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Si vous êtes actif sur TikTok, vous avez assurément vu des vidéos de préadolescente parler de leur routine beauté.
Si vous êtes actif sur TikTok, vous avez assurément vu passer dans votre For you page des vidéos de préadolescente, des fillettes souvent âgées de 9 à 11 ans, qui parlent de leur routine beauté en mettant certaines marques de soins pour la peau de l’avant (Drunk Elephant, entre autres). Ce sont des produits qui ne sont pas conçus pour des enfants de cet âge, disons-le d’emblée.
Toujours sur votre For you page, vous avez ensuite vu défiler des clips où de prétendues vendeuses chez Sephora (je ne sais pas si ces jeunes femmes le sont véritablement) s’insurgent de la présence de fillettes en magasin. Elles leur reprochent majoritairement leur attitude de merde et leur propension à foutre le bordel en boutique.
Paraîtrait même que certains Sephora ont renoncées à mettre des testeurs parce que ces enfants-là les vidaient en moins de deux lorsqu’ils ne les dérobaient pas carrément. À les entendre, ça, c’est quand ils ne décidaient pas d’ouvrir les boîtes des produits de maquillage destinés à la vente. Bref, ça pas l’air ben ben reposant. Et elles ont l’air d’avoir une méchante envie que les parents mettent leurs culottes et apprennent à leur progéniture à «se comporter», comme ma mère dirait.
Enfin récemment, des dermatologues et des médecins, américains principalement, se sont mis à faire des mises en garde sur la plateforme. Du rétinol, ça ne va pas dans le visage d’une fillette de 11 ans. «Tout ce dont vous avez besoin dans votre visage à 11 ans, c’est de la crème solaire» (traduction libre). Le gros bon sens, vous me direz.
Sauf que le phénomène semble assez répandu pour qu’il fasse l’objet depuis quelques jours d’articles dans quelques médias américains. C’est normal, puisque #KidsatSephora est devenu une véritable tendance sur TikTok. C’est LE «nouveau» scandale.
Mais que fait une enfant de 10 ans chez Sephora, là où le moindre gloss pour les lèvres coûte 46 piasses aux bas mots? On s’entend, les petites ont le droit de faire du lèche-vitrines où bon leur semble, y compris chez Sephora. Je l’ai fait plus souvent qu’à mon tour. Mais il y a une différence entre errer, vouloir et fantasmer sur des produits et les consommer réellement.
J’en reviens à TikTok, où moult mini influenceuses nous montrent leur routine avec des produits hors de prix même pour une adulte qui gagne bien sa vie. J’avoue qu’il m’est arrivé, parfois, d’aller sur le site de la bannière pour calculer le coût de tout ce qu’une jeune fille dont je venais de voir la #skincareroutine apparaître dans mon fil se mettait dans le visage. Toutes les fois, c’était plus de 300 dollars. TROIS CENTS BALLES. Une enfant de 10 ans.
Qui paie ça? Ce ne sont certainement pas ces marques (j’espère!) ni Sephora, dont la clientèle cible n’est certes pas des filles de 9 ans (même si toute visite dans l’une de leurs boutiques un samedi après-midi vous fera penser exactement le contraire).
Ce sont les parents qui déboursent des centaines de dollars pour que leurs petits anges aient accès aux produits vendus dans le temple des soins de la peau. Ce serait facile de leur jeter la pierre. Étant moi-même mère de deux adolescentes, je trouve ça particulièrement difficile de leur refuser quelque chose lorsqu’elles le veulent «vraiment». Vous savez, quand elles répliquent avec le «tout le monde l’a» (insérez un roulement d’yeux)? C’est le supplice de la goutte. Je finis souvent par céder. Ce serait réducteur par contre de réduire la problématique des enfants chez Sephora au «laxisme» de certains parents.
Pourquoi tant de si jeunes filles rêvent-elles de remplir leur panier de magasinage de Charlotte Tilbury, de Rare Beauty ou de Glow Recipe? PARCE QUE C’EST ÇA QU’ELLES VOIENT. C’est ça qu’elles se font pousser à longueur de journée par des influenceuses beauté dans la vingtaine. Et vous savez comment ça fonctionne. Plus on regarde certains types de contenus, plus on se fait pousser des vidéos qui correspondent à nos goûts, donc à ce qu’on a déjà regardé.
Je parlais du supplice de la goutte. C’est exactement ça. Leur cerveau, encore en développement, n’est pas capable de résister à tout ça. Même comme adulte, c’est difficile. Alors, imaginez pour une enfant de 12 ans.
Je comparerais ça au phénomène du rabbit hole. On en a beaucoup parlé pendant la pandémie: des gens se mettent à regarder des vidéos sur un sujet en particulier, disons sur YouTube, et se retrouvent tout à coup aspirés par une mer de contenus similaires, mais pas toujours légitimes.
C’est le même processus ici, sauf que le rabbit hole est constitué de beauty filters. Au fond du trou, toujours davantage de produits miracles à essayer. Ce n’est pas évident, comme parent, de s’ériger contre ça et de dire «non, je ne t’achèterai pas de liner Kate Von D» quand ça fait 32 fois que l’enfant y est exposé pendant la semaine et que toutes ses amies l’ont demandé pour leur anniversaire.
Et on semble oublier que ce n’est pas un phénomène nouveau, pour les jeunes filles, de vouloir ressembler à des filles plus vieilles, des filles qu’elles idolâtrent souvent pour plein de bonnes ou de mauvaises raisons. Je trouve les gens bien durs envers les fillettes qui envahissent le Sephora.
Si elles ont tant envie de se beurrer la face et de se maquiller comme des chars volés avec toutes sortes de choses, si elles ont l’intime conviction que leur peau est inadéquate et qu’elles doivent absolument en gommer les moindres défauts, c’est un peu beaucoup de notre faute. Ce ne sont que… des fillettes. C’est nous les adultes.
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