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Pourquoi tomber en bas de ma chaise? Parce que ça fait des mois — non: probablement depuis plus d’un an — que je réclame de la santé publique et de nos dirigeants plus de faits.
Quand je suis tombé sur le tweet de la chercheure Tara Moriarty jeudi soir, je suis pratiquement tombé en bas de ma chaise :
If 80% of people in Canada started wearing masks indoors again, as we did till Jan/22, we could reduce hospitalizations by two thirds.
— Tara Moriarty (@MoriartyLab) July 21, 2022
This would reduce hospital overcapacity (due to COVID) from 7% to 2%.
It's still overcapacity, but at least it gives them a fighting chance .
Je traduis: «Si 80 % des Canadiens recommençaient à porter des masques à l’intérieur […] nous pourrions réduire les hospitalisations des 2/3.»
Je ne pouvais pas le croire. Parce qu’on y proposait – enfin! — des éléments concrets, un modèle réaliste, avec des effets mesurables. Pas une opinion, ni une envolée lyrique, ni un plaidoyer passionné, ni une prise de bec pompée à coups d’injures, ni une séance de chialage contre le manque — ou l’excès! — de mesures. «Si 80% des Canadiens recommençaient à porter des masques à l’intérieur […] nous pourrions réduire les hospitalisations des 2/3.»
Pourquoi tomber en bas de ma chaise? Parce que ça fait des mois — non: probablement depuis plus d’un an — que je réclame de la santé publique et de nos dirigeants plus de faits. Quel genre de faits? Ceux utiles pour prendre des décisions éclairées. Comme avec nos patients : si on fait ceci, il va vous arriver cela ; si on fait cela, il va vous arriver ceci ; vous en pensez quoi? Ça semble simple non? Et pourtant…
Entendre des phrases un peu vagues (pour ne pas dire creuses) comme: on va passer à travers, on va avoir une période difficile, mais ça va aller, notre système de santé va tenir le coup, on pense que c’est pas nécessaire de remettre le masque, on demande aux gens de faire attention s’ils sont à risque… je suis un peu tanné. Pas vous?
Autre chose qui m’irrite en lien avec la pandémie, c’est les constats du genre: au Québec on fait ceci, les Québécois sont cela, comment ça se fait qu’au Québec ça se passe comme ça, ça n’a pas de bon sang qu’au Québec… Si vous n’avez pas remarqué, c’est à peu près pareil partout dans le monde, disons dans 95% des pays ? Lâchons donc «le Québec» et essayons de réfléchir plus largement à la question: «réfléchir globalement, agir localement» qu’ils disaient.
Revenons à l’idée principale : «Si 80% des Canadiens recommençaient à porter des masques à l’intérieur […] nous pourrions réduire les hospitalisations des 2/3.» Je l’ai souvent appelé le «prix».
Cela donne une idée du «prix» à payer pour laisser tomber toutes les mesures? Combien d’hospitalisations de plus? Combien de décès? Mais aussi des gains de conserver certaines mesures. Exemple: combien on sauve d’hospitalisations si on remet les masques en dedans? Les 2/3!
Pas que je sois un maniaque de chiffres — OK, je suis un peu maniaque de chiffres — c’est juste qu’on ne peut pas toujours faire de la communication publique avec de beaux principes.
Au début, les premiers mois, je comprenais. Mais après plus deux ans, il me semblait depuis longtemps qu’on était vraiment dus pour passer au niveau suivant : plus factuel.
Ne serait-ce que pour avoir une base de discussion commune et expliquer les décisions plutôt que de palabrer sans fin et sans faits pour s’appuyer.
«Moi je pense qu’il faut remettre le masque! Moi je suis tanné du masque! Oui, mais c’est important, ça va diminuer les cas! M’en fout, y marche pas ton masque! Mais oui, il marche! Ben non, ça ne change rien!»
Trop vu, trop lu, trop entendu.
Au fait, je ne suis pas catastrophiste, même si certains le pensent. Une des raisons, ce sont justement les faits.
Exemple : les décès tendent à diminuer d’une vague à l’autre, et ce, partout dans le monde. Sans doute avant tout un effet de la progression de la vaccination et d’une certaine part d’immunité protectrice (qui reste imparfaite, mais pas nulle).
Et la même organisation qui a fourni les chiffres affirme notamment que «le nombre de décès quotidiens est le meilleur indicateur de la progression de la pandémie»:
Crédit graphique: IHME
La situation a donc clairement tendance à s’améliorer depuis le pic de mai 2021. J’aime aussi qu’à la fin du graphique (regardez à droite) les projections «avec» et «sans» masques (à l’intérieur). C’est une des clefs pour la suite des choses.
