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Société

Pourquoi des femmes médecins veulent-elles quitter les États-Unis pour le Canada?

Elles redoutent notamment certaines politiques de l'administration Trump en matière de santé des femmes.

Des militant·e·s pour le droit à l'avortement et des leaders de la Marche des femmes manifestent dans le cadre d'une journée nationale de grève devant la Cour suprême, le lundi 24 juin 2024, à Washington.
Des militant·e·s pour le droit à l'avortement et des leaders de la Marche des femmes manifestent dans le cadre d'une journée nationale de grève devant la Cour suprême, le lundi 24 juin 2024, à Washington.
Avis Favaro
Avis Favaro / CTV News

Certaines femmes médecins aux États-Unis envisagent de s'installer au nord de la frontière pour exercer la médecine en raison de l'évolution du paysage politique dans leur pays.

«Quelqu'un cherche un gynécologue à temps partiel en Ontario?», a écrit la Dre Kriti Patel dans un récent message sur les réseaux sociaux.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

La Dre Kriti Patel dit que c'est la première fois de sa carrière qu'elle envisage activement de déménager au Canada.

«C'est une période terrifiante pour les femmes et les médecins spécialistes des femmes aux États-Unis», a-t-elle expliqué à CTV News, en évoquant le cas d'un médecin new-yorkais accusé au pénal d'avoir prescrit un médicament abortif, la mifépristone, à une jeune femme en Louisiane. Le Texas, quant à lui, a introduit une peine de 99 ans de prison pour les médecins qui pratiquent des «avortements illégaux».

 

La Dre Patel vit dans un État démocrate du nord-est des États-Unis, mais elle a refusé de préciser lequel. Elle dit avoir été en contact avec au moins une clinique de santé pour femmes au Québec et avoir été mise en relation avec un recruteur de médecins en Ontario.

Sa recherche est en partie motivée par la crainte que la nouvelle administration ne démantèle rapidement l'accès aux médicaments contraceptifs et aux avortements, même dans les États aujourd'hui libéraux.

«Je ne pense pas que nous soyons loin du moment où les femmes perdront les droits pour lesquels nous nous sommes battues si longtemps et si durement par le passé.»
-La Dre Kriti Patel 

En examinant de plus près le système de santé canadien, Mme Patel se dit impressionnée par le droit à l'avortement, les lois strictes sur les armes à feu et le système de santé universel du pays. «Nous (aux États-Unis) avons une espérance de vie plus faible, des taux plus élevés de (maladies et décès) maternels et infantiles... et nous savons que les Canadiens sont en meilleure santé et ont une espérance de vie plus longue.»

Tous les médecins interrogés pour cet article sont nés et ont été formés aux États-Unis.

«Inquiétudes pour l'avenir»

La Dre Joyce Johnson, pathologiste à Nashville, déclare qu'elle consulte également pour la première fois de sa carrière les sites d'offres d'emploi au Canada.

«J'ai beaucoup d'inquiétudes pour l'avenir», a-t-elle avoué à CTV News. «Nous représentons 51% de la population, c'est-à-dire les femmes, classées D.E.I. (diversité, équité et inclusion). Nous sommes soudainement une minorité spéciale. C'est fou, horrible.»

La sexagénaire hésite à quitter ses enfants et petits-enfants adultes, mais s'inquiète surtout des tensions croissantes entre les décisions des dirigeants sur le financement de la science et de la santé, et les décisions de justice qui tentent de mettre un terme aux coupes dans les services et la recherche.

«Je pense que les choses vont évoluer très rapidement ici dans les semaines et les mois à venir. Et j'ai quelques anciens résidents qui exercent au Canada et qui adorent ça», a expliqué la Dre Johnson.

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Bien qu'il soit trop tôt pour confirmer qu'il s'agit d'une tendance, certains pensent que l'investiture du président Donald Trump et la multitude de changements apportés aux soins aux patients pourraient pousser davantage de médecins américains à s'installer au Canada, où environ 6,5 millions de personnes n'ont pas de médecin de famille et où les spécialistes sont très demandés.

«Je serais prête à déménager d'ici la fin de l'année si je trouvais le bon emploi et le bon endroit où vivre», a indiqué la Dre Gretchen Winter, qui est médecin en soins intensifs. Cette dernière envisage de déménager en Ontario, en Colombie-Britannique ou peut-être sur la côte Est.

