Début du contenu principal.
«L’agresseur d’Océane, à sa sortie de prison, pourra demander la garde de l’enfant, et c’est là que les choses pourraient vraiment mal tourner.»
L’été passé, nous avons tou·tes été bouleversé·es par l’histoire d’Océane, cette jeune mère trainée devant les tribunaux par son agresseur qui voulait faire reconnaitre sa paternité… et qui a réussi! Le tribunal l’a bien expliqué: il n’existe aucune avenue en droit québécois pour refuser de reconnaître la paternité au géniteur qui met une personne enceinte en l’agressant sexuellement.
Mais plus pour longtemps! L’Assemblée nationale étudie présentement le projet de loi no 12, qui permettrait aux femmes comme Océane de s’objecter, au nom de leur enfant, à l’établissement d’un lien de filiation entre leur enfant et leur agresseur. La rapidité avec laquelle le ministre Simon Jolin-Barrette a agi pour répondre à la situation d’Océane est admirable et bienvenue.
Cependant, le projet de loi, tel que proposé, comporte des lacunes qui en menacent l’efficacité.
Forcer le lien père-enfant
D’une part, il prévoit que le lien de filiation entre un père agresseur et un·e enfant ne peut être retiré que si le tribunal juge que c’est dans l’intérêt de l’enfant; le seul fait que l’enfant ou la mère fasse cette demande ne suffit pas. Il y a donc à s’inquiéter que, dans de nombreux cas, les tribunaux refusent de retirer le lien père-enfant. En effet, les tribunaux se montrent très permissifs envers les pères violents, même quand l’enfant a été directement victime de cette violence. Ces mêmes tribunaux concluront régulièrement qu’après tout, le père n’a causé aucun tort à l’enfant, que l’agression sexuelle vécue par la mère, c’est du passé, et qu’un·e enfant a besoin d’un père. Il est donc essentiel que le critère de l’intérêt de l’enfant soit retiré : un·e enfant qui veut s’en affranchir ne devrait pas être forcé·e à avoir un père agresseur. La discrétion du tribunal est d’autant plus superflue que le projet de loi prévoit déjà que l’enfant peut en tout temps changer d’idée et demander à rétablir le lien de filiation.
Alors qu’un amendement a été proposé puis refusé, pourquoi le ministre Jolin-Barrette insiste-t-il pour préserver le lien de filiation, alors même qu’on cherche à exprimer que l’agression sexuelle n’est pas une manière adéquate de fonder un lien de filiation?
À VOIR ÉGALEMENT | Enfants nés d’un viol : le projet de loi 12 «mérite une réflexion», estime une avocate
Punir la mère victime de violences
D’autre part, imaginons que le recours d’Océane échoue, justement parce que le tribunal détermine que ce n’est pas dans l’intérêt de l’enfant de n’avoir qu’un seul parent.
L’agresseur d’Océane, à sa sortie de prison, pourra demander la garde de l’enfant, et c’est là que les choses pourraient vraiment mal tourner. En effet, dans les demandes de garde, il est commun que les mères qui ont essayé d’écarter le père violent ou qui ont parlé de la violence qu’elles ont vécu soient jugées «aliénantes». Dans de tels cas, les tribunaux privilégient souvent l’octroi de la garde au père violent, allant jusqu’à punir la mère en la privant de tout contact avec l’enfant jusqu’à ce qu’elle se repente d’avoir dénoncé la violence du père. Il est donc à prévoir qu’une mère, comme Océane, qui échouerait un recours prévu par le projet de loi no 12 se trouverait dans une posture encore pire qu’avant le changement de loi.
DOSSIER | Aliénation parentale
Il existe une solution simple à ce problème: il faut légiférer l’interdiction, pour les tribunaux, de reprocher à une mère le fait d’avoir entamé un recours auquel la loi lui donne droit ou le fait d’avoir dénoncé la violence du père. Cet élément est nécessaire pour sauver Océane d’un avenir incertain et potentiellement cruel – un avenir où elle partage la garde, de semaine en semaine, avec l’homme qui l’a agressée.
Jusqu’aujourd’hui, le ministre Jolin-Barrette s’est montré peu ouvert à apporter des modifications au projet de loi no 12, malgré sa volonté exprimée de venir en aide aux victimes. Nous lui demandons donc, pour franchir la ligne d’arrivée avec la confiance que le projet de loi no 12 aidera réellement ces victimes, de revoir sa position et d’adopter ces deux changements cruciaux.
Autrement, nous craignons qu’Océane continue malgré elle d’alimenter encore longtemps la section «histoire d’horreur» de nos journaux québécois.
Suzanne Zaccour, pour l’Association nationale Femmes et Droit
Louise Riendeau, pour le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale
Justine Chénier, pour le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel