». Selon son rapport, le véhicule en question a été retrouvé vers 17h37. C’est vers 18h20 que Kouddar serait apparu dans le décor, mais la policière ne l’a pas vu sortir d’un bâtiment. Selon elle, il ne cherchait pas à fuir.
«C’est lui qui m’a foncé dessus !»
En contre-interrogatoire, Nacime Kouddar a dû répondre à de nombreuses questions de la procureure de la Couronne, Me Gabrielle Cloutier. Il a fourni essentiellement les mêmes réponses que lors de son interrogatoire principal.
Une collègue de Philippe Jean témoigne pour la défense de Kouddar
Une collègue au Walmart de Philippe Jean a aussi été appelée par la barre par la défense. Selon Trycia Maurice, son collègue a conduit de manière «irresponsable» et «dangereuse» dans le stationnement.
«Moi, avoir été dans l’Acura, j’aurais été terrorisée», a indiqué la témoin. Elle a confirmé que Philippe Jean avait donné des coups dans le pare-brise du véhicule, après s’y être retrouvé.
«J’ai vu une injustice par rapport à ce qui s’est passé. La victime, c’est M. Jean, la personne à protéger c’était monsieur Jean», a pensé Mme Maurice initialement.
«Quand j’en ai parlé avec mon psychologue, je me suis dit, il n’y a pas juste une victime là-dedans», a-t-elle poursuivi, en faisant allusion à M. Kouddar.
«Si M. Jean était resté à son poste de travail, rien de tout ça ne se serait passé. M. Kouddar serait rentré chez lui», a-t-elle indiqué.
«Qui a attaqué ?», a demandé l’avocat de l’accusé. «C'est définitivement M. Jean qui a attaqué M. Kouddar», a répondu Trycia Maurice.