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Notre journaliste a passé une soirée dans un événement de jeu de rôle canin. Récit d’un samedi soir pas comme les autres.
Le puppy play (ou jeu de rôle canin) a fait la manchette ces derniers mois. Pour mieux comprendre cette pratique qui compte de nombreux adeptes au Québec, notre journaliste a passé une soirée dans un événement de cette communauté. Récit d’un samedi soir pas comme les autres.
La journée tire à sa fin aux abords du petit parc bordant le métro Papineau. Les passants regardent d’un air amusé ou perplexe les personnes arborant des masques de chien qui se dirigent d’un pas assuré vers le bar Taboo. À l’intérieur, c’est le branle-bas de combat pour finaliser la préparation d’une soirée importante pour la communauté puppy montréalaise.
Le puppy play, c’est une pratique qui consiste à se déguiser en chien et à se comporter comme tel. La première fois qu’il est allé dans un événement de puppy, Okami a «trouvé vraiment chaussure à [son] pied». Comme tous les autres participants qui ont accepté d’être interviewés, il préfère utiliser son nom de scène.
Et en cette soirée du mois d’août, les adeptes montréalais de cette pratique se rassemblent comme à chaque année pour la finale du concours Pup Montréal, où sera couronné celui ou celle qui représentera la communauté pour les 12 prochains mois.
Au total, cinq candidats – trois hommes et deux femmes – défileront devant les trois juges (d’anciens titrés de concours, à Montréal ou ailleurs) et la centaine de spectateurs s’étant déplacés pour l’occasion. Ils devront présenter un discours et offrir une performance fétiche sur scène, en plus de répondre aux questions des juges.
Malgré l’ambiance décontractée et la camaraderie entre les candidats, on sent une certaine compétitivité.
En coulisses, deux candidates discutent des stratégies entourant l’ordre de passage. Selon Pixel, sa rivale Vixen est chanceuse de passer en premier, car les juges ont moins d’attentes en début de soirée.
Pixel pratique le puppy play depuis 13 ans. Très impliquée dans la communauté puppy montréalaise, elle peut occuper autant le rôle de dominante (maître) que de dominée (chien). Elle montrera d’ailleurs ces deux facettes de sa personnalité lors du concours. Pour sa performance, elle est accompagnée de deux puppies: son conjoint et un ami. Si le jeu de rôle animal prend des dimensions sexuelles avec son conjoint, il n’en est rien avec son ami, précise-t-elle.
Car le puppy play, contrairement à certaines croyances, n’est pas nécessairement une pratique sexuelle. «Ça peut le devenir», concède toutefois Pixel.
«Pour moi, ce n'est pas premièrement un jeu sexuel», renchérit Okami, un autre candidat au concours, croisé en coulisses avant sa performance.
Ce dernier explique que le puppy play est une façon de combattre son anxiété sociale, qui l'aide à communiquer plus aisément avec les autres. «Je me sens plus à l'aise en portant ça», confie-t-il en pointant son masque.
Okami est accompagné de son maître (aussi appelé handler) lors de notre entretien. Or, ce ne sont pas tous les chiens qui participaient au concours qui ont un maître. Vixen, une autre candidate, n’a présentement pas de partenaire de puppy play. Alors qu’elle a débuté la pratique avec un ex-partenaire, elle n’est désormais plus accompagnée.
«Des fois c’est juste me coucher avec mon masque ou aboyer un peu, jouer à quatre pattes avec des jouets divers», détaille-t-elle.
Souvent associée aux hommes gais, la pratique du puppy play au Québec prend de l’ampleur dans d’autres groupes, selon plusieurs adeptes rencontrés. Ceux-ci s’entendent pour dire que l’activité est ouverte à tous, peu importe le genre ou l’orientation sexuelle.
Vixen était d’ailleurs fière de pouvoir représenter les femmes sur scène samedi soir, tout en incluant les personnes trans et non binaires.
«Je suis ici pour les représenter et pour m’assurer qu’elles se sentent en sécurité et incluses dans les événements, parce que ce sont des événements qui sont pour tous», explique-t-elle.
Pour Fox le pup, gagnant de l’édition 2022 du concours, n’importe qui peut expérimenter le jeu de rôle animal, même sans équipement ni partenaire.
«Il n’y a pas de mauvaise façon de faire du puppy play, des fois il s’agit juste de se mettre à quatre pattes, d’essayer de voir, de se mettre à japper, de voir comment on se sent par rapport à ça et de se laisser aller par la suite», estime-t-il.
Des adeptes rencontrés sentent que le puppy play est mal compris par le reste de la population. C’est d’ailleurs pourquoi plusieurs d’entre eux ont accepté de nous parler, pour démystifier leur réalité.
Ce printemps, des rumeurs voulant que des élèves se comporteraient comme des animaux dans des écoles secondaires avaient suscité beaucoup de commentaires, dont plusieurs maladroits, à ce sujet. Des images de personnes déguisées en chien en public, notamment dans des défilés de la Fierté, causent elles aussi des vagues de commentaires haineux en ligne à chaque année.
Aux gens qui disent que ce n’est pas approprié d’être habillé en puppy autour des enfants, Fox le pup rétorque que le Cirque du soleil met de l’avant un personnage de chien sur scène devant des milliers de gens dans le spectacle Kooza, qui s’adresse à un grand public, sans que ça ne pose problème.
«On est tout à fait capable, comme les drag queens, de s’adapter à nos audiences, de faire nos événements en fonction de ce que les gens ont envie et de respecter le consentement», conclut-il.
Au fil de la soirée, de nombreuses performances ont diverti la foule composée massivement d’un public déjà conquis par le puppy play. Bien qu’osées, aucune performance ne comportait de nudité frontale, même si l’événement était réservé aux personnes majeures.
Rares non-initiées dans la foule, trois femmes installées au bar regardent la scène de loin.
L’une d’entre elle est la sœur d’un des puppies qui a foulé la scène ce soir. Ancienne concurrente de concours de dressage de (vrais) chiens, elle nous confie sourire aux lèvres que son frère a bénéficié de son expertise en la matière canine. Elle est contente de voir son frère s’épanouir.
Okami a lui aussi eu une bonne réaction des membres de sa famille lorsqu’il leur a avoué être un adepte de cette pratique non-conventionnelle.
«J'ai carrément juste dit à ma famille que c'était quelque chose qui m'amenait beaucoup, beaucoup de joie, qui avait un impact très positif dans ma vie», confie-t-il.
«Ça a pris un certain temps avant d'y arriver, mais j'ai un bon encadrement et j'ai une famille qui m'accepte beaucoup.Et j'ai une communauté qui est là pour me soutenir le moindrement qu'il y a quelque chose qui ne va pas», conclut Okami.
C’est d’ailleurs Okami qui a triomphé en fin de soirée, remportant le titre de Pup Montréal 2023. Il représentera donc la communauté puppy lors du défilé de la Fierté à Montréal dimanche.
En quittant le bar Taboo samedi soir, la réalité de la ville nous frappe, comme si nous venions de quitter un univers pour revenir dans la «vraie vie». Les puppies, quant à eux, restent dans leur monde de chien et continuent la fête, costumés, jusqu’aux petites heures du matin.