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Le coroner, Me Luc Malouin, est catégorique: les protocoles policiers en cas d’enlèvement n’ont pas été suivis adéquatement dans les événements lors desquels Martin Carpentier a assassiné ses filles et s’est enlevé la vie.
Le Bureau du coroner a publié mardi son rapport très attendu sur la mort de Martin Carpentier et de ses filles, Romy et Norah, au terme de longues enquêtes publiques. Le coroner, Me Luc Malouin, est catégorique: les protocoles policiers en cas d’enlèvement n’ont pas été suivis adéquatement dans les événements lors desquels Martin Carpentier a assassiné ses filles et s’est enlevé la vie.
Me Malouin convient aussi que le manque de personnel policier est criant, et émet de nombreuses recommandations à la direction de la Sûreté du Québec (SQ), incluant de déclencher rapidement une alerte média dans les dossiers de disparition, «spécialement ceux impliquant un enfant de moins de 13 ans».
«Les policiers ont travaillé sans relâche et sans ménager les efforts en début de nuit pour comprendre l’événement, mais je dois constater que dans la hiérarchie policière, quelqu’un, quelque part, a oublié les Guides de pratiques policières, entrainant ainsi des délais indus pour la suite du dossier.»
Pendant de longues heures, Norah et Romy, 11 et 6 ans, étaient introuvables, en juillet 2020. L’accident et la disparition de Martin Carpentier et ses filles ont eu lieu la soirée du 8 juillet. L'alerte AMBER a toutefois été déclenchée que le lendemain après-midi.
Le coroner juge d'ailleurs que l'alerte n'a apporté aucun élément permettant de faire avancer l'enquête. «Sur 350 informations reçues par les policiers à la suite de l’alerte, aucune n’a été utile [...] En fait, elle n’a fait que générer un grand travail de vérifications par les policiers qui n’a apporté aucun résultat concret», peut-on lire dans le rapport de 85 pages.
À la lumière des conclusions du coroner Malouin, les procureurs de la famille Carpentier recommandent de «diffuser des alertes média même si les critères de l’alerte AMBER ne sont pas satisfaits.»
Les recherches de la SQ pour retrouver Martin Carpentier et ses deux filles ont tardé à prendre en compte le caractère dépressif et non communicatif du père et plusieurs décisions de recherche en ont beaucoup souffert dans les heures suivant leur disparition, a entre autres affirmé un expert en recherches terrestres pendant l’enquête.
Me Malouin en est arrivé aux mêmes conclusions dans son rapport. «Je reste avec la conviction que l’on a tardé à traiter le dossier comme le pire des scénarios, et que dans la hiérarchie policière, certains ont oublié cette notion essentielle», soutien Me Malouin.
Le coroner conclut qu’il y a eu des manquements dans les «instances hiérarchiques» de la SQ concernant «l’urgence de la situation». Selon ce dernier, les autorités responsables du dossier ont tardé à planifier «les ressources pour commencer le plus tôt possible les recherches.»
Me Malouin a critiqué le travail de la SQ, notamment dans la phase des recherches terrestres. Le temps que la SQ a mis avant de déployer du «personnel compétent» est résumé en quelques mots dans le rapport: «trop peu, trop tard».
Le manque d'effectif a aussi été montré du doigt. «Il est clair que, dans un dossier comme le présent dossier, l’enquêteur a vite été débordé par la situation. C’était un jeune enquêteur qui n’avait pas encore fini sa formation et avait peu d’expérience [...] je crois que lors de la disparition d’enfants de moins de 13 ans, la présence de deux enquêteurs n’est pas un luxe», a souligné le coroner.
Rappelons que les manquements ont été si importants dans le dossier que la mère des fillettes Carpentier, Améie Lemieux, a avoué lors des audiences n’avoir plus aucune confiance en la police.
Les audiences publiques se sont tenues du 13 février 2023 au 12 mai 2023. Plus de 700 documents ont été analysés.
Interrogé sur le rapport en marge d’un autre événement à Québec, le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a dit qu’il s’attendait à ce que la Sûreté du Québec mette en place les recommandations du coroner.
«On va tenir compte de ce rapport pour s’assurer d’avoir les bonnes équipes en place, les unités en place. On va former plus de policiers à l’École nationale de police», a-t-il assuré.
M. Bonnardel a rappelé que la SQ avait déjà implanté de nouvelles mesures et qu’elle continuerait de le faire à la lumière du rapport, notamment pour intervenir plus rapidement lors d’événements du genre.
«Je pense que le constat est clair. Le temps, les quelques heures perdues, des fois on parle juste de trois heures, quatre heures, cinq heures, mais cinq heures peuvent faire une différence.»
«Quand on perd cinq heures, c’est immense, on doit être plus que proactif.»
Les recommandations du Me Malouin à la SQ au terme de l’enquête publique sur le décès de Martin Carpentier et de ses filles, Romy et Norah :
- De modifier la Politique de gestion «fugue, disparition, enlèvement» ENQ, CRIM.-36 afin de prévoir la présence de deux enquêteurs pour toute disparition d’un enfant de moins de 13 ans ;
- De rappeler à tous ses officiers, enquêteurs et policiers l’importance de toujours considérer la disparition d’un enfant de moins de 13 ans comme le pire des scénarios et agisse en conséquence ;
- D’équiper les véhicules et les policiers de la technologie nécessaire au partage commun de l’information recueillie lors d’une opération policière ;
- De former les policiers de son service d’urgence, tant pour les policiers du bassin 1 que du bassin 2, conformément aux normes nationales en matière de recherches et de sauvetage, et de s’assurer du maintien des compétences et de l’expérience conformément à la norme nationale CSA Z1620-15 ;
- De mettre en place des protocoles de partenariat et de collaboration simples et efficaces avec les autres corps policiers, les agents de protection de la faune et les bénévoles de l’Association québécoise des bénévoles en recherche et sauvetage (AQBRS) et de diffuser ces protocoles à l’ensemble de ses officiers ;
- De déclencher rapidement après la disparition une alerte média dans les dossiers de disparitions, spécialement ceux impliquant un enfant de moins de 13 ans ;
- De mettre en place un poste de commandement unifié dès le début d’une opération de recherches terrestres ;
- D’assigner un technicien en recherche terrestre à ce poste de commandement afin de faire le lien entre les chercheurs et les enquêteurs ;
- D’effectuer des rétroactions complètes à chaque fin de journée ;
- De mieux rédiger tous les registres des opérations, tant pour le travail d’enquête que pour les recherches terrestres ;
- D’assigner deux techniciens en recherche terrestre lorsqu’après les recherches initiales, du personnel supplémentaire est ajouté.
Avec des informations de Laurence Royer pour Noovo Info et de Vicky Fragasso-Marquis pour la Presse canadienne