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«C’est un gros bébé, tu pourrais espacer ses boires sans problème.» Un banal conseil non sollicité, selon plusieurs. Pourtant, c’est assez choquant.
«C’est un gros bébé, tu pourrais espacer ses boires sans problème».
Mon troisième bébé est au 97e percentile sur la courbe de croissance pour son poids et sa grandeur, et j’allaite à sa demande. J’entends donc ce commentaire sous diverses formes depuis quelques mois.
Un banal conseil non sollicité, selon plusieurs. Pourtant, c’est assez choquant.
«On sait bien, les corps gros n’ont pas besoin de se nourrir autant que les autres, ils ont de bonnes réserves.»
Je sais que vous vous empresserez de me rassurer, voyons, ce n’est sans doute pas ce que la personne à l’origine de ce commentaire a voulu dire! Mais c’est exactement ce que ce propos insinue, malgré toutes les bonnes intentions.
Lorsqu’une personne me suggère d’espacer les boires de mon bébé avec comme seule information en main la grandeur de son cache-couche, elle établit la fausse corrélation que le poids est intrinsèquement lié à la quantité de lait ingurgité. Elle me propose d’être à l’écoute d’une balance davantage qu'aux signes de faim de mon bébé. Elle insinue que la personne qui allaite fait quelque chose de pas correct. Elle omet complètement toutes les autres dimensions liées à l’allaitement (au-delà du fait de nourrir son enfant, un bébé peut vouloir boire pour des raisons de sécurité, de réconfort, d’attachement, etc.)
Bref, elle me suggère d’affamer mon bébé parce qu’il a des plis.
(«Ah, mais des plis c’est si cute pour un bébé» est d’ailleurs une autre variante de grossophobie ordinaire que j’ai reçue, comme pour m’avertir de la date d’expiration du corps de mon bébé qui deviendra ensuite inadéquat aux yeux de la société.)
Un bébé qui n’a même pas six mois.
Un autre exemple : «Cela va sans doute se résorber quand bébé va marcher». Ah bon. Et ce problème qui doit être «corrigé» est … le corps de mon bébé ?
Je me suis également fait demander ce que je faisais de différent cette fois-ci, car mes deux autres bébés étaient à l’autre bout complètement du spectre de la courbe de croissance. Lorsqu’il est question de grossophobie, on évacue systématiquement les causes biologiques et environnementales, alors que plusieurs facteurs extérieurs et hors de notre contrôle influencent le poids.
Alors que je partageais cette réflexion sur les réseaux sociaux, une mère m’a confié que son médecin lui avait suggéré d’offrir de l’eau à son bébé de sept mois plutôt que du lait «pour qu’il ne commence pas sa vie en surpoids».
La possibilité de vivre dans un corps gros inquiète davantage que la réponse aux besoins primaires d’un bébé, soit celui de boire du lait, son aliment prioritaire jusqu’à l’âge de 1 an. Difficile de me convaincre ensuite que la grossophobie ne discrimine pas et qu’il s’agit simplement de s’enquérir de la santé d’autrui (lire ici, uniquement celles des personnes grosses) comme plusieurs s’entêtent à le défendre.
Tout le monde a le droit de manger à sa faim sans être stigmatisé. Surtout les enfants, dont le corps et les besoins évoluent rapidement. Commenter le corps ou l’alimentation d’une personne, c’est non. En tout temps.
Parce que je ne souhaite pas non plus que mes autres enfants entendent ce genre de propos. «La manière dont on parle de soi-même ou des autres, surtout lorsque c’est négatif, a une influence primordiale dans le développement des tout-petits. D’imposer ses propres préjugés sur le poids ou un régime à un enfant peut avoir des impacts psychosociaux négatifs: isolement, dépression, stress, troubles alimentaires», peut-on lire sur le site web grossophobie.ca.
Les enfants apprendront bien assez vite que les standards de beauté ne sont atteignables qu’avec un filtre Instagram et que la pression sociale donne une essoufflante impression d’insuffisance. Ils commencent à s’inquiéter de leur apparence dès 3 ans.
Dans un monde au paroxysme de sa fragilité, peut-on les laisser vivre libres quelques minutes sans leur faire détester leur reflet ?