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Notons que la nouvelle Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement (LAPVIC) est entrée en vigueur le 13 octobre 2021. En octobre 2024, une première vague de victimes a donc vu leurs prestations arriver à échéance.
Noovo Info a rencontré des victimes qui subissent cette réforme et qui vivent depuis plusieurs mois sans aucune aide financière.
«On pourrait penser que j’ai eu du courage pour me rendre jusqu’au bout, mais ce n’est pas du courage. C’est de la survie!» rapporte Hélène*, victime de violence conjugale, qui a dénoncé son ex-conjoint.
En septembre dernier, après un procès qui aura duré trois ans, son ex-conjoint a été reconnu coupable de voies de fait. Quelques jours plus tard, elle reçoit une lettre de l’IVAC qui lui apprend qu’elle a atteint «la période d’aide financière maximale de trois ans prévue par la loi».
«J’apprends la veille du supposé dépôt que je n’en aurai pas de dépôt…», souligne-t-elle, visiblement encore ébranlée.
Après quatre mois sans revenue, cette femme d’affaires considère être parmi les «chanceuses», puisqu’elle avait des économies.
«J’ai cliqué vite que là, j’étais en train de m’appauvrir et qu’on m’avait abandonnée», rapporte-t-elle, ajoutant ne pas savoir quoi faire pour la suite, alors qu’il lui reste des économies pour survivre jusqu’au mois de juin.
En plus des conséquences financières, il faut ajouter le stress que cela occasionne.
«Les symptômes ce se sont amplifiés. Comme si je venais de faire deux pas en arrière…», témoigne Hélène qui dit souffrir d’attaques de panique et de tremblements.
Hélène est loin d’être un cas isolé, selon les données du ministère de la Justice, 1754 victimes, d’abord indemnisées sous l’ancien régime, sont touchées et parmi elles, 544 n’ont plus accès à de l’aide financière. Et plus de 1200 se sont qualifiés pour une nouvelle aide de deux à trois ans sous plusieurs conditions.
Voici les conditions en question:
Pour ces victimes, comme Brigitte St-Pierre, qui s’est qualifiée pour nouvelle aide qui «pourra» durer trois ans, le compte à rebours est reparti.
«J’ai eu sept lettres me disant que j’étais coupé. Finalement, j’ai pu avoir l’extension, mais les critères sont vraiment flous. Je me sens comme une condamnée à mort qui attend sa date d’exécution», indique-t-elle.
Brigitte se souvient de sa vie d’avant, elle était professeure en programmation au cégep. En juillet 2012 elle s’est réveillée à l’hôpital, avec de multiples blessures. Son ex-violent s’en était pris à elle, encore une fois.
13 ans après le drame, elle dit ne pas aller mieux et que le choc post traumatique l’oblige à prendre plusieurs médicaments.
Par la force des choses, Brigitte St-Pierre est devenue «la porte-parole» des victimes lorsqu’elle a démarré le groupe Facebook «Les victimes abandonnées par l’IVAC lancent un cri du cœur», qui dépasse les 650 abonnées.
Elle lance d’ailleurs un message au ministre de la Justice Simon Jolin Barrette:
«Beaucoup de victimes ne veulent pas se manifester. Elles craignent que leurs propriétaires les reconnaissent et les mettent dehors de leur logement. La honte ressort, mais elles n’ont pas à avoir honte. On est des survivants et survivantes», indique-t-elle, aux bords des larmes.
«Quand on est survivant, ça serait important qu’on nous traite avec plus de considération», ajoute Mme Saint-Pierre
En 2023, trois fois plus de demandes d’indemnisation, acceptées par l’IVAC, ont été faites par des femmes, soit 11 300 contre 3600 pour les hommes. De ce nombre, 4800 sont en lien avec de la violence conjugale.
«C’est bien beau le tribunal spécialisé, c’est bien beau le CAVAC, mais ceci étant dit quand les procédures juridiques durent plus longtemps que trois ans… Je pense qu’on vient de manquer l’objectif de la loi», critique Me Sophie Mongeon, avocate en droit du travail et en droit administratif.
«Le filet de sécurité est très limité», ajoute-t-elle
La réforme a peut-être permis d’indemniser deux fois plus de victimes, selon le cabinet du ministre Jolin-Barrette, mais plusieurs considèrent que la date butoir est sans considération du crime et des traumatismes vécus. Ce qui vient plonger les victimes dans une précarité financière, qui est loin de les aider.
Selon Me Mongeon, les victimes d’actes criminels sont moins bien protégées que les autres victimes. Par exemple, les victimes d’un accident de la route peuvent être indemnisées jusqu’à 65 ans et jusqu’à 68 ans pour un accident de travail.
«Si c’est un collègue de travail qui fait de l’abus sexuel si tu fais une demande à la CNESST, tu n’as pas le délai de trois ans. Même chose si ton ex-conjointe ou si un voisin qui ne vous aime pas décide de vous frapper avec une auto vous êtes beaucoup mieux protégé par la SAAQ. Ça crée des disparités entre les sortes de victimes», explique l’avocate
«Pendant l’été 2024, le premier ministre Legault disait qu’il y a d’autres parachutes pour les aider. Ce qui est totalement faux. Il y a l’aide sociale qui est une aide de dernier recours. Ou encore retraite Québec, mais il faut se faire déclarer invalide, donc inapte à tout emploi et ça c’est très compliqué à obtenir»
Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a décliné la demande d’entrevue faite par Noovo Info. Dans un long courriel, son cabinet insiste sur le fait que «cela a permis d’indemniser deux fois plus de personnes victimes, 44 000 comparativement à 22 000, pour une période comparable avant la réforme». Mais plusieurs considèrent que la date butoir, sans considération du crime et des traumatismes vécus, plonge les victimes dans une précarité financière qui est loin de les aider.
Notons que le porte-parole de l'opposition officielle en matière de Justice, André A. Morin, a déclaré dans un communiqué de presse lundi avoir déjà prévenu le ministre Jolin-Barrette des risques reliés à la réforme de l'IVAC.
«À mon bureau de comté, je reçois régulièrement des appels de victimes qui se sentent laissées à elle-même, dépourvues de ressources», indique-t-il, ajoutant que les victimes «n'ont surtout pas besoin qu'on leur ajoute de l'anxiété financière».
«Le ministre doit rapidement modifier sa loi pour venir en aide à toutes ces victimes. On ne peut pas les laisser avec ce stress.»
*Nom fictif