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«Donald est le maître. Incontesté. De tout. Dans sa tête, à tout le moins. Mais aussi dans les faits.»
Assis sur son légendaire mur, Humpty Dumpty explique à Alice, non sans mépris, les subtilités langagières:
— Quand j’utilise un mot, il signifie exactement ce que j’ai décidé qu’il signifie. Ni plus ni moins.
— La question, répond Alice, est de savoir si on peut donner autant de sens différents à un mot — c’est tout.
— La question est de savoir qui est le maître — c’est tout.
Note à quiconque vivant sous une roche depuis le dernier mois: Donald est le maître. Incontesté. De tout. Dans sa tête, à tout le moins. Mais aussi dans les faits. Jusqu’à preuve du contraire.
Et à l’instar du rondelet personnage de Lewis Carroll, Donald détermine — avec arrogance nec plus ultra — la signification de chaque terme afférent au lexique d’usage.
Le mot «agresseur», par exemple, pointant dorénavant la victime d’agression. Parlez-en à l’Ukraine.
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L’hérésie terminologique s’étend d’ailleurs à l’ONU, là où Washington vient de se ranger du côté de la Russie en rejetant une résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par Moscou. Un changement de paradigme majeur, provoquant une rupture potentielle des liens historiques entre les USA et les autres membres de l’OTAN. Les bons devenus méchants, et vice-versa. Vous avez vu Rocky 4 ? Alors, imaginez Ivan Drago en héros, et Rocky en salaud. Pas mal ça.
Autre illustration? «Dictateur sans élections», accusation maintenant dirigée vers Zelensky. Dictateur, le président ukrainien ? En quo, je vous prie ? D’ailleurs quand même spectaculaire, sinon comique, de préciser le « sans élections ». D’aucuns croiraient qu’il est ainsi loisible d’être élu et… dictateur. Ô ironie.
Au même moment ou presque, le Boss signait un (autre) décret présidentiel : seul lui-même, et subsidiairement son procureur général, pourra déterminer de l’interprétation de la Loi. Et de quelle Loi ? De toutes. Et le rôle du judiciaire, là-dedans?
Circule simultanément un pastiche du Time, mettant en vedette le Boss, sourire aux lèvres et la tronche ornée d’une couronne style Burger King. Le slogan ? « Long live the King. »
Juste ça.
Devant le clownesque de l’affaire et suspectant la (pas pire) blague, on part à la recherche de la source. The Onion? La Paresse ? Croc ? La Maison-Blanche, plutôt [1].
De petites dernières : qui, selon Donald, est responsable des feux épouvantables de Los Angeles et de l’écrasement récent d’avion, à Washington ? Les Wokes, bien entendu, propulsés en hauts lieux de pouvoir par les programmes de DEI (« Diversité, Égalité, Inclusion »), et ce, malgré une parfaite incompétence présumée.
La preuve du lien de causalité entre lesdits programmes et ces deux catastrophes ? Aucune, bien sûr.
— Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose, proposait Voltaire.
Parlant de ça : au moment même d’écrire ces lignes, nouvelle sortie du Boss sur TRUTH, nom confirmant que l’ironie ne tue pas.
Il écrit: «Jamais nous ne serons un pays socialiste ou communiste ! Si t’es pas content, déménage!».
Fort bien. Mais qui propose, au juste, de convertir l’Oncle Sam en Karl Marx? On cherche.
Morale de l’histoire ? Que Humpty Dumpty a probablement raison. La seule question d’importance est de savoir qui, au final, est le maître.
Celui du jeu.
Qui en fixe les règles et lexiques.
À son unique convenance.
En tout arbitraire.
— Mais je ne veux pas aller parmi les fous, fit remarquer Alice.
— Impossible de faire autrement, dit le Chat ; nous sommes tous fous ici. Je suis fou. Tu es folle.
— Comment savez-vous que je suis folle ? demanda Alice.
— Tu dois l’être, répondit le Chat, autrement tu ne serais pas venue ici. »
La maison des fous, nouveau domicile de l’humanité.
Merci, Chat.
[1] Légère parenthèse: quelqu’un a remarqué la baisse de popularité des pages satiriques ? Hypothèse : quand la réalité dépasse la fiction, que reste-t-il de celle-ci, humoristiquement parlant ?
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