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J’arrive devant ce qui ressemble à une petite grotte enterrée sous terre. La personne qui m’accueille me fait visiter la chambre souterraine où je dois passer les 24 prochaines heures dans le noir total. L’endroit est plus petit que je croyais et meublé d’un lit au sol. L'objectif: «un voyage intérieur».
Le nom du propriétaire et le lieu de la retraite ne sont pas divulgués en raison d’un anonymat qui a été octroyé par Noovo Info. Le but était préalablement de vivre l’expérience pour en tirer un reportage sur le phénomène. Cependant, à la lumière d’informations soumises par des experts en santé, nous avons remarqué que ce type de retraites comportait des risques. Il a également été possible de confirmer auprès de la municipalité où se situe la retraite qu'elle était opérée sans les permis habituellement requis.
Les retraites dans le noir ont défrayé la manchette en février dernier lorsque le joueur de football américain Aaron Rodgers a raconté s’être isolé quatre jours dans l’obscurité quelque part en Orégon pour réfléchir à son avenir dans la Ligue nationale de football (NFL).
Les adeptes de cette pratique vantent les vertus de l’isolement dans le noir: «explosion de créativité», «guérisons significatives» et «expériences psychiques inoubliables».
La pratique s’implante peu à peu au Québec, alors qu’une poignée de chambres noires sont en opération dans la région montréalaise et en périphérie. Mais ailleurs dans le monde, elle gagne en popularité depuis plusieurs années.
En République tchèque, le psychologue Marek Malůš s’intéresse aux bienfaits potentiels de l’obscurité depuis 2011. Il est l’un des seuls chercheurs dans le monde à publier sur le sujet.
Selon lui, «un séjour de 24 heures est suffisant pour soulager la surcharge de stimulus, pour améliorer la mémoire et également pour la flexibilité cognitive et comportementale».
Un passage dans le noir pourrait également augmenter l’estime de soi, réduire les expériences anxieuses ou dépressives ou même améliorer la forme physique, énumère le chercheur, lors d’une entrevue par visioconférence avec Noovo Info.
Les résultats d’une étude préliminaire ont démontré que les symptômes d’épuisement professionnel pourraient aussi être améliorés après une exposition prolongée à l’obscurité. Les taux d’épuisement professionnel auraient diminué drastiquement jusqu’à un mois après la thérapie. Une étude de suivi de plus grande envergure sera réévaluée prochainement à ce sujet.
Avant le début de mon isolement, on me retire mon téléphone cellulaire, qui ne me sera remis qu’à ma sortie. Une personne doit revenir vérifier le lendemain matin que tout se déroule comme prévu.
L’humidité est bien présente lorsqu’on passe le pas de la porte. Une toilette sèche est située dans le corridor de l’entrée. Une forte odeur d’urine s’en dégage. On m’a également préparé une boîte à lunch dont je pourrai découvrir le contenu une fois plongée dans l’obscurité.
Je n’ai plus aucune façon d’entrer en contact avec l’extérieur lorsque je pénètre dans la pièce de béton armé. Une fois la porte fermée, une seule lumière demeure que je dois éteindre lorsque je me sens prête.
J'allumerai cette lumière occasionnellement durant les quelques heures passées sous terre. Incapable de me détendre, ce sera ma seule façon de reprendre le contrôle de ma peur. Ma tentative dans la retraite dans le noir ne sera finalement pas de tout repos.
Alors que j’essayais de dormir durant mon expérience, des formes vertes semblaient s’animer sous mes paupières m’empêchant de me détendre. Je crois même avoir vu une ombre se diriger à grande vitesse vers moi.
Des hallucinations qui relèvent d’un «mécanisme assez bien connu en neurosciences cognitives», explique Dave Saint-Amour, professeur au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal et membre cofondateur du Centre de recherche en neurosciences cognitives de l’UQAM.
Le système visuel occupe environ le tiers du cerveau humain et est connecté à l’ensemble des structures cérébrales, décrit-il. «Pour que tous les sens puissent interagir ensemble de façon cohérente et harmonieuse, il y a un mécanisme de suppression ou d'inhibition d'un sens sur l'autre.»
