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La meilleure stratégie du Canada pour l’instant est d’adopter une approche «attentiste» publiquement.
La rhétorique de plus en plus poussée du président élu des États-Unis Donald Trump concernant la mise en œuvre de tarifs douaniers sur les produits canadiens suscite inquiétude et incrédulité, même si certaines des entreprises potentiellement les plus touchées restent silencieuses.
S’exprimant lors d’une conférence de presse mardi, M. Trump a menacé d’utiliser la «force économique» pour annexer le Canada, tout en soulevant une fois de plus des problèmes liés au déficit commercial et en affirmant que les États-Unis n’ont pas besoin d’acheter du bois d’œuvre, des produits laitiers ou des véhicules canadiens.
«Ils nous envoient des centaines de milliers de voitures, ils gagnent beaucoup d’argent avec ça. Ils nous envoient beaucoup d’autres choses dont nous n’avons pas besoin. Nous n’avons pas besoin de leurs voitures et nous n’avons pas besoin des autres produits. Nous n’avons pas besoin de leur lait», a martelé M. Trump aux journalistes dans son club de Mar-a-Lago en Floride.
En fin de journée, il a également publié des cartes sur son compte Truth Social présentant le Canada comme faisant partie des États-Unis.
Ses derniers commentaires font suite à ses menaces d’imposer un tarif de 25 % sur les marchandises en provenance du Canada et du Mexique, invoquant des problèmes de sécurité aux frontières.
Les menaces de Donald Trump montrent qu’il ne comprend pas à quel point le secteur automobile canado-américain est interconnecté, selon Flavio Volpe, président de l’Association des fabricants de pièces automobiles.
«On ne peut pas faire de différence entre le secteur canadien et le secteur américain. Ce sont des entreprises américaines», souligne M. Volpe.
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Imposer des tarifs de 25 % sur les importations automobiles entraînerait probablement des fermetures généralisées dans le secteur, car les constructeurs automobiles enregistreraient des pertes substantielles sur chaque voiture produite, analyse-t-il.
«C’est une folie à laquelle les actionnaires vont réagir immédiatement. Le marché va réagir immédiatement, insiste M. Volpe. C’est beaucoup plus gros qu’un fabricant d’outils à Windsor ou un fournisseur de plastique moulé par soufflage à Markham.»
Les commentaires plus larges de M. Trump sur l’intégration du Canada aux États-Unis, ainsi que ses déclarations sur la saisie du canal de Panama et du Groenland, montrent qu’il veut semer le chaos, selon M. Volpe.
«Je veux dire, de quoi parlons-nous ?, se demande M. Volpe. Certains hommes aiment simplement regarder le monde brûler, et je pense qu’il en fait partie.»
S’exprimant lors d’une conférence mardi, peu avant les commentaires de M. Trump sur la force économique, Dave McKay, chef de la direction de la Banque Royale du Canada, s’est dit préoccupé par la montée des tensions.
«Il est décevant d’entendre la rhétorique s’intensifier, disait M. McKay. Cela suscite l’inquiétude chez tout le monde quant au fait que cela causera des dommages économiques, et nous ne sommes pas sûrs des objectifs qu’il essaie d’atteindre.»
Kurt Niquidet, président du Conseil du commerce du bois de la Colombie-Britannique, exhorte dans une déclaration les gouvernements américain et canadien à trouver une solution équitable et durable.
«Le secteur forestier est confronté à des défis sans précédent et il est essentiel que le gouvernement et l’industrie travaillent ensemble aux niveaux fédéral et provincial pour se concentrer sur les impacts des droits de douane potentiels et des frictions commerciales avec les États-Unis.»
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M. Niquidet souligne que la demande des consommateurs américains dépasse ce que les usines nationales peuvent fournir et que les droits de douane perturberaient la chaîne d’approvisionnement et entraîneraient une hausse des coûts pour les familles américaines.
