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Le constat est encore plus sombre dans le milieu universitaire.
L’Association des médecins juifs du Québec (AMJQ) tire la sonnette d’alarme quant aux incidents antisémites auxquels sont confrontés les membres du milieu médical québécois. Depuis le début du conflit dans la bande de Gaza, déclenché le 7 octobre 2023, ces incidents seraient en augmentation «significative», indique l’association, et s’intensifieraient.
L’AMJQ a dévoilé vendredi les résultats d’un sondage effectué auprès de 217 de ses 500 membres montrant que la majorité des répondants avaient été confrontés à des comportements antisémites dans le milieu hospitalier québécois depuis le déclenchement de la guerre au Moyen-Orient. Alors qu’ils étaient 45 % à déclarer n’avoir jamais été victime d’incidents antisémites avant le conflit, ils ne sont aujourd’hui plus que 34 % selon le sondage.
Le constat est encore plus sombre dans le milieu universitaire, où 27 % des répondants font état de comportements antisémites graves ou intenses. Les faits rapportés incluent les insultes directes, les remarques relatives à l’identité juive et les démonstrations publiques de soutien à des mouvements anti-israéliens sur les campus, précise l’AMJQ.
«Les tensions régionales et mondiales, notamment le conflit entre Israël et le groupe terroriste Hamas, ont exacerbé cette situation», indique l’association dans une déclaration. «Les répercussions de ces événements se font sentir au sein de notre communauté, créant un climat de peur et d'incertitude.»
En réponse à cette montée des actes antisémites, 18 % des médecins interrogés ont confié envisager de réduire la part accordée à l’enseignement dans leurs pratiques. Pas moins de 10 % disent avoir déjà fait des démarches afin de changer d’académie ou hôpital. Pire encore, 24 % envisagent de quitter le Québec pour exercer dans une autre province ou aux États-Unis, voire en Israël.
Les résultats du sondage ne surprennent pas le Dr Lior Bibas. Le président de l’Association des médecins juifs du Québec explique: «On s'attendait à ce que plusieurs de nos membres, de nos médecins, étudiants ou résidents, aient ressenti un climat qui a complètement changé, basculé, avec le 7 octobre, avec un climat parfois discriminatoire et certains incidents francs d'antisémitisme en recrudescence.»
Le médecin, qui pratique à l’Institut de cardiologie de Montréal, relève que cette recrudescence dans le milieu médical est à l’image de la recrudescence générale. «Mais pour plusieurs, qui ont vécu comme moi-même toute leur vie ici, c'est un peu nouveau dans le sens où l’on n’a pas vécu dans le passé ce que l'on vit présentement, nuance-t-il. C'est vraiment du jamais vu.»
Les répondants au sondage ont aussi pu relater certains incidents qu’ils avaient vécus. Le plus souvent, il s’agit de propos antisémites ou de vidéos propalestiniennes envoyés par des collègues via les réseaux sociaux. Mais ces actes ne se limitent pas au cyberespace, comme en témoignent certains membres. L’un d’entre eux rapporte par exemple que certains collègues ont arrêté de lui parler depuis le 7 octobre. Un autre explique que des patients ont refusé qu’il les soigne. Un autre encore raconte qu’un patient lui a confié qu'il se méfiait de son médecin précédent en raison de sa confession juive, sans réaliser que le médecin auquel il disait ça était juif aussi. L’un des témoignages les plus extrêmes rapporte même qu’un soignant a été qualifié de «tueur de bébés» et de «soutien au génocide» par des collègues.
Le sondage fait aussi émerger un écart entre les milieux universitaires francophones et celui de McGill. L’université anglophone a défrayé la chronique au printemps dernier en raison d’un campement propalestinien érigé sur le campus à la fin avril, qui a été démantelé après plus de deux moins d’occupation, de manifestations et de tensions. Le recteur de l’université, Deep Saini, avait affirmé dans un communiqué lors du démantèlement qu'il s’agissait d’une «forteresse vouée à l’intimidation et à la violence».
Les répondants au sondage affiliés à McGill ont affirmé n’être jamais victimes d’incidents antisémites dans une proportion de 19,72 %, un gouffre comparé aux 41,55 % d’avant le 7 octobre 2023. Cependant, la situation de McGill pourrait être due en partie au fait qu’elle est simplement plus exposée. C’est en tout cas ce que fait remarquer le Dr Gerald Batist, vice-président de AMJQ et enseignant à McGill.
«En parlant avec mes collègues juifs dans les hôpitaux francophones, ils me disent qu’ils ont peur et qu’ils sont plus cachés, raconte-t-il. Ils essaient d'éviter cette situation, donc c'est difficile de mesurer parce que ces personnes probablement résisteraient aussi à répondre au sondage. Mais sur le terrain, c'est très clair que c'est un problème qui menace mes collègues.»
Le médecin ajoute qu’il y a peut-être aussi un facteur historique à prendre en compte, parlant d’une «histoire riche d'antisémitisme à McGill». «Il y avait des quotas jusqu'aux années 60 qui limitaient le nombre des juifs dans la faculté de médecine», rappelle-t-il.
Pour enrayer cet engrenage, le Dr Lior Bibas lance un appel: «Nous appelons les autorités universitaires et hospitalières à agir rapidement pour instaurer un environnement de travail inclusif et exempt de haine, permettant à chaque professionnel de la santé d'exercer sa vocation dans la dignité et le respect.»
Questionné sur une éventuelle recrudescence de l’islamophobie dans le milieu médical, le Conseil national des musulmans canadiens n'a pas immédiatement répondu.
Le sondage de l’AMJQ a été mené auprès de 217 membres de l’association, qui regroupe des médecins, des résidents et des étudiants en médecine de confession juive. Il a été réalisé à l’aide d’un questionnaire en ligne et en collaboration avec l'Association canadienne des médecins juifs.