«Je veux en partie échapper aux mouvements politiques et anti-science, anti-vaccins aux États-Unis, et en partie protéger notre santé physique et reproductive», a-t-elle ajouté.

La Dre Winter affirme qu’elle en a assez de lutter contre la désinformation propagée par des patients agressifs qui remettent en question la validité scientifique des traitements. 

«J'ai l'impression que les gens ne me font pas confiance, ni à mon opinion, ni à mon expertise, et j'ai du mal à vouloir donner davantage de moi-même à des patients qui, selon moi, ne croient pas que j'agis dans leur intérêt», a-t-elle précisé.

Augmentation des demandes de renseignements

Certaines provinces, qui ont répondu aux demandes de CTV News, disent avoir remarqué un changement. Les responsables de BC Health Match, l'agence chargée du recrutement pour la Colombie-Britannique, ont écrit dans un courriel qu'ils «avaient remarqué un intérêt accru de la part des médecins aux États-Unis», bien qu'ils ne puissent pas encore fournir de chiffres précis.

Nova Scotia Health affirme avoir reçu 35 demandes de médecins américains depuis fin novembre, juste après les élections américaines et le lancement d'une campagne de recrutement numérique ciblée, https://morethanmedicine.ca, dont 13 médecins sont activement engagés dans des discussions concernant des postes dans la province, selon Brendan Elliott, responsable des affaires publiques pour Nova Scotia Health. Il confirme également que plus de la moitié de ces demandes émanent de femmes.

La Société des médecins et chirurgiens de l'Ontario a publié un rappel le 14 février indiquant que les médecins américains certifiés par un conseil d'administration qui souhaitent s'installer dans la province sont dispensés de toute autre certification, comme celle du Collège des médecins de famille du Canada ou du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. La Nouvelle-Écosse dispose d'un programme accéléré similaire qui élimine les examens ou formations supplémentaires fastidieux pour les médecins américains certifiés.

Andrea Lowen, recruteuse pour l’équipe de santé de Middlesex-London, affirme que lors d’un récent salon médical à Cleveland, quelque 200 médecins ont écouté sa présentation sur la pratique en Ontario, où le processus accéléré représentait un attrait majeur.

«Ils étaient très enthousiastes. Je pense que cela les a fait réfléchir... Donc, je pense que ce n'était pas dans leur radar avant», a-t-elle soutenu­.

Mme Lowen a également été surprise de constater que la grande majorité des personnes qui se renseignaient sur les emplois au Canada étaient des femmes.

«Je suis revenue et j'ai dit à notre société de développement économique: "Nous devons faire une énorme campagne publicitaire aux États-Unis... Et je pense que cela pourrait être important"», a-t-elle indiqué.

Répondre à l'appel

L'une des travailleuses de la santé qui a répondu à l'appel de recrutement de la Nouvelle-Écosse était la Dre Libby Fleming. Celle-ci a quitté son cabinet de Pittsburgh pour travailler dans un centre de soutien à la guérison des dépendances à Sydney, en Nouvelle-Écosse.

«Ma toute première impression en quittant l'aéroport a été: "Oh mon Dieu, c'est vraiment magnifique ici"», a-t-elle raconté à CTV News.

Mme Fleming est médecin ostéopathe, titulaire d'un diplôme de médecine familiale et spécialisée dans la médecine des dépendances. Elle a satisfait à toutes les exigences de la province en matière de licence.

Elle se dit déçue par le traitement de la dépendance aux États-Unis, qu'elle décrit comme étant très «axé sur le profit» et «très démoralisant», car elle a l'impression que les soins ne sont pas axés sur le rétablissement du patient.

À son arrivée à Sydney en juillet dernier, la Dre Fleming dit s'être immédiatement sentie la bienvenue et n'avoir jamais regretté son déménagement, avec ses quatre enfants.

«Mes enfants me demandaient: "Pourquoi souris-tu autant?" Chaque jour, je suis heureuse d'aller travailler et je rentre chez moi heureuse», a-t-elle confié. «J'ai vu (mes enfants) beaucoup moins stressés depuis que nous avons déménagé ici.»

