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Toute la faune des forêts incendiées, des insectes aux grands mammifères et même les poissons, risque de subir des conséquences néfastes de ce déferlement de flammes inédit.
Toute la faune des forêts incendiées, des insectes aux grands mammifères et même les poissons, risque de subir des conséquences néfastes de ce déferlement de flammes inédit.
Cependant, il n’y a pas de raison pour crier à la catastrophe, note Joëlle Taillon, biologiste et chercheuse au secteur faune du ministère de l’Environnement, de la Faune et des Parcs.
«Les feux qu'on observe présentement sont situés surtout dans la grande bande de forêts boréales qu'on a au Québec. C'est un écosystème qui subit de manière régulière un régime de feu.
«C'est sûr que cette année, on a une situation exceptionnelle, mais c'est un habitat, un écosystème qui est habitué de voir des feux relativement fréquents apparaître et, donc, les animaux qui habitent en forêt boréale sont aussi adaptés à vivre des feux de manière régulière. Ils ont habituellement des comportements de réaction, ils sont capables de détecter les feux, que ce soit par les panaches de fumée, par différentes particularités dans l'environnement qui sont liées au feu.»
Elle ne s’attend d’ailleurs pas à des mouvements visibles.
«Les animaux ne vont pas avoir un comportement de panique, de fuir des feux. On ne verra pas des vagues d'animaux déferler tout d'un coup. Ça se fait de manière très posée, très calme. Les animaux vont se relocaliser à proximité des feux, trouver des habitats qui sont favorables en attendant que le feu s'éteigne et ensuite retourner pour voir s'ils peuvent se rétablir dans ces environnements», précise Mme Taillon.
De là à dire que tous les animaux à grande mobilité comme les orignaux ou les ours noirs vont s’en sortir, la réponse est très certainement non, précise-t-elle.
«Avec ces superficies, ils peuvent être piégés et mourir brûlés. Habituellement, l'asphyxie va survenir avant, malheureusement. C'est sûr que ça peut arriver.»
La saison anormalement hâtive des incendies de forêt met aussi en danger ces animaux.
«Nous sommes à une période critique pour certains animaux. Le printemps, le début de l'été, c'est la saison des naissances pour plusieurs espèces, donc c'est sûr que les feux ont probablement compromis l'utilisation d'habitats sécuritaires pour la naissance et peut-être forcé des jeunes animaux naissants à se déplacer à une période où ils sont moins mobiles que les adultes, comme les jeunes orignaux qui sont nés à la fin mai ou au début juin.»
Ensuite, il y a les animaux qui cherchent à se cacher plutôt qu’à fuir. Ceux qui ont ce que les experts appellent «des stratégies de refuge» auront des chances inégales de s’en sortir, selon les espèces. Celles capables de vivre en symbiose avec l’eau, comme les grenouilles et certains reptiles, seront mieux protégées que celles qui vont se réfugier dans le sol.
«Pensons à des souris, des campagnols. Le lièvre par exemple, et aussi d'autres qui vont se réfugier dans les arbres, comme les oiseaux, les écureuils. Ces stratégies, quand on a des feux de très grande intensité qui se déplacent rapidement ne sont pas garantes de succès et on risque d’observer des plus grandes mortalités chez certaines espèces qui ont une stratégie de refuge», explique la biologiste.
Évidemment, les poissons et autres espèces aquatiques sont en sécurité, n’est-ce pas? Pas tout à fait, même si on considère qu'elles sont mieux protégées en étant dans de grandes étendues d'eau et que l'habitat autour des lacs brûle moins facilement.
«Mais si on a un feu très intense, il peut y avoir des hausses de températures locales qui peuvent être dommageables ou létales, souligne Joëlle Taillon. Et c'est surtout après un feu que les contrecoups peuvent impacter les espèces aquatiques, par exemple un changement de PH de l'eau, la turbidité, l'accumulation de toxines provenant de l'écoulement des milieux brûlés vers les milieux humides et les milieux aquatiques.»
Et ensuite, une fois la dévastation passée, à quoi s’attendre? «Bien sûr, il y aura perte d'habitat, la destruction de certains habitats critiques pour certains animaux. À moyen et long terme - on parle peut-être de semaines, de mois, d'années plus tard - les feux vont toujours avoir un impact sur la faune et sur la biodiversité, parce qu'il ne faut jamais oublier les plantes là-dedans, l'habitat dans lequel elles font leur vie.»
Contrairement à l’image qu’on peut en avoir, les incendies de forêt ne passent pas comme un rouleau compresseur, raconte l’experte.
«Quand les feux vont s'éteindre tranquillement, à ce moment on va pouvoir aller voir à l'intérieur. Habituellement, quand on a des grandes superficies de feux comme ça, on va ensuite trouver certains îlots qui ne sont pas touchés, surtout autour des plans d'eau où il y a beaucoup de feuillus. Il y a toujours des petits lots qui ne sont pas touchés.
«Ça peut servir de refuge, autant pour les plantes que pour les animaux, puis ces refuges sont assez importants pour la suite des choses aussi à savoir si l'habitat va se régénérer. S’il n’y a pas l'habitat nécessaire, que ce soit la nourriture, les abris ou les habitats spécifiques, par exemple à la reproduction, à ce moment c'est sûr que les animaux vont quitter ces zones et vont se relocaliser dans des habitats qui sont disponibles à proximité.»
Joëlle Taillon avoue qu’il est impossible de quantifier précisément les effets des immenses brasiers sur la faune et la biodiversité.
«Présentement, on a peu de données pour quantifier l'effet précis sur une grande gamme d'espèces, mais c'est sûr qu'on peut appréhender que les feux qui ont lieu présentement, qui sont très intenses sur de grandes superficies, vont détruire des grandes parcelles d'habitats importantes pour différentes espèces.»
«C'est sûr qu'on va en perdre pour plusieurs de ces espèces-là, mais ce sont des espèces qui se reproduisent rapidement. Par exemple, si l'habitat est propice, les lièvres peuvent se reproduire rapidement et recoloniser un milieu assez rapidement. Sinon, probablement que certaines espèces, surtout les grands mammifères, vont devoir se relocaliser dans les habitats environnants.»
Et, conclut-elle, si on parle beaucoup des effets négatifs que peuvent avoir les feux sur la faune et son habitat, «on peut aussi appréhender des effets positifs, même si ça peut sembler un peu contre-intuitif. Lorsqu'on a des parcelles à l'intérieur qui sont moins affectées, ça peut favoriser la régénération forestière. On retrouvera peut-être plus de feuillus, des arbustes à fruits.»
En d’autres termes, le feu causera des torts certains à la flore et à la faune, mais la nature a une solide résilience et le démontre depuis des millénaires dans des régions où la forêt est régulièrement la proie des flammes.