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Les événements décrits ici sont ceux dont j’ai été témoin à l’Université de Montréal.
Il n’y a pas eu une journée la semaine dernière qui ne m’a pas fait faire un voyage de 10 ans en arrière.
À l’Université de Montréal, deuxième année du baccalauréat en communication, lors d'une assemblée générale à voter pour la grève générale illimitée que nous allions reconduire chaque semaine, lors d’autres assemblées.
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C’est une question qu’on se pose tous, entre nous, les jeunes Québécois millénaux qui ont vécu 2012. « Où étiez-vous? Que faisiez-vous? Avez-vous été pris en souricière par le SPVM à Jean-Brillant à l’automne 2012 dans les escaliers de l’université? Est-ce que les policiers se sont assis dans votre classe? Est-ce qu’un professeur vous a insulté? Est-ce que les agents de sécurité vous ont dit qu’ils voulaient vous rentrer des bâtons dans le c*l? »
(Les événements décrits ici sont ceux dont j’ai été témoin à l’Université de Montréal.)
Lorsqu’on est dans la fin vingtaine, début trentaine, tous les gens qui nous entourent ont une histoire à raconter par rapport au printemps érable. On se les dis habituellement après avoir bu de la sangria sur une terrasse, nos iPhone à la vue de tous. On rît un peu et puis on s’arrête subitement. Parce qu’après 10 ans, le douleur est toujours là.
2012 a été une initiation politique pour la majorité d’entre nous. On se retrouvait à devoir prendre des décisions et à se rallier à une cause qui était plus grande que nous-mêmes. La hausse de 75 % des frais de scolarité a été un élément rassembleur. On était solidaires, on se tenait ensemble et on manifestait pour notre droit d’avoir les moyens d’aller à l’Université. Rapidement, nous avons tous déchanté. Rapidement, nous sommes devenus la cible de toutes les attaques.
2012 a fait des blessures qui sont encore là. Des blessures que l’on ne soigne pas vraiment. Des blessures sociales et générationnelles, celles que l’on porte et qui restent. À ce jour, personne n’a vraiment guéri du printemps érable. Personne n’arrive à s’en remettre totalement. Et c’est normal. On ne se remet pas de s’être fait tirer dessus, avec des balles en plastique, des bombes de gaz lacrymogènes. On ne se remet pas d’un premier ministre qui salue le travail exceptionnel des policiers (premier ministre qui d’ailleurs fait son retour en politique). Ce même travail qui finalement a été dénoncé par un reportage de l’émission Enquête et par la Commission Ménard. Il est difficile d’expliquer cette période de nos vies collectives. Ça a ouvert une fissure sociale comme jamais auparavant, une fissure qui continue d’exister.
Nous avons manifesté avec le sourire aux lèvres qui s’est rapidement transformé en colère noire. Nous nous sommes chicanés en assemblée générale. Nous nous sommes chicanés en famille, nous avons coupé des ponts avec certains d’entre eux. Et encore aujourd’hui, la douleur se fait sentir.
Crédit: Graham Hughes | La Presse canadienne
Chaque semaine, il y a un petit rappel de 2012 qui me passe par l’esprit. Quand je croise une voiture de police, quand je vois des étudiants parler dans un café, que je vois une manifestation ou participe à l’une d’elles. Je pense surtout à ce grand schisme qui a eu lieu à ce moment-là et qui ne s’est jamais rétabli. Il y a une perte de confiance, une colère qui continue de se transmettre entre nous.
Un ami américain m’a confié récemment qu’il admirait le printemps érable, de voir autant d’étudiants qui ont décidé de prendre le contrôle des choses en 2012. C’est toujours avec un sourire en coin que je réponds. Nous sommes peut-être tous maintenant adultes. On travaille, on a des familles, des enfants et 10 ans se sont écoulés depuis… mais le jeune étudiant existe encore. Et il attend juste une autre occasion de se faire entendre.