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Politique
Chronique |

La fin de l’État de droit

Le retour de la bête, planifié, celui-là. Assis sur un plan de match explosif: le Projet 2025.

On se creusait la noix depuis déjà un brin, côté titre de bouquin. Qu’est-ce qui pourrait bien résumer le propos, sexyness marketing en prime? La thématique, autant technique que nouvelle dans la sphère publique, serait de nature à assommer le lectorat sans préavis. Il faut donc faire gaffe. Bien choisir. Comme il s’agit de mon premier bouquin solo, je n’ose trop me prononcer, m’en remettant à l’expérience de Marie-Pierre Barathon, l’éditrice.  

— Ah voilà! Je sais!
— Quoi?
— La fin de l’État de droit!
— Hein?
— Mais bien sûr! C’est ce que tu annonces, non?
— Euh… oui, mais pas tant. J’aurais l’air d’un hurluberlu qui annonce la fin du monde.
— Pourquoi avoir écrit le bouquin, alors?
— Pour éveiller les consciences. Si ça continue, la tendance est dévastatrice. Mais on s’arrêtera avant, quand même. On n’est pas si cons.
— Alors ce que je te propose: on met un point d’interrogation à la fin du titre, et puis voilà, tu assumes et c’est tout!

Le bouquin est publié peu après. Au contraire de nos attentes, la réception est bonne, les médias sont au rendez-vous.

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Certains me demandent, quasi accusateurs:

— Vous dénoncez les violations de l’État de droit, mais vous ne proposez rien, comme alternative. Ce serait quoi, la solution, à votre avis?
— Arrêtez de violer l’État de droit?

***

Deux ans plus tard, soit 2016, est élue la bête. À la surprise générale, la sienne comprise. Galvanisé par des médias sociaux lui permettant de contourner partiellement le fact-checking des traditionnels, son mandat devait s’avérer chaotique et hargneux, et se terminer par une frasque alors jamais vue: une sédition orchestrée contre le Capitole, au motif fallacieux d’élections volées.

On l’a, pensions-nous, échappé belle. Jusqu’au retour de la bête. Planifié, celui-là, et assis sur un plan de match explosif, le Projet 2025. Un condensé fascisant d’attaques frontales contre toutes les institutions, internes ou internationales, tout en plaidant pour la concentration des pouvoirs aux mains de «vous-savez-qui».

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Conformément au plan, on frappera fort, sans ménagement ou nuance. Promptement, aussi. C’est ainsi que trois semaines à peine après l’investiture du 20 janvier, le décompte des débris provoqués par la violence des affronts à l’État de droit est difficilement chiffrable. Mentionnons néanmoins, à charge d’oubli, les plus spectaculaires, réalisés par décret présidentiel:

  • La décision de déporter 30 000 migrants à Guantanamo;
  • Le congédiement de douze procureurs ou employés ayant œuvré sur les dossiers criminels de Trump;
  • L’exonération de 1500 émeutiers du Capitole, qualifiés «d’otages» par la bête, même si accusés ou condamnés en vertu du droit commun;
  • Malgré le 14e amendement, la révocation du droit du sol, soit le droit à la citoyenneté américaine si né sur le territoire états-unien;
  • La déportation de plusieurs millions de migrants qualifiés «d’illégaux», et ce, même si la notion est inexistante en droit;
  • La déportation souhaitée d’Autochtones américains, la citoyenneté de ceux-ci étant actuellement contestée par Washington;
  • Le retrait des États-Unis du Comité de droit de l’Homme des Nations unies, permettant un recours pour violation des droits fondamentaux devant une instance internationale;
  • Attaques de toutes sortes face à la communauté LBGTQ+, les personnes trans au premier chef;
  • Des menaces claires ou voilées d’annexion du Panama, Groenland et Canada, le tout en contravention de la Déclaration d’Helsinki, la Charte de l’ONU et le Statut de Rome;
  • Des projets de stations balnéaires à Gaza, aux violations toutes autant flagrantes;
  • Des sanctions contre la Cour pénale internationale de justice;

La cour (ou la Cour?) est pleine? D’aucuns le croiraient. Mais il y a un bonus, tout juste atterri sur l’assiette déjà ensevelie de violations indigestes: une déclaration de JD Vance et d'Elon Musk remettant en cause l’autorité des tribunaux et autres légitimités du contrôle judiciaire.

La raison? Un juge fédéral vient d’empêcher l’employé spécial du président, Elon lui-même, d’accéder sans motif sérieux aux dossiers du Trésor. Un juge qui ose assurer la séparation des pouvoirs et le respect de la Loi? L’affront suprême à tout facho en puissance.

Jamais à court d’idées afin de faire progresser l’humanité, le boss de Tesla allait ensuite ajouter la couche fatidique en proposant de congédier annuellement le 1 % des pires juges, déterminé par les élus.

Si Marie-Pierre était toujours en vie, je lui proposerais une mise à jour du bouquin. Sans point d’interrogation.

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