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«J’avais très peur, je me suis dit il va me frapper. J’ai eu peur de mourir [...]», a-t-elle témoigné.
Jour 4 du procès civil commun intenté contre Gilbert Rozon, magnat déchu de l’humour québécois. À la barre, la comédienne Patricia Tulasne - qui a été porte-parole pour Les Courageuses. Mme Tulasne a raconté «avoir eu peur de mourir» la nuit où le fondateur de Juste pour rire l'aurait agressé sexuellement - comme l’auraient été huit autres plaignantes.
Avertissement: cet article comprend des détails choquants qui pourraient ne pas convenir à tous les lecteurs.
Avec cette poursuite, elle cherche la vérité et que justice soit rendue, «que Gilbert Rozon reconnaisse ce qu'il a fait, qu'il s'excuse. Il a volé nos vies», a indiqué Patricia Tulasne en salle de cours.
Dans son témoignage devant la juge Chantal Tremblay de la Cour supérieure du Québec, Mme Tulasne a raconté avoir rencontré Gilbert Rozon pour la première fois le 27 août 1994 alors qu'elle participait à une fête organisée à la suite de la dernière représentation de la pièce Le Dîner de cons.
Voyez le compte-rendu de Marie-Pier Boucher dans la vidéo ci-haut.
La soirée au Piémontais - un restaurant aujourd'hui fermé - se déroule bien, selon Patricia Tulasne qui a affirmé n'avoir échangé ni parole ni regard avec Gilbert Rozon.
Mme Tulasne a raconté qu'à la fin de la soirée, autour de 1 heure du matin, elle a demandé si quelqu'un pouvait la déposer dans Outremont et que Gilbert Rozon s'était alors proposé.
«On sort du resto, je monte dans sa voiture, une grande décapotable de couleur pâle, on s’installe et il démarre. On arrive chez nous, il y a une place de libre juste en face de mon bloc, on se stationne, je descends et il descend. Arrivé à la porte, il me demande s’il peut monter chez moi. Je suis très mal à l’aise, car c’est quand même un producteur», a-t-elle expliqué.
Patricia Tulasne a affirmé avoir dit à Gilbert Rozon qu'elle était très fatiguée et qu'elle devait aller promener son chien. Rozon aurait insisté pour la suivre. Le duo aurait marché pendant environ 1 heure ou 1 heure 30 minutes avant de revenir à l'appartement de Mme Tulasne.
Gilbert Rozon aurait de nouveau demandé à monter chez Mme Tulasne qui a affirmé avoir refusé.
Rozon aurait alors poussé «violemment» la jeune femme pour monter à l'appartement. «Je suis interloquée, je le suis», a expliqué Mme Tulasne.
«Il me prend par les épaules et me plaque contre le mur du fond [de la salle à manger] et me maintient comme ça contre le mur. Je ne comprends pas du tout ce qu’il se passe. [...] Je résistais, mais j’étais incapable de bouger, il m’appuyait fortement contre le mur. Et c’est là qui a commencé à déboutonner ma robe», a confié Patricia Tulasne qui a aussi affirmé être alors entrée dans un état de «confusion» et de «stupéfaction» totale. «C'était surréaliste».
Mme Tulasne a raconté à la Cour qu'elle a d'abord résisté à l'agression de Gilbert Rozon «avec son corps», mais que, lorsqu'elle a croisé son regard, elle a «abandonné».
Mme Tulasne a affirmé que Gilbert Rozon l'a pénétrée, qu'il s'est ensuite levé, lui a dit: «Tu vois, on est venu ensemble» et qu'il est parti.
«Je n'ai pas de souvenir de comment il est parti. Je suis allée prendre une douche, je n’étais pas capable de dormir. J'ai un trou noir qui a duré plusieurs jours», a-t-elle raconté.
Mme Tulasne croisera Gilbert Rozon deux semaines après les évènements dans un vernissage. Rozon lui aurait dit «Excuse-moi, je n'ai pas eu le temps de te rappeler», ce à quoi elle aurait répondu «Surtout, ne me rappelle pas».
D'autres déclarations de Patricia Tulasne: «J'étais dans un état second, je ne comprenais rien de ce qu’il se passait. J’ai été incapable de réagir, il est parti, je n'ai pas souvenir de comment il est parti.»
Patricia Tulasne a affirmé qu'elle était dans une période heureuse avant l'agression dont elle affirme avoir été victime et que tout a basculé après celle-ci.
«J'ai perdu confiance en moi alors qu'avant, j'avais de l'ambition, j'étais heureuse, j'avais une personnalité éclatante. Après, j'ai commencé à m'éteindre. J'avais de la misère à voir les gens. J'avais ce sentiment d'avoir été minable, je me sentais coupable, j'avais honte», a-t-elle confié en pleurs.
Mme Tulasne a confié s'être «caché» dans une maison à Morin-Heights pendant quatre ans. «J'ai arrêté de voir les gens, j'ai arrêté de faire des démarches. J'avais plein d'animaux, ça me tenait en vie. Je vivais la nuit. Je n'arrivais pas à comprendre ce qui m'arrivait», a-t-elle dit.
À voir aussi : Procès de Gilbert Rozon: autre témoignage troublant d'une victime alléguée
Le 27 novembre 2017, le groupe des «Courageuses», composé d'une vingtaine de femmes disant avoir été agressées par Gilbert Rozon, a déposé une demande d’action collective contre le producteur. Bien que la demande ait été autorisée le 22 mai 2018, Rozon a pu interjeter appel le 16 mai 2019.
C’est toutefois ce qui a poussé Guylaine Courcelles à aller témoigner.
«Pour moi, dénoncer ça voulait dire ne pas être crue, quand j’ai vu les autres femmes le faire, ça m’a soulagée. J’ai voulu envoyer un message clair qu’on ne peut plus tolérer ce genre de comportement», a-t-elle indiqué.
Au début de l’année 2020, la Cour d’appel du Québec a infirmé le jugement qui autorisait l’action collective des Courageuses, jugeant qu’il ne s’agissait pas du mode de procédure approprié pour une telle affaire.
Les plaignantes ont déposé une demande de permission d’appel à la Cour suprême du Canada, mais elle fut refusée.
En parallèle, Gilbert Rozon avait été acquitté lors d’un procès criminel en 2020. La juge Mélanie Hébert avait alors statué qu’il y avait un doute raisonnable quant à la version des faits rapportée par la plaignante Annick Charette.
Alors que le fardeau de la preuve doit être démontré hors de tout doute raisonnable lors d'une poursuite au criminel, au civil l'objectif est plutôt de démontrer qu'une version des faits est plus vraisemblable que l'autre.
S’ensuivent les dépôts successifs de neuf poursuites individuelles contre Gilbert Rozon, soit celles de Mme Charlebois, de Mme Courcelles, de Mme Charrette, de Patricia Tulasne (porte-parole des Courageuses», de Danie Frenette, d’Anne-Marie Charette, de Sophie Moreau, de Martine Roy et de Mary Sicari. Les neuf femmes font partie des 77 personnes qui doivent témoigner au cours de 43 jours de l'audience, qui durera jusqu'à la fin mars devant la juge Chantal Tremblay de la Cour supérieure du Québec.
Avec les informations de La Presse canadienne.