Bien sûr, tout n’est pas joué pour autant avec la baisse des décès: la COVID-longue, dont on commence à mieux cerner l’ampleur; les réinfections; et d’autres variants vont surgir. Mais globalement, je me dis que nous ne sommes pas en perte de contrôle. Ce qui ne veut pas dire que nous pouvons tout laisser aller comme si de rien n’était!
Et ce graphique venait avec la petite phrase mentionnée plus haut. Je peux la répéter? «Si 80% des Canadiens recommençaient à porter des masques à l’intérieur […] nous pourrions réduire les hospitalisations des deux tiers.»
Nous avons à peu près 16000 lits disponibles actuellement, probablement moins avec les vacances — c’est une donnée mal colligée et peu diffusée. Avec plus de 2000 personnes hospitalisées pour ou avec la COVID, ça rend les soins difficiles et le personnel fatigué a en plus que son troc.
On me demande souvent comment on peut être dans le trouble avec juste 2000 personnes hospitalisées pour a COVID. C’est simple, comme on est toujours dans le trouble et qu’on n’a pas vraiment de marge de manœuvre en temps normal, un lit sur huit occupé par la COVID, c’est énorme comme impact.
Mais si le tweet de Tara Moriarty est juste — si l’IHME modélise bien, ce qui est habituellement le cas — ça veut dire qu’on aurait pu limiter cela à 600 patients hospitalisés et que l’on aurait ainsi 1400 lits de plus pour soigner les autres patients.
Croyez-moi: 10% plus de lits, c’est majeur.
Vous vous demandez peut-être comment le masque permet cela, compte tenu que dans la vraie vie il n'est pas toujours porté -- ni toujours bien porté! -- comme on le sait. Disons qu'on choisit comme exemple un effet limité de 10% à 20% sur la propagation, ce sont des chiffres souvent mentionnés. Ça semble peu.
Prévenir la transmission une à deux fois sur 10, seulement?
Sauf qu’en situation de montée de vague, ce 10 à 20% a un impact important après quelques semaines. Cela peut même transformer une grosse vague en vague raisonnable, la rend vivable et empêche aussi des gens d’en mourir.
J’ai travaillé un petit exemple pour vous le démontrer.
Si on portait le masque à l’intérieur surtout dans les montées de vagues, voici ce qui pourrait se passer. Commencez par regarder cette courb : on voit très bien les vagues. Mais ce n’est pas la courbe des cas, c’est la courbe de la transmission entre les personnes au Canada.
Crédit graphique: IHME
Quand c’est > 1, ça veut dire que chaque personne infectée par la COVID la transmet à > 1 personne et que l’épidémie est en croissance. Quand c’est < 1, l’épidémie régresse.
Ça vaut ce que ça vaut, puisqu’on ne teste plus tant, mais la corrélation avec les vagues est excellente.
Alors voici: ce facteur était mesuré à 1.71 le 15 juillet au Canada (voir graphique), ce qui signifie que chaque personne transmettait la COVID à 1.71 autre en moyenne. D’où la progression.
Disons que le masque a une efficacité de 15%. La transmission baisse d’autant : de 1.71 à 1. 45 (ça reste un exemple théorique, mais ça ressemble à cela).
Admettons ce nombre stable, et qu’on part à 1910 cas le 15 juillet (chiffre «officiel» au Québec) et que le temps entre deux cas est de 5 jours. J’ai fait un graphique pour vous montrer l’effet de ce 15% d’efficacité sur la croissance des cas que j’ai fait valider par deux personnes qui s’y connaissent.
Crédit graphique: IHME
Si on prend les cas cumulatifs, en rouge et vert, on passe de 572 400 cas (en rouge) à 147 090 (en vert) cas au bout de 6 semaines. Grosso modo, le quart des cas ! Tout ça pour une « faible » efficacité au départ de 15%. Impressionnant, non?
Actuellement, la vague d’été semble sur le point de trouver son sommet, probablement dans 1 ou 2 semaines. Après, ça ira un peu mieux. Ça va faire du bien!
Les Entrées des hosp en perte de force. pic.twitter.com/SbCcOWv5cs
— Sylvain Lacroix (@SylvainLacroi13) July 22, 2022
C’est donc le temps de vraiment y réfléchir, pour ne pas être «surpris» quand la vague de l’automne arrivera — parce qu’elle va arriver, à un moment donné.
Voici ce sur quoi on pourrait essayer de s’entendre, le plus largement possible.
