Début du contenu principal.
«Le recul du droit des femmes nous a appris que rien ne peut être tenu pour acquis.»
Ce que l’on craignait depuis plusieurs semaines s’est avéré: depuis vendredi dernier, il n’existe plus de protection constitutionnelle du droit à l’avortement aux États-Unis. La Cour suprême a décidé de renverser la décision phare, Roe c. Wade, et ainsi d’effacer 50 ans de progrès social.
Désormais, l’accès à l’avortement sera impossible ou très limité pour des millions d’Américaines se trouvant dans la poignée d’États qui se réjouissent de la décision. On évalue que 26 États sur 50 vont restreindre, interdire ou même criminaliser l’avortement dans les cas extrêmes.
À lire également:
De ce côté-ci de la frontière, l’idée de retirer un droit qui était garanti depuis près d’un demi-siècle semble complètement irréel, mais pour les Américaines, c’est un droit qui était menacé depuis le premier jour avec les lobbys religieux ultraconservateurs qui menaient le combat de front. Que ce soit en bloquant l’accès aux cliniques, en intimidant les patientes, en menaçant les médecins ou en faisant des pressions sur les élus républicains et j’en passe.
Dans certains États, des lois «gâchettes» (trigger laws) avaient été préalablement votées pour interdire l’avortement dès que Roe c. Wade était renversé. Au point où lorsque la décision est tombée, des patientes ont dû être renvoyées à la maison à quelques minutes ou quelques heures de leur procédure. Leur solution? Conduire, parfois pendant plusieurs heures, dans une clinique située dans un État plus progressiste et espérer y obtenir un rendez-vous.
Ce n’est pas les interruptions de grossesses par choix qui sont uniquement menacées, mais aussi les procédures suivant une grossesse ectopique dangereuse pour la mère, les malformations congénitales nécessitant une interruption ou encore les procédures après une fausse couche. Il n’est pas non plus garanti que les victimes d’inceste ou de viols puissent interrompre leurs grossesses assurément non désirées.
Des États et certaines villes ont déjà annoncé qu’ils seront des refuges pour les femmes non-résidentes. La ville de Chicago par exemple, ou encore la Californie font partie de ce mouvement qui débloque des fonds pour permettre aux femmes de s’y rendre à peu ou pas de frais. Non seulement les procédures sont souvent coûteuses, mais il faut aussi calculer un budget de voyagement incluant transport et logement pour chacune d’entre elles.
À l’opposé, certains législateurs dénoncent déjà ce qu’ils appellent le futur «tourisme de l’avortement» et veulent proposer des lois empêchant les citoyennes de se rendre dans un autre endroit pour recevoir des soins. Ils vont même jusqu’à proposer un système de dénonciation et de poursuites au civil pour freiner les personnes qui auraient cette idée.
Des activistes et élus démocrates ont aussi proposé que des cliniques soient construites sur les terres fédérales dans les États conservateurs, ce que la Maison-Blanche a déjà rejeté comme solution en affirmant qu’une telle chose aurait des «ramifications dangereuses» avec des patients et médecins qui pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires.
La grande question: que peut faire Joe Biden ou la majorité démocrate? La réponse simple: très peu. La solution la plus claire est celle de passer une loi qui pourrait garantir le droit à l’avortement partout au pays. Le problème? Il faudrait avoir l’appui d’au moins 10 républicains, ce qui est impensable dans le climat politique actuel.
Joe Biden a promis de protéger l’accès à l’avortement jusqu’à la limite de ses pouvoirs. Par exemple, s’assurer que des pilules abortives puissent être envoyées par la poste dans des États où l’avortement est interdit, s’assurer de l’accès à des moyens de contraception et finalement, de défendre le droit d’une femme de voyager d’un État à l’autre pour avoir une procédure.
Les avocats des organisations de santé féminine comme Planned Parenthood s’activent pour empêcher les États de passer des lois restrictives. Ils ont eu jusqu’à maintenant au moins deux victoires. En Louisiane et au Texas, les avortements sont pour l’instant possibles le temps que la Cour réexamine les lois «gâchettes». Une solution temporaire, certes, mais qui donne un peu d’espoir aux femmes en situation précaire.
Ce qui est le plus inquiétant (parce que oui il y a pire), c’est que d’autres droits sont menacés.
Clarence Thomas, l’un des six juges conservateurs a mentionné que certaines décisions devraient être revisitées. Parmi celles-ci: Obergefell c. Hodges en 2015 sur le mariage entre personnes de même sexe, Lawrence c. Texas en 2013 qui a rendu légal les relations sexuelles entre personnes de même sexe et Griswold c. Connecticut en 1965 qui a légalisé l’utilisation de moyens de contraceptions entre personnes mariées. Est-ce qu’elles seront aussi renversées prochainement? Non, mais le recul du droit des femmes nous a appris que rien ne peut être tenu pour acquis.