C’est dans ces termes que l’une des victimes du prédateur sexuel Frédérick Brousseau lance son récit, en entrevue avec Noovo Info. Son bourreau, qui avait 40 ans alors qu’elle en avait 15 lorsqu’elle a vécu l’horreur, a écopé tout récemment d’une peine de 10 ans d’emprisonnement.
Léa (prénom fictif), aujourd’hui âgée de 19 ans, raconte être d’abord tombée dans un piège sur les réseaux sociaux.
Brousseau avait créé deux fausses identités sur Facebook. L’une où il se faisait passer pour un adulte de 27 ans, l’autre où il personnifiait un adolescent. C’est cet adolescent que Léa croyait rencontrer pour la première fois en personne, en 2020.
Or, c’est un adulte qui se présente à elle: Frédérick Brousseau, qui se présente sous le nom de Sebastian.

«La première fois que je l’ai vu en personne, il n’est rien arrivé, a confié la victime, dont l’identité est toujours protégée par une ordonnance de non-publication. Pendant les trois premières fois, il était super gentil. C’était comme une relation normale adulte et enfant», lance-t-elle.
Léa ne cache pas avoir eu un «crush» pour cet homme qu’elle venait de rencontrer. Elle avoue s’être sentie «un peu rebelle» après avoir dormi chez lui. «Je suis allée à son appartement pendant la nuit. Personne n’était au courant. Je suis ressortie de là, j’étais correcte et il n’est rien arrivé. C’était un peu cool, parce que j’avais sorti la nuit, j’avais fait une petite fugue», poursuit-elle.
«C’était pour que je lui fasse confiance.»
Avec toutes ses victimes, Frédérick Brousseau utilisait le même modus operandi. La menace. Dans le cas bien précis de Léa, Brousseau avait inventé un adolescent du même âge que la victime qui serait «le fils du parrain de la mafia italienne de Montréal», raconte la jeune femme. Brousseau, ou Sebastian, lui, agissait comme le sauveur ou le protecteur face à cette menace, non sans toutefois demander quelque chose en retour.
La sœur de Léa a aussi été contactée par Brousseau via ses fausses identités, mais a refusé de le rencontrer. Au terme des procédures judiciaires, la procureure de la Couronne Stéphanie Landry avait expliqué que l’une des victimes avait qualifié de «farfelues» les menaces de Brousseau, avec du recul.
«Mais quand elles étaient dans ces relations-là, quand elles étaient agressées, c’était quelque chose qui leur faisait réellement peur et même après avoir dénoncé», avait-elle soulevé.
«Je lui devais quelque chose, parce qu’il m’avait sauvé la vie, continue Léa. Il m’avait sauvé de me faire trafiquer sexuellement», poursuit-elle, sans jamais broncher. Léa, au cours de cette relation avec Brousseau, a été violée et battue par son agresseur et a subi des gestes immondes. L’ex-conjointe de Brousseau, Véronik Cournoyer, a aussi participé à ces agressions.
«Je l’avais éliminé comme un viol dans ma tête. Ce n’était pas un viol, je lui redonnais ce que je lui devais en fait. Que je n’ai rien demandé. Je n’ai pas demandé qu’il me donne quelque chose», témoigne-t-elle.
«Avec le temps, ça s’est transformé jusqu’à ce qu’il décide des moments où j’avais le droit de dormir. C’est lui qui décidait ce que j’avais le droit de manger.»
Sous l’emprise de son bourreau, cette jeune fille de 15 ans a été contrainte de filmer sa propre sœur dans ses moments d’intimité, à leur domicile. Ces vidéos, elle devait ensuite les amener à Brousseau.
«Grâce à mon alarme que j’avais oublié d’enlever sur mon téléphone, ma sœur a vu mon téléphone», se remémore-t-elle.

Sous l’emprise de Brousseau depuis déjà plusieurs mois, les relations de Léa avec sa famille sont alors déjà au bord de la fracture. Elle est forcée de leur mentir, alors que Brousseau menace même de s’en prendre à ses proches, advenant une dénonciation.
«C’est un peu ça qui m’a permis de me retrouver loin de lui, en famille d’accueil. J’ai été arrêtée pour voyeurisme et envoyée à Val-du-Lac», raconte Léa.
«Mes parents… eux aussi ça a dû être la chose la plus difficile qu’ils ont eu à faire de leur vie. Aller au poste de police et dénoncer leur propre fille. Je n’imagine pas.»
Lorsqu’on lui rappelle les propos de son père, qui a témoigné aux représentations sur la peine de Frédérick Brousseau, Léa se souvient très bien d’un moment en particulier.
«Je l’aimais encore, mais plus de la même façon», se remémore la jeune femme. «Ça, ça m’a fait mal, mais je le comprends tellement. Ce n’était plus moi, j’étais une inconnue», analyse-t-elle aujourd’hui.
Quelques semaines après son arrivée à Val-du-Lac, elle ira finalement porter plainte à la police pour dénoncer les gestes commis par Brousseau et Cournoyer. Deux ans plus tard, la famille continue de se reconstruire. Léa, ses parents et sa sœur ont tous assisté aux étapes importantes des procédures judiciaires.
«J’ai la famille la plus géniale au monde. Forte, aussi, parce qu’on a tous vécu des choses super difficiles et personne ne me tient responsable pour mes actions. Moi je n’en veux pas à personne. J’aurais pu leur en vouloir d’être allés me dénoncer, mais tout le monde a fait ce qu’il avait à faire», continue Léa, avec émotion.
Drapeaux rouges
Léa souhaite partager son récit pour éviter à d’autres jeunes filles de tomber dans les pièges tendus par des prédateurs sexuels. Pour elle, quatre ans plus tard, il est maintenant clair qu’il existait des drapeaux rouges dans sa relation avec Frédérick Brousseau.
«Frédérick avait 40 ans à ce moment-là, il s’était fait passer pour une personne de 27 ans. Aussi, quelqu’un de 27 ans qui est attiré par quelqu’un de 15 ans, ce n’est pas normal, même si, quand tu as 15 ans, tu te penses assez grande pour prendre des décisions. Moi, c’est comme ça que je me sentais», lance-t-elle.
«Un gars, il nous attire, c’est notre crush. C’est vraiment ça. C’est de penser que ça ne pouvait pas m’