Le cerveau s'adapte donc à la suppression de l'information visuelle. «Les mécanismes inimitables vont diminuer leur efficacité. Et la conséquence de ça, c'est qu'il va y avoir une augmentation de l'activité dans le cortex visuel, même en l'absence de vision», poursuit-il.
Cette augmentation d’activité dans les régions postérieures du cerveau sera interprétée potentiellement comme la cause d’un objet réel. Dans le noir complet, il s’agit donc d’une hallucination.
«Après quelques heures ou même quelques jours, des hallucinations sont normalement attendues. Il y a des variabilités individuelles, même dans le type d'hallucinations, mentionne Dave Saint-Amour. Les hallucinations en général sont positives ou neutres. Parfois, elles peuvent être négatives.»
Bien qu’elles ne provoquent pas d’effet négatif à long terme, ces hallucinations ont certainement contribué à augmenter mon inconfort dans la chambre noire. Pendant mes quelques heures d’isolement, je me suis sentie anxieuse, ce qui n’est pas habituel pour moi. Je n’avais d’ailleurs pas été informée de cette possibilité par les organisateurs.
Pour la Dre Christine Grou, psychologue clinicienne et présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, ce type de retraite comporte des risques pour la santé psychologique des participants et devrait lever des «drapeaux rouges».
«C'est très à risque d'engendrer de l'anxiété, des sentiments dépressifs, des distorsions cognitives, pour certaines personnes, ça peut aller jusqu’aux hallucinations ou à la désorganisation comportementale plus sérieuse», note-t-elle.
Cette dernière rappelle que l’humain n’est pas fait pour être privé de stimulation. «Honnêtement, les psychologues ne pratiquent pas ça parce que, déontologiquement parlant, ça ne correspond pas aux standards de la démonstration scientifique.»
Elle invite également la population à se documenter avant d’entreprendre ce type d’expériences. «Quand on nous promet des résultats miraculeux, il faut toujours s'inquiéter», conclut-elle.
Même pour le chercheur tchèque Marek Malůš, il est essentiel que les personnes qui offrent ce type de services soient bien formées pour gérer les réactions potentielles des participants.
Il cite des études selon lesquelles des expériences traumatisantes ou refoulées peuvent refaire surface dans un tel contexte. Une formation complète en psychothérapie serait donc nécessaire, selon lui, afin d’éviter un nouveau traumatisme.
Il ajoute que le «sentiment de sécurité» des participants est une composante essentielle pour que l’expérience se déroule bien.
«Cela signifie essentiellement deux choses. Que vous devez vous sentir en sécurité avec la personne. Et après c'est la confiance dans l'endroit, dans l'environnement. Par exemple, que la porte est barrée, que vous êtes protégé du fait que personne ne peut entrer dans le lieu sauf le fournisseur de services et en même temps que vous pouvez quitter l'environnement à tout moment», note-t-il.
De mon côté, il était impossible de verrouiller la porte.
À la lumière de ces informations, Noovo Info a contacté le propriétaire afin de lui présenter les doutes soulevés par les différents experts rencontrés. Ce dernier est-il formé en psychothérapie?
«Non, non, pas en psychothérapie, affirme-t-il d'emblée. Moi je suis professeur de méditation depuis 20 ans. Je comprends quand même ce genre de processus, souvent plus que quelqu'un qui a été formé dans une université.»
À savoir s’il était au courant des risques potentiels d’un isolement dans le noir, ce dernier a affirmé qu’un saut en parachute présentait également des risques. «Il y a des risques dans tout ce qu'on peut entreprendre», ajoute-t-il.
«Ce n’est pas quelque chose que j’offre au grand public», poursuit-il.
Ce dernier avance également que ce n’est pas une expérience offerte au grand public. Pourtant, une page Facebook existe et une simple recherche Google amène directement au site internet de l’endroit.
«C'est pour un public averti, répond-il. Peut-être que c'est un sujet qu'il faudrait que je garde plus discret encore.»