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«Pourquoi faire attendre des gens à jeun (enfants ou adultes) pendant des heures… pour les retourner chez eux?»
En jaquette, couché sur son lit d’hôpital, à jeun, le poignet «double fracturé» depuis une semaine, mon fils de 16 ans broie du noir. Je le comprends: c’est sa deuxième journée d’attente pour être opéré. Il craint se faire retourner à nouveau à la maison avec son bras cassé.
Le 20 septembre dernier, après une attente de dix heures à l’hôpital Sainte-Justine, mon garçon s’est fait dire que l’opération n’allait pas avoir lieu. Il devrait rentrer à la maison, avec son plâtre temporaire: les salles de chirurgie étaient pleines.
Le lendemain, on le convoque: l’opération aura lieu le 22 septembre. Il doit se rendre au bloc opératoire du cinquième étage à 6h du matin. Alléluia. Tout le monde est soulagé. Il a mal, il ne va pas à l’école, il a hâte de retrouver sa mobilité… et sa vie d’ado.
Il repense à cet accident de trottinette électrique survenu le 17 septembre dans Ahuntsic et il regrette son faux mouvement. Mon fils est tombé brutalement sur l’asphalte et il fut secouru par des passants. L’ambulance est arrivée rapidement et par chance, son casque de moto l’a sauvé.
À nouveau à jeun et en jaquette, il attend. Il bougonne. Les heures passent. Il est 10h. Personne ne vient le voir. Il est cloué à son lit, numéro 5125, avec vue sur l’école secondaire Brébeuf, grouillante en cette journée exceptionnellement chaude.
Je lui apporte des gobelets d’eau, défiant la consigne. Je le vois dépérir. Il fulmine, il gère mal sa colère. Je tente de le réconforter. Il est pessimiste, voire dépressif.
Je suis inquiète.
Il est midi. Sur l’étage, c’est tranquille. Désert. Aucun membre du personnel en vue. Je passe régulièrement ma tête dans l’embrasure de la porte. Je fais des marches devant le poste des infirmières. À 14h, je commence à poser des questions.
Personne n’a de réponse pour moi. Mon fils n’est pas en danger de mort: il a «juste» le bras cassé. C’est vrai et je le comprends. Si des cas urgents se présentent, bien sûr, il faut les traiter d’abord. Mais alors, pourquoi nous faire venir et nous plonger dans cette attente interminable, pour une deuxième journée? Pourquoi ne pas nous fixer un rendez-vous, un moment préétabli?
«Ce serait trop simple», laisse tomber un urgentologue de l’hôpital Sacré-Cœur, avec qui j’ai discuté du cas de mon fils par téléphone.
17h. Toujours pas de nouvelles. J’assiste au départ des équipes (après tout, c’est vendredi et il fait si beau!). Mon fils sanglote: il a faim, il a mal, il veut partir. Il n’a plus une miette d’espoir: l’opération n’aura pas lieu. Je dois user de stratégie et de manipulation maternelle pour le garder en jaquette.
Je ne veux pas hausser le ton… mais je demande à voir un médecin. Je saisis le dépliant pour porter plainte devant les infirmières et les préposées, tout à coup moins joyeuses.
Une heure plus tard, un médecin en résidence orthopédique passe nous voir. Il s’adresse à Fiston: il sera opéré à 19 h.
C’est finalement à 22h que mon garçon part en salle d’opération, un pâle sourire aux lèvres.
Je n’ai pas de conclusion à ce récit. Je suis consciente que mon gars n’était pas un cas urgent, à ce moment-là. Et je suis certaine que les équipes font leur gros possible. Et qu’elles «priorisent» selon le type de blessure, la souffrance et l’âge des patients. Je répète: c’est normal et je comprends.
Mais j’en ai contre l’organisation et la gestion des hôpitaux. Ça me semble archaïque, lourd, inadéquat, désuet. Pourquoi faire attendre des gens à jeun (enfants ou adultes) pendant des heures… pour les retourner chez eux? Pourquoi plus de 160 000 Québécois sont-ils en attente d’une chirurgie en ce moment (dont 14 000 depuis plus d’un an)?
Pourquoi ces interminables retards? Pourquoi ce manque criant de personnel, encore et toujours? Pourquoi l’argent attribué à faire augmenter la cadence des opérations (400 millions de dollars) demeure-t-il inutilisé? Pourquoi les centres privés, prêts à recevoir des patients pour des opérations, ne roulent-ils pas à plein rendement?
Bref, pourquoi n’opère-t-on pas au Québec?