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«Quand on se compare, on se console, mais si vous n’arrivez pas à payer votre logement, le fait que la situation soit plus difficile à l’étranger qu’au Canada vous importe peu.»
L’important remaniement ministériel qui a eu lieu mercredi dernier à Ottawa a été l’occasion pour le premier ministre Justin Trudeau de brasser à nouveau les cartes et de revoir les responsabilités d’une grande partie des membres de son Conseil des ministres.
L’objectif de ce remaniement était double: avant tout, se donner un nouvel élan en luttant contre l’image d’usure du pouvoir, propre à tout gouvernement après presque huit ans à la tête du pays. Mais surtout, l’objectif était de mettre en place celles et ceux avec qui Justin Trudeau prévoit livrer bataille lors de la future campagne électorale, qu’elle soit anticipée ou à la date prévue du scrutin, le 20 octobre 2025.
Ce remaniement est la première étape d’une future campagne, celle qui devrait permettre à son équipe d’être bien en selle au moment opportun.
De plus, ce remaniement a aussi servi à donner des promotions ou à mettre en valeur des députés qui sont dans des circonscriptions stratégiques et que les libéraux doivent conserver pour se maintenir au pouvoir, surtout en Ontario et au Québec.
On l’a constaté avec la rétrogradation de David Lametti du ministère de la Justice, député dans une circonscription (LaSalle—Émard—Verdun) qu’il a remportée avec 43% des voix afin de permettre à la députée d’Hochelaga, Soraya Martinez Ferrada, d’accéder au Conseil des ministres dans un comté plus difficile à conserver. David Lametti connaît donc le même sort que l’ancien ministre Marc Garneau, député de Westmount, écarté du cabinet à la suite à l’élection de septembre 2021.
Idem avec Diane Lebouthillier, députée de Gaspésie, qui passe du Revenu national avec sa promotion au ministère des Pêches, conçue pour lui donner plus de poids (et de budget) dans sa région et pour mousser sa réélection. Deux circonscriptions qui sont dans la mire du Bloc Québécois, tout comme Compton-Stanstead en Estrie où Marie-Claude Bibeau reste ministre, mais perd l’Agriculture pour le Revenu national, afin de conserver cette circonscription.
Le premier ministre fait le même calcul avec des élus de l’Ontario et la nomination de quatre députés devenu ministres de la région de Toronto. Ou le retrait de la ministre Mona Fortier, qui avait gagné Ottawa-Vanier avec 50% des voix pour permettre à Jenna Sudds, dans la circonscription plus serrée de Kanata-Carleton, de devenir ministre.
Mais la géographie ne résout que très peu les enjeux soulevés par un remaniement. Il faut aussi démontrer que Justin Trudeau se préoccupe de la situation économique, surtout avec la crise du logement qui afflige l’ensemble du pays. C’est ce qu’il tente de faire avec la nomination de Sean Fraser comme ministre du Logement et celui des Infrastructures, deux ministères qui ont étés fusionnés. Changement cosmétique ou tangible, l’avenir nous le dira, mais l’exercice de communication est crucial pour son gouvernement, car les conservateurs de Pierre Poilievre marquent des points dans les sondages en démontrant qu’ils se préoccupent plus du coût de la vie que les libéraux qui eux, préfèrent citer des statistiques en se comparant au reste du monde.
Quand on se compare, on se console, mais si vous n’arrivez pas à payer votre logement, le fait que la situation soit plus difficile à l’étranger qu’au Canada vous importe peu.
Au-delà de qui est à la tête de tel ou tel ministère, le plus important n’a pas encore été dévoilé. Ce sont les lettres de mandat des ministres. Feuille de route du gouvernement, les lettres de mandat sont cruciales, car il s’agit des ordres de marche des ministres. Celles-ci énumèrent les priorités et les attentes en termes de bilan législatif de chaque ministère. Les dernières lettres de mandat qui furent émises par le premier ministre datent de décembre 2021.
Or, qui dit remaniement ministériel et lettre mandat dit aussi un possible discours du Trône en septembre. Plus que de la symbolique et du fait que cela serait le premier discours que la gouverneure générale Mary Simon lirait au nom de roi Charles III, le discours du Trône est une occasion de repartir la machine des communications du gouvernement avec une trame narrative renouvelée.
Cependant, il serait sage pour les libéraux de s’éloigner des grandes réformes «aspirationnelles» pour se rapprocher du vrai monde, avec des politiques qui leur parlent, à la manière des conservateurs.
Les lettres de mandat, c’est l’outil pour déceler ce qui sera dans la machine à saucisses du gouvernement; projets de loi, nouveaux programmes et possible réalisation avant la prochaine élection. Car soyons clair, il ne reste plus beaucoup de temps à ce gouvernement pour passer des lois.
Chaque session parlementaire siège à peu près 120 jours. Rédaction du projet de loi, étude en comité parlementaire, négociations avec les oppositions (gouvernement minoritaire oblige), compromis, amendements, trois lectures et votes à la Chambre des Communes, passage et étude au Sénat, journées d’opposition, tactiques pour faire de l’obstruction des oppositions, cela ne laisse pas beaucoup de temps dans le calendrier du gouvernement Trudeau avant l’échéance électorale.
N’oublions pas que le chef du NPD, Jagmeet Singh, a déclaré en janvier que si le gouvernement Trudeau ne présente pas un projet de loi avec un cadre national sur l’assurance médicaments à la Chambre des Communes avant la fin de l’année, l’entente avec les libéraux ne tiendra plus. Cela dit, on peut bien évidemment prendre la menace du NPD avec un grain de sel, sachant que le NPD n’est pas en mesure de mettre sa menace à exécution, électoralement et financièrement.
Revenons donc sur l’élément le plus important pour tous les observateurs de la scène politique: les lettres de mandat. La rédaction de ces lettres n’est pas une mince affaire. Si le gouvernement est trop ambitieux, il pourra se faire reprocher de ne pas avoir livré la marchandise avant l’échéance électorale. S’ils sont trop minces et généralistes, sans un objectif précis et quantifiable, cela démontre le peu de sérieux du gouvernement qui ne se préoccupe pas des priorités des Canadiens.
Les lettres de mandat sont également la base de la future plateforme électorale des libéraux. Un bilan qu’ils voudront défendre et mettre en contraste avec les conservateurs. Les lettres de mandat comportent aussi un message subliminal: si nous ne sommes pas reconduits au pouvoir, toutes ces réalisations seront perdues.
Pour se maintenir au pouvoir, les libéraux ne manqueront pas d’agiter cet épouvantail pour faire peur aux Canadiens sur leur avenir et que tout sera remis en question par Pierre Poilievre.
Et ce dernier ne manquera pas de continuer à mettre en pièces le bilan de Justin Trudeau pour renforcer le désir de changement.