En plus d’avoir cité des secteurs spécifiques, M. Trump a une fois de plus soulevé la question du déficit commercial des États-Unis avec le Canada, le qualifiant de subvention.
«Nous perdons en déficits commerciaux, nous perdons énormément, a-t-il dit. Nous n’avons besoin de rien. Alors pourquoi perdons-nous 200 milliards $ US par an et plus ?»
Bien qu’il ne soit pas si élevé en réalité, le déficit commercial des États-Unis avec le Canada a considérablement augmenté ces dernières années. Selon Statistique Canada, le déficit était de 108,6 milliards $ en 2023, de 121,6 milliards $ en 2022 et de 81,4 milliards $ en 2021, soit bien plus que la moyenne de 41,2 milliards $ de la décennie précédente.
Même s’il existe un déficit, dû en grande partie aux exportations canadiennes de pétrole et de gaz vers les États-Unis, cela ne signifie pas qu’il s'agit d'un élément négatif, explique Duane Bratt, politologue à l’Université Mount Royal.
«(M. Trump) voit cela comme un bilan. S’ils n’ont pas besoin de produits canadiens, pourquoi continueraient-ils à acheter des produits canadiens ? Ce n’est pas une subvention, précise M. Bratt. Pourquoi les Américains achètent-ils autant de produits canadiens pour des centaines de milliards de dollars ? Parce que le produit est bon, ou que le prix est bon, ou une combinaison des deux.»
La meilleure stratégie du Canada pour l’instant est d’adopter une approche «attentiste» publiquement, tout en évitant toute menace de représailles, prévient Fen Hampson, professeur d’affaires internationales à l’Université Carleton et coprésident de son groupe d’experts sur les relations canado-américaines.
Selon lui, le Canada gagne à rester discret.
«C’est quelque chose que nous n’avons pas bien fait : ne pas mordre à l’hameçon, même si c’est tentant», convient M. Hampson.
«Quand vous êtes le plus petit parti, vous ne faites pas de menaces, qui, tout d’abord, ne seront pas crédibles parce que le grand gars peut vous piétiner comme une souris. Nous devons donc être beaucoup plus agiles, nous devons être beaucoup plus intelligents et notre premier ministre devrait garder sa bouche fermée.»
Le premier ministre Justin Trudeau a répondu aux commentaires de M. Trump mardi en déclarant : «Jamais, au grand jamais, le Canada fera partie des États-Unis.»
«Les travailleurs et les communautés de nos deux pays bénéficient qu’on soit l’un pour l’autre le plus grand partenaire commercial et en matière de sécurité», a ajouté M. Trudeau dans un message sur les réseaux sociaux.
Les entreprises restent généralement plus discrètes jusqu’à présent. Des entreprises forestières comme Canfor et West Fraser refusent de commenter directement. Saputo n’a pas répondu à une demande de commentaire, pas plus que les groupes représentant les grandes marques automobiles.
Agropur indique qu’elle suit de près les déclarations relatives aux relations économiques entre le Canada et les États-Unis.
Même s’il conseille la prudence pour l’instant, M. Hampson indique que le Canada devrait rester prêt à réagir avec ses propres mesures ciblées au cas où M. Trump ne changerait pas sa rhétorique actuelle une fois qu’il sera au pouvoir. M. Hampson suggère qu’il serait possible de réagir en imposant des tarifs et des embargos sur des produits tels que le vin de Californie ou le whisky du Tennessee.
Le gouvernement fédéral pourrait également taxer les services numériques que les Canadiens utilisent fréquemment, comme Netflix, Amazon ou Uber, ou s’en prendre au secteur du tourisme américain en taxant ceux qui passent leurs vacances dans des destinations ensoleillées, comme la Floride ou la Californie pendant les mois d’hiver.
«Ils vont en tenir compte, en particulier dans l’État d’origine de M. Trump, où les Canadiens contribuent largement à l’économie locale», conclut M. Hampson.