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C’est simple, en théorie et en pratique, le temps supplémentaire obligatoire (TSO) ne devrait pas exister. Sauf exception, personne ne devrait y être conscrit pour exercer sa profession sur des heures indues et il est temps d’y voir.
Je ne sais pas si la fermeture cette nuit par manque de personnel de l’urgence à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont est une première pour un établissement de cette taille, mais c’est certainement un signe indéniable de la précarité actuelle de notre système de santé. Au cœur du litige, le temps supplémentaire obligatoire (TSO), qui affecte autant les conditions de travail que la qualité des soins.
C’est simple, en théorie et en pratique, le temps supplémentaire obligatoire (TSO) ne devrait pas exister. Sauf exception, personne ne devrait y être conscrit pour exercer sa profession sur des heures indues et il est temps d’y voir.
En pratique toutefois, au Québec, un grand nombre d’infirmières sont confrontées à cette dure réalité, assez dure pour agir comme repoussoir alors que les besoins sont immenses. Des crises comme celle qui frappe actuellement cet hôpital majeur de Montréal avec une des urgences les plus achalandées de la province ne sont donc pas si surprenantes.
Concrètement, imaginez une infirmière monoparentale qui doit jongler avec les horaires de la garderie et qui se retrouve régulièrement forcée de se dénicher une gardienne pour la nuit parce qu’elle doit prolonger son quart de travail. Songez qu’après 16 heures à soigner ses patients, elle devra revenir à l’hôpital après seulement quelques heures de «sommeil» à la maison. Le feriez-vous? Et surtout, seriez-vous confiant quant à la qualité des soins offerts?
Le TSO est au cœur d’un triple conflit de valeurs: selon son code de déontologie, l’infirmière ne peut «abandonner» un patient en plan en l’absence de relève; professionnellement, c’est pourtant un risque de soigner en de telles conditions; humainement, c’est indécent. Mais voilà, dans notre réseau en grande difficulté, on en fait parfois une solution de gestion quotidienne.
Depuis près de trois décennies, la propension à gérer les effectifs en santé au ras des besoins — embauche restrictive, compressions cycliques et pression exercée par les gestionnaires — contribue à une situation de crise récurrente où toute augmentation de la demande en soins compromet la capacité de les livrer.
Cette application récurrente du fameux principe du «faire plus avec moins» a certainement contribué à inscrire le problème sur le long cours. Parce qu’un hôpital est bien différent d’une usine de production de chaussures, la demande étant constante et les soins se prodiguant par définition 24 heures sur 24. Diminuer l’offre implique de ne pas répondre à la demande et d’allonger les listes d’attente et donc la souffrance humaine.
Les contraintes légales semblent aussi plus serrées à ce sujet dans d’autres juridictions, par exemple au Danemark, en Suisse, en Allemagne ou en Norvège, selon ce que je peux lire sur diverses sources — des pays où les normes sociales élevées obligent apparemment à un meilleur respecter des salariés.
Il est vrai que dans trois d’entre eux, la main-d’œuvre infirmière abonde en comparaison avec le Canada, qui se trouve en milieu de peloton de l’OCDE, alors le Québec en est en 2022 au même niveau. Cela facilite sûrement la capacité d’offrir des soins sans pressuriser indûment la main-d’œuvre.
Source: https://data.oecd.org/fr/healthres/infirmiers.htm
À l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, hôpital où je suis né en 1963 alors qu’il s’agissait d’un bâtiment presque neuf, alors qu’il est aujourd’hui vétuste, les crises se succèdent et se nourrissent les unes les autres. Plusieurs facteurs se conjuguent donc, en particulier à l’urgence, qui a souvent fait la manchette par le passé. Un conflit avec une gestionnaire semble avoir exacerbé des tensions depuis longtemps présentes.
L’hôpital connaît notamment des difficultés persistantes de congestion, en bonne partie liées au nombre de lits d’hospitalisation, en nombre insuffisant pour bien répondre à l’ampleur de la demande dans l’est de Montréal, en plus d’être frappé par des pénuries récurrentes de personnel, d’ailleurs grandement accentuées durant la pandémie. Une situation bien différente de celle d’autres hôpitaux de Montréal, qui semblent garder la tête hors de l’eau.
L’urgence est donc constamment soumise à une énorme pression — littéralement depuis toujours. Si ce n’est pas non plus la première fois qu’on entend parler de confrontations entre les syndicats et la direction, il faut peut-être y voir un effet des ennuis chroniques de dotation de main-d’œuvre et de congestion, qui semble pousser les parties à se braquer, en l’absence de solution viable à long terme.
Le TSO a des conséquences directes sur la santé du personnel. Il mène aussi à la fatigue et l’épuisement des professionnels, voire à des maladies physiques, lorsque l’obligation d’effectuer des quarts de travail de 16 heures se répète indûment.
Non seulement il contribue aux problèmes de santé mentale, de surmenage professionnel, d’anxiété et de dépression, bien reconnus au sein du personnel, mais il a aussi des impacts sur la qualité des soins, parce qu’on ne peut pas soigner adéquatement en manquant de sommeil sur d’aussi longues heures.
Et alors que le ministre Dubé souhaite recruter un assez grand nombre d’infirmières pour augmenter la capacité du système de santé de 4000 lits, la persistance du TSO contribue sans doute à éloigner les jeunes de ces métiers pourtant essentiels.
La solution la plus évidente, embaucher plus de personnel, permettrait de mieux répartir la tâche clinique, mais c’est actuellement un défi de plus en plus difficile à relever, le bassin des infirmières disponibles n’étant pas infini. D’autant plus qu’elles peuvent choisir les hôpitaux moins problématiques ou encore une pratique dans les milieux privés de soins, paradoxalement en pleine croissance.
Non seulement faudra-t-il un jour combler les besoins minimaux, mais à terme, nous devons viser un niveau beaucoup plus élevé de dotation de personnel, qui tienne vraiment compte des fluctuations inévitables de la demande. Cela permet d’assurer une marge de manœuvre suffisante quand les pics de consultation et d’hospitalisation surviennent en ne poussant pas chaque fois le personnel à ses limites.
En attendant d’y arriver, une approche essentielle, mais de portée plus limitée est de favoriser la souplesse et l’autonomie des équipes infirmières pour planifier leurs horaires. Une trentaine de milieux de soins expérimentent apparemment de telles stratégies, tel qu’elles furent publicisées en 2021 à l’hôpital de Baie-Saint-Paul. Cela permettra peut-être d’aplanir les difficultés rencontrées.
J’ai tout de même espoir que la situation vécue cette nuit ne représentera pas un point de rupture, aucun problème n’étant insoluble si on y met la bonne volonté, l’énergie et le financement requis.
Mais en attendant de recruter, redonnons aux infirmières un peu de contrôle sur leur vie et réglons de manière urgente les conflits et les problèmes de gestion.
À tous ces égards, je suis entièrement solidaire avec elles.
Alain Vadeboncoeur MD