Mathis ne s’est jamais réveillé le 22 décembre 2023. La veille il s’est couché après avoir ingurgité une pilule de nitazène, une substance de 5 à 25 fois plus puissante que le fentanyl. Les deux trafiquants responsables ont d’ailleurs été arrêtés en septembre.
Depuis avril, son père Christian va d’écoles en écoles et donne des conférences aux adolescents et des ateliers aux parents. Nous lui avons donné rendez-vous dans un centre commercial où il magasinait avec sa fille, tentant de reprendre «une vie normale». Mais quand il est question de parler de Mathis et de la crise, M. Boivin est toujours disponible, il en a fait sa mission.
«C’est plate mais moi je pense qu’il faut tout faire pour éviter que ça arrive. Donc il faut que les parents s’éduquent, parlent à leur enfant et leur disent quels sont les symptômes d’une surdose. Si un de tes amis a ces symptômes-là, si toi tu as ces symptômes-là, couche-toi pas…endors-toi pas» insiste-t-il, les yeux humides.
Alerte au nitazène
Noovo Info révélait il y a quelques semaines que le mois de novembre a été le pire de l’année avec 124 surdoses et 19 décès à Montréal. La crise s’est donc accentuée en 2024. Et depuis un mois, la Direction de la Santé publique de Montréal a émis une alerte pour toute l’ile de Montréal. On avertit que la fameuse substance qui a tué Mathis, le nitazène, est très présente dans le marché. Cet état de situation bouleverse M. Boivin qui a l’impression que la crise n’est pas prise au sérieux.
En pleurant, il avoue son incompréhension. «Il y a ça dans la rue. Si au moins ils avaient la décence de dire que ce qu’ils vendent c’est du nitazène, c’est fort. Mais non, ils font de faux comprimés. Ça arrive trop», dénonce le père.
Il confie que plusieurs parents le contactent après avoir vécu des expériences semblables à la sienne, parfois les surdoses sont mortelles d’autres fois, elles laissent des séquelles.
«Les gens qui perdent leur enfants me contactent, parce qu’ils ont besoin de parler», enchaîne-t-il en sanglotant. Ces histoires ne sortent pas dans les médias selon lui parce que les parents ont un sentiment injustifié de honte.
«Et je comprends les gens. Encore à cause des tabous, on va avoir honte. Mon fils, ma fille est décédé d’une surdose. Les gens ont peur de le dire parce que ça amène des commentaires comme : ‘’votre enfant prenait de la drogue, vous êtes un mauvais parent’’ », ajoute-t-il.
M. Boivin n’a aucune honte d’en parler, au contraire. «Je vais jouer au golf et j’en parle, il le faut !» martèle-t-il.
Où sont les élus ?
M. Boivin pense que les élus des différents paliers devraient aller davantage sur le terrain. «C’est dur à faire bouger, on parle de 2 décès par jour au Québec. Va falloir que le gouvernement bouge. Je sais qu’ils mettent de l’argent et qu’ils en mettent plus, mais encore là, ils attendent à la dernière minute», mentionne-t-il. Ce dernier fait référence aux haltes-chaleur qui ont été mises en place seulement au début du mois de décembre alors que la crise de l’itinérance est interreliée avec celle des opioïdes.
«Pourquoi ne pas prévoir au mois d’août ? On le sait que la crise empire, que les drogues sont de plus en plus toxiques, de plus en plus dangereuses. Faut-il attendre que ce soit critique et que ça aille vraiment mal ?» poursuit-il.
Il croit aussi que la population devrait se montrer plus tolérante envers les centres de consommation supervisée. Lui-même vit tout près de la Maison Benoît Labre qui a défrayé la manchette cette année en raison des problèmes de cohabitation avec les parents d’une école primaire. «On dira ce qu’on voudra, mais les gens n’y meurent pas. Il faut se dire que ça pourrait être nous, notre frère, notre parent. La ligne est mince», conclut-il.
En attendant que la famille de Mathis continue de faire son deuil, la coroner chargée du dossier est en train de boucler son enquête. Elle devrait déposer son rapport en février.
Un reportage de Véronique Dubé.