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Cette loi interdit à certains employés du secteur public québécois de porter des symboles religieux au travail.
C’est finalement la Cour suprême qui tranchera sur le bien-fondé ou non, en droit, de la Loi 21 sur la laïcité de l’État.
Le plus haut tribunal a en effet accepté, jeudi, d’entendre la contestation de la décision rendue par la Cour d’appel en février 2024 dans les causes multiples regroupant les nombreux groupes et personnes qui contestent la constitutionnalité de la Loi 21.
Voyez le compte-rendu de Marie-Pier Boucher dans la vidéo ci-haut.
La loi sur la laïcité de l’État interdit le port de signes religieux aux personnes en autorité, notamment les juges, procureurs de la Couronne, policiers, agents des services correctionnels et enseignants du primaire et du secondaire.
Dans sa décision de première instance, le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure avait fait savoir qu’à défaut d’utiliser la disposition de dérogation (communément appelée clause dérogatoire ou nonobstant), la loi 21 n’aurait pas respecté la Charte des droits et libertés. Tout en la qualifiant d’«excessive» en raison de sa portée qu’il jugeait trop large, le magistrat n’en concluait pas moins qu’elle était valide en raison, justement, de cet usage de la disposition de dérogation.
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Cependant, le juge Blanchard en avait exempté les commissions scolaires anglophones en concluant que les droits linguistiques garantis par la Charte n’étaient pas soumis à la disposition de dérogation. Quant aux élus de l’Assemblée nationale, il les exemptait également de l'obligation de siéger à visage découvert, invoquant le droit de se présenter et de siéger comme élu.
En février dernier, la Cour d’appel effaçait l'exemption accordée aux commissions scolaires anglophones, le banc de trois juges du plus haut tribunal provincial faisant valoir que l’état du droit, au Québec, «se fonde sur une séparation de l’État et des religions: car de fait, les éléments constitutifs de l’État canadien sont laïques».
Selon eux, malgré toute la controverse entourant la loi, celle-ci n’avait pas comme objectif de porter atteinte aux personnes à cause de leurs convictions religieuses. Son objectif était de faire en sorte que les employés de l’État en position d’autorité se conforment «aux contraintes que leur imposent la neutralité et la laïcité de l’État».
L’exemption offerte par le juge Blanchard aux commissions scolaires anglophones n’avait pas raison d’être, écrivait-on, puisque la loi «n’affecte pas les droits scolaires linguistiques que cette disposition reconnaît aux citoyens canadiens appartenant à la minorité anglophone du Québec».
La Cour d’appel avait toutefois maintenu l’exemption offerte aux élus de l’Assemblée nationale en ce qui a trait à l’obligation de siéger à visage découvert, tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une question théorique puisqu’elle ne réfère à aucun cas concret. «Les personnes qui portent un signe religieux couvrant leur visage (c.-à-d., dans le contexte sociologique actuel, les quelques femmes musulmanes qui portent le niqab ou la burqa par conviction religieuse) sont ainsi privées du droit de « jouer un rôle significatif dans le processus électoral », puisque rien ne leur sert d’être candidates à une élection si elles ne peuvent concrètement, par la suite, exercer les fonctions découlant de cette élection vue l’obligation de retirer leur couvre-visage», a-t-on fait valoir.
Depuis son adoption, en juin 2019, la Loi sur la laïcité de l’État a été à l’origine de nombreuses contestations. La Fédération autonome de l'enseignement, la Commission scolaire English Montreal, l'Association canadienne des libertés civiles, le Conseil national des musulmans canadiens, l'Organisation mondiale sikhe du Canada sont parmi les nombreux demandeurs dans ce dossier.
Le gouvernement Legault en a défendu l’application intégrale à tous les niveaux. À l’opposé, du côté fédéral, le premier ministre Justin Trudeau a toujours promis de soutenir une éventuelle contestation en Cour suprême.
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Fait rare, le juge Mahmud Jamal de la Cour suprême s'est récusé de la cause à la demande du Procureur général du Québec, qui avait invoqué ses liens passés avec l'Association canadienne des libertés civiles, un des demandeurs dans cette cause.
Les divers groupes qui contestent la loi 21 se sont réjouis de cette ouverture des portes du plus haut tribunal.