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Bien que les travailleurs de la santé au Canada gagnent globalement moins qu'aux États-Unis, Mme Fleming a accepté un travail salarié à la clinique en échange d'une meilleure qualité de vie. Les alertes textuelles indiquant qu'un tireur actif se trouvait autour de leurs écoles à Pittsburgh font désormais partie du passé.

«Ma fille m’a dit: "Il n’y a pas de caméra dans notre autobus scolaire. Si quelqu’un vient nous tirer dessus, personne ne saura qui l’a fait." » Fleming raconte qu’elle lui a répondu que les fusillades dans les écoles sont rares, voire inexistantes, au Canada en raison des lois sur les armes à feu.

Depuis l'investiture de Trump, Mme Fleming dit qu'elle a soudainement entendu parler d'un plus grand nombre de collègues américains du secteur de la santé qui se renseignent également sur la possibilité de déménager au nord. L'un d'eux, un médecin de famille, se rendra en Nouvelle-Écosse dans les prochaines semaines pour envisager un éventuel changement, dit Mme Fleming.

«Beaucoup de gens ont peur. Je pense que nous sommes sur le point d'assister à un exode de travailleurs de la santé des États-Unis.»
-La  Dre Libby Fleming

L'«agitation politique» du Canada

Un porte-parole de l'American Medical Women's Association a écrit qu'il ne pouvait pas confirmer une tendance des médecins à déménager au nord.

«Nous ne connaissons aucun membre qui ait pris cette décision et nous ne pouvons donc pas parler de cela comme d'une réalité», a-t-il dit.

Il se pourrait que des médecins américains curieux attendent que le Canada règle ses propres problèmes immédiats, a prévenu Jill Croteau, de la Société canadienne de recrutement de médecins.

«Nous connaissons actuellement des troubles politiques, je pense, dans notre propre pays. Il est donc possible qu'après les élections, nous voyions davantage de médecins traverser la frontière», a-t-elle fait savoir.

Certains des médecins américains avec lesquels CTV s'est entretenu attendent de voir comment le paysage politique à Washington évolue avant de prendre des décisions définitives.

Mme Patel et Mme Johnson disent toutes deux vouloir voir si les mesures judiciaires visant à mettre fin aux coupes budgétaires dans les soins de santé et la science tiendront. Mais elles gardent leurs options ouvertes.

«Une partie de moi se dit que je devrais rester et jouer les trouble-fêtes», a expliqué Mme Johnson. D’un autre côté, elle souligne que le Canada facilite plus que jamais l’immigration des médecins, une option attrayante pour cette femme de 66 ans qui espère travailler encore quelques années. «Une personne m'a dit: "Votre logement va être plus cher, mais je peux vous promettre que votre voisin ne sortira pas une arme et ne vous tirera pas dessus." Comme un échange équitable.»

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Pour la Dre Gretchen Winter, il s'agit de trouver un poste de soins intensifs dans une province où le coût de la vie sera abordable, car elle a besoin d'une maison pouvant accueillir ses six chiens. Mais le système de santé canadien est intriguant, dit-elle.

«Je suis très attirée par un endroit où la priorité est de prendre soin des gens, et où les finances viennent ensuite», a-t-elle dit.

Elle sait que les médecins canadiens ont généralement des salaires plus bas qu'aux États-Unis, mais une baisse de salaire serait compensée par le fait qu'elle n'aurait pas à payer d'assurance maladie comme elle le fait au sud de la frontière.

«Je paie probablement au moins 20 000 $ par an pour l'assurance maladie et tout le reste ici, vous savez, entre l'assurance maladie et les factures de santé, peut-être plus», a rapporté Mme Winter.

La gynécologue Kirti Patel continuera à chercher des options au Canada tant qu'elle «pourra être ici (aux États-Unis) en toute sécurité». Sa plus grande préoccupation concerne ses enfants, aujourd'hui jeunes adultes.

«Je veux être sûre que mes enfants pourront me suivre s'ils le souhaitent. Je dois faire des recherches pour savoir s'ils peuvent obtenir facilement un visa ou la citoyenneté avant de prendre une telle décision», a-t-elle conclu.

Avis Favaro
Avis Favaro / CTV News