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«Tout le monde me dit que je ne devrais pas bien aller, alors je ne vais pas bien.»
«Les enfants ne vont pas si mal que ça.»
C’est là le constat de Sylvana Côté, professeure titulaire à l’École de Santé publique de l’Université de Montréal, au bout de ses recherches dans le Projet Résilience: étude sur le développement des enfants en contexte de pandémie, dont les résultats ont été présentés à l’Université d’Ottawa cette semaine dans le cadre du congrès 2024 de l’Association francophone pour le savoir (Acfas).
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De là à dire que la crise sanitaire, le confinement et les restrictions n’ont pas influencé le développement des enfants québécois, il y a un pas. Mme Côté, chercheuse affiliée au Centre hospitalier universitaire (CHU) Ste-Justine à Montréal, a observé que certains problèmes, dont les troubles alimentaires, ont amplifié certains symptômes en lien avec des troubles mentaux.
Ce n’est cependant pas suffisant pour conclure que la pandémie a été un facteur qui aurait permis aux enfants en bonne santé mentale de développer plus de troubles qu’avant; d’arriver à un point de «ne plus fonctionner dans les occupations» du quotidien. Du moins, pas directement.
En fait, les inquiétudes quant à la santé mentale des jeunes datent d’avant la pandémie de COVID-19, déclarée en mars 2020. Par exemple, pour des enfants en difficulté d’apprentissage à la pandémie dont la santé était vulnérable, on constate que la situation a pu empirer.
Mais pour les enfants «qui allaient bien avant, ils vont toujours bien après», a déclaré Mme Côté dans un entretien avec Noovo Info.
Le cœur des problèmes existants pourrait donc se trouver ailleurs...
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Avec la pandémie, les enfants se sont davantage tournés vers les réseaux sociaux pour socialiser. Et après la pandémie, ils y sont toujours aussi nombreux: environ 77% des adolescents québécois âgés de 13 à 17 ans utilisent régulièrement les réseaux sociaux selon une étude de 2022. Plus précisément, 52% de ces adolescents consacrent plus de 10 heures par semaine sur les réseaux sociaux, selon cette même étude de 2022.
L’utilisation accrue des réseaux sociaux a des impacts négatifs sur la santé mentale des jeunes, sur leurs interactions avec les autres et sur leur estime de soi, note Mme Côté. Il faut donc limiter l’utilisation de ces plateformes, soutient-elle, tout comme le fait Fatoumata Diadiou, chercheuse de l’Université Laval à Québec.
Pour protéger les jeunes, les parents (82%) mettent en place des règles à la maison pour le temps passé en ligne, découvre Mme Diadiou dans un recensement de l’utilisation des réseaux socionumériques chez les jeunes Québécois de 13 à 18 ans. Plus de la moitié des parents (54%) utilisent des outils de contrôle parental. «C’est un accompagnement passif», a juge-t-elle. «Il faudrait plutôt parler avec les jeunes et les sensibiliser à, par exemple, à la désinformation.»
En implantant des limites, les réseaux sociaux pourraient même aider au développement de la créativité et de l’identité des jeunes. «Ils peuvent échanger avec les autres et émettre des opinions», dit Mme Diadiou, en ajoutant que les plateformes numériques sont des espaces de divertissement et d’informationé
«C’est un cadre important pour les jeunes», note la chercheuse, «à condition que l’utilisation soit accompagnée et que les jeunes soient conscients des impacts négatifs».
D'ailleurs, les enseignants, les institutions, les gouvernements et les plateformes numériques ont également leurs rôles à jouer selon la conférencière.
«Plein de jeunes ont des réseaux sociaux et n’ont pas 13 ans», a déploré Mme Diadiou, en soutenant qu’il faut s’adapter et engager plus de discussions entre les différents acteurs.
«Ce n’est pas juste parce qu’on a voté des lois qu’on va protéger les jeunes», dit-elle en évoquant la fameuse interdiction du ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, de l'utilisation du cellulaire en classe sauf à des fins pédagogiques.
Pour la professeure Côté, l’école est un lieu essentiel pour soutenir les apprentissages, et ce, dès le plus jeune âge. Les récents résultats du Projet Résilience ont notamment montré l’importance de la préparation à l’école pour favoriser la réussite scolaire et la santé mentale plus tard.
À la maison, de nombreux parents peuvent se sentir démunis devant le travail à faire auprès de leurs enfants en difficulté. Bien qu’il y a plusieurs ressources disponibles, dont des services de tutorat, la province québécoise traverse une crise de pénurie de main d’œuvre. Le réseau d’éducation n’est justement pas épargné.
«On a juste besoin de monde compétent pour soutenir les enfants qui ont le plus de difficultés», a soulevé Mme Côté. «On a besoin de valoriser la profession d'enseignant comme la profession d'éducateur à la petite enfance.»
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Selon la chercheuse du CHU Ste-Justine, Afin d’aider les plus jeunes en difficulté, les écoles doivent faire aussi leur part et mettre en place plus de mesures, dont valoriser la profession, offrir plus de formations et d’accompagnement. C’est, entre autres, ce que réclamaient les professeurs pendant la grève. D’ailleurs, les dernières négociations du secteur de l’éducation ont permis plusieurs avancées, dont au niveau du salaire.
Mais quoi qu’on fasse comme société pour nos jeunes, crier à tout vent que «nos enfants vont mal» ne semble pas une bonne idée.
«[Quand] tout le monde me dit que je ne devrais pas bien aller, […] je ne vais pas bien», illustre Sylvana Côté.