1) Vacciner. La campagne s’est bien passée, mais a plafonné. On sait où on en est dans la vaccination. Mais il faudrait reprendre la pédagogie : quelle est la protection actuelle contre les formes graves? Des données québécoises à ce sujet? Quels sont les gains de bien vacciner tout le monde? Quels sont les risques avec 18 mois de recul? Et surtout, à moyen terme, il faut continuer à encourager le développement de meilleurs vaccins, parce que la protection actuelle contre l’infection et la transmission sont insuffisantes.
2) Informer. Bien exposer les faits, calmement, clairement, pédagogiquement. Connaître et comprendre le prix de ne rien faire ou le gain quand on prend certaines mesures, comme le masque durant les montées. Quels sont les gains potentiels associés en cas, en hospitalisations, en absentéisme au travail et à l’école, en COVID-longue, en protection de l’économie, en libération de disponibilités hospitalières, en décès, etc.? Exemple: actuellement, il y a environ 2000 personnes hospitalisées. Si on se fie au modèle, c’est près de 1400 qu’on aurait pu éviter. Et peut-être aussi éviter 143 décès (qui sont habituellement proportionnels aux hospitalisations). Et combien de cas de COVID-longue? Ça vaut la peine de le savoir, non?
3) Ventiler. Il faut établir et diffuser publiquement le bilan de la ventilation des espaces intérieurs scolaires, de travail et de loisir. Ventiler les écoles ne règlerait pas tout, mais pourrait diminuer la contamination scolaire. En Italie, cette diminution atteint 80% dans les écoles bien ventilées. Et quelles sont les données pour les lieux de travail? Nos lieux publics sont-ils bien adaptés? J’aimerais qu’on nous dise combien ça coûte, quels sont les impacts, si c’est possible de le faire et, si non, pourquoi afin de mieux comprendre ! Combien pour cette mise à niveau? Ça vaut le coût ou pas? Est-ce qu’on a la main-d’œuvre pour le faire ou non? En combien de temps? Est-ce qu’on peut au moins commencer par les pires?
4) Relaxer quand ça va bien. En situation de baisse importante des cas ou d’accalmie, ce qui est le cas souvent, les mesures ayant beaucoup moins d’impact et d’importance (pourvu qu’on soit prêt à réagir quand un nouveau variant arrive et que ça recommence à monter), il faut prendre le temps de relaxer — mais en sachant que ce n’est pas permanent.
5) Encourager le masque à l’intérieur durant les montées de cas. Est-ce qu’on est prêt à porter le masque à l’intérieur ? Pas pour rien : pour sauver des hospitalisations et des morts quand les vagues arrivent. Si on s’entend sur les faits, il sera plus facile de répondre à la question. Évidemment, sinon, on peut continuer à s’engueuler sur n’importe quoi, après tout, ça passe le temps. Sans doute qu’on aura besoin de l’obligation pour atteindre un tel 80%, mais ce qui serait vraiment bien, c’est qu’on le porte au bon moment… sans obligation. Au Québec, la moitié des personnes interrogées récemment sont en faveur d’un tel retour du masque.
Au fait, grâce à Richard Mousseau, voici même une proposition d’acronyme : VIVRE
Vacciner
Informer
Ventiler
Relaxer dans les descentes
Encourager le masque dans les montées
Comme dans : VIVRE… avec le virus, donc?
Et ne reculant devant rien, suite à la demande de Dre Amélie Boisclair, voici même le t-shirt officiel :
Crédit: Alain Vadeboncoeur
Même si nous ne sommes pas en pleine catastrophe, regardons la réalité en face et prenons-nous en main. Nous avons les moyens de choisir des mesures acceptables pour éviter des morts et des hospitalisations, garder à flot notre système de santé, préserver les écoles et éviter de payer trop cher pour les vagues récurrentes qui vont survenir dans les prochaines années. Est-ce que ça n’en vaut pas la peine?
Et tout ça, pour combien de temps? Le temps qu’il faudra? Je ne suis pas devin.
Et enfin, puisque ça prend des pensées positives pour agir, je termine par un autre tweet de Tara Moriarty:
We are NOT powerless to make a difference, not only for our own lives, but for the lives of others, for healthcare workers, for our healthcare system.
— Tara Moriarty (@MoriartyLab) July 21, 2022
We bloody did it until 6 month ago, and we can certainly do it again.
«Nous ne sommes PAS impuissants, nous pouvons faire une différence, non seulement pour nos propres vies, mais pour la vie des autres, pour les travailleurs de la santé, pour notre système de santé. Nous l'avons fait jusqu'à il y a 6 mois, et nous pouvons certainement le refaire.»
Voilà, tout est dit.