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Shumi Akter, qui a changé de nom lorsqu’elle s’est récemment convertie à l’Islam, se souvient des fissures dans les murs du Rana Plaza, et du matin où on l’a appelée pour travailler. Le matin fatidique du 24 avril 2013, elle se rend à son poste de couturière, seulement pour entendre, moins d’une heure après le début de son quart, sa responsable crier : «si vous voulez survivre, courez!».
Elle ne sait pas combien de temps elle a perdu connaissance, mais elle se réveille sous les décombres, une poutre coince sa jambe et elle est ensevelie par deux cadavres. Shumi Akter, alors âgée de 16 ans, est secourue trois jours plus tard. «Les secouristes m’ont donné de l’eau, puis m’ont amené à l’hôpital». C’est là que la terrible nouvelle tombe : il faudra lui amputer la jambe, puisqu’elle a été trop longtemps coincée sous la poutre. Son séjour hospitalier durera trois mois. «Ce n’est qu’un mois plus tard que j’ai appris que ma mère, qui travaillait aussi dans l’atelier du Rana Plaza, est morte», répète Shumi Akter, émue.
Voyez le reportage complet d'Anaïs Elboujdaïni dans la vidéo.
Dans un village non loin de là, Muhammed Aladin, 33 ans, ne se souvient de rien lorsque l’accident est arrivé. Il était au 6e étage, derrière une machine à coudre où il fabriquait des vêtements pour le compte de Joe Fresh. «Je pensais que je travaillais pour une compagnie de grande valeur, une compagnie canadienne importante», lance-t-il en bengali. «Mais après l’accident et le peu d’indemnisation que nous avons reçu, j’ai été blessé par le manque de respect total pour nous, les survivants.»
Il est retourné vivre chez ses parents, et ne peut pas travailler en raison d’une fracture au dos qui lui cause des douleurs permanentes.
Il sort plusieurs documents, dont des radiographies de sa colonne vertébrale et nous montre des photos de lui, lorsqu’il était dans le coma à l’hôpital. «Quand je vois ces photos, je me dis que j’aurais préféré mourir ce jour-là. Je ne veux pas montrer au monde que je souffre, mais Dieu seul sait la douleur que je porte», lance celui qui ne peut plus travailler et qui peine à s'asseoir plus de trente minutes à la fois.
«Plus le temps passe, plus ma situation devient critique», lance-t-il, relatant les nombreux passages qu’il a effectués dans des hôpitaux même en Inde.
«Dix années ont passé, mais je dois continuer à prendre des médicaments tous les jours. Je me dis que ç’aurait été mieux si j'étais mort durant l’incident du Rana Plaza», lance-t-il, froidement, visiblement exténué.
Parmi les nombreux documents étalés sur son lit, Mohamed montre une enveloppe qui contient les formulaires pour obtenir un visa pour le Canada.
«Je devais y aller pour notre cas qui devait être présenté devant les tribunaux», lance-t-il, déçu.
Déçu, parce que les démarches judiciaires n’ont pas porté les fruits escomptés.
Mohamed et Shumi font partie d’un recours collectif intenté contre la compagnie Loblaws et le Bureau Veritas, qui devait se charger de l’inspection du bâtiment dans lequel travaillaient les employés de l’industrie du textile. Cette poursuite, intentée en 2015, a finalement été déboutée en Cour Suprême du Canada en 2019.
«Si cet accident n’avait pas eu lieu, il y a dix ans, et que je n’avais pas perdu ma jambe, je pourrais travailler aujourd’hui et faire vivre ma famille», dit la mère d’un garçon de 8 ans.
Seul son conjoint est en mesure de travailler, mais les maigres sommes qu’il rapporte quotidiennement ne sont pas suffisantes pour faire vivre la famille - qui inclut sa belle-mère, sa belle-sœur et ses enfants.
«Nous vivotons : certains soirs, nous n’avons même pas de riz à manger. Je voudrais offrir une meilleure éducation à mon fils, mais comment?»
De son côté, la compagnie Loblaw rappelle l’aide qu’elle a déjà fournie aux victimes. «En avril 2013, Loblaw s’est engagée à fournir de l’aide, des compensations et à améliorer les normes de sécurité des usines au Bangladesh. Depuis, nous avons versé plus de 5 millions de dollars pour l’aide et l’indemnisation à l’échelle locale», répond Johanne Héroux, directrice principale, Affaires corporatives et communications chez Loblaw, dans un courriel envoyé à Noovo Info.