En conférence de presse à Ottawa, le président et directeur général du Conseil national des musulmans canadiens, Stephen Brown, y est allé d'une attaque sentie contre la législation. «La loi 21 est une loi électoraliste, conçue pour exploiter les sentiments d'angoisse envers les minorités religieuses, particulièrement les femmes musulmanes portant le voile. C'est une loi qui divise la société, une loi adoptée dans le but explicite de retirer des droits à certains groupes de minorités impopulaires.»
Selon lui, le gouvernement Legault, en utilisant la clause dérogatoire «pour priver de façon préventive certains Canadiens de leurs droits fondamentaux, il a libéré le génie de l'autoritarisme juridique de la bouteille».
«Nous nous retrouvons maintenant dans cette position inconfortable où huit juges devront décider si nous vivons dans un pays où les citoyens ont des droits ou (si nous vivons) dans un pays où les citoyens n'ont que les permissions que les politiciens veulent bien nous accorder.»
À ses côtés, la directrice du programme d'égalité de l'Association canadienne des libertés civiles, Harini Sivalingam, a fait valoir que «la loi 21 a un impact disproportionné sur des minorités religieuses spécifiques telles que les communautés musulmanes, sikh et juives et vise particulièrement les femmes».
«Nous savons que la loi 21 a perpétué la discrimination systémique et porté atteinte à la liberté de religion d'innombrables minorités religieuses à travers la province de Québec», a-t-elle soutenu.
«Cette cause porte sur les droits et libertés fondamentaux qui sont au coeur de notre démocratie et s'ils ont un véritable sens ou si ces droits peuvent être aussi facilement retirés par l'utilisation de la disposition de dérogation.»
«Nous maintenons notre position initiale à l’effet que la loi 21 est en conflit avec nos valeurs et notre mission et avec celles de tous les Québécois telles qu’exprimées dans la Charte québécoise des droits et libertés», a déclaré le président de la Commission scolaire English Montreal, Joe Ortona par voie de communiqué. «Son adoption était contraire à notre objectif sociétal de promouvoir la coexistence pacifique dans un Québec pluraliste.» Cette loi, dit-il, «envoie un message d’intolérance et d’exclusion à nos étudiants et leurs familles».
La CSEM maintient que l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit les droits éducatifs de la minorité anglophone au Québec donne le droit de gérance et le contrôle exclusifs des commissions scolaires aux minorités linguistiques du pays. La contestation de la législation par la CSEM est également basée sur la discrimination en fonction du genre, estimant qu’elle avait un effet disproportionné sur les femmes, particulièrement les femmes musulmanes diplômées dont le rôle se trouve ainsi restreint dans la sphère publique.
De son côté, la présidente de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), Mélanie Hubert, se réjouit de pouvoir être entendue par le plus haut tribunal. La FAE contestait d'une part le dénombrement exigé par le ministère de l'Éducation, qui cherchait à obtenir de chaque établissement le nombre d'enseignants portant des signes religieux et le nombre et la nature des demandes d’accommodements pour des motifs religieux, linguistiques ou ethnoculturels. «Les minorités religieuses, plus particulièrement les femmes musulmanes portant le voile, avaient ressenti un effet de stigmatisation à la suite de l’opération de dénombrement», écrit-elle. D'autre part, elle dénonçait le fait que les personnes ayant un droit acquis de porter un signe religieux en vertu d'une «clause grand-père» ne pouvaient obtenir d'avancement ou changer d'établissement.
La FAE tient cependant, «afin d'éviter toute confusion, amalgame ou désinformation, à rappeler qu'elle est en faveur de la laïcité de l'État et qu’elle dénonce et s’oppose à toutes les formes d’intégrisme ainsi que de prosélytisme».
Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a de son côté annoncé qu’il demandera le droit d’intervenir devant la Cour suprême «pour traiter de l'interprétation de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui concerne le droit de gestion et de contrôle de la minorité anglophone de ses établissements et de son éducation».
Se disant heureux de voir l’appel accueilli, le commissaire rappelle qu’il a toujours eu à cœur la situation des communautés de langue officielle en situation minoritaire. «En tant que commissaire, je continuerai de tout faire en mon pouvoir pour défendre leurs droits», a-t-il affirmé par voie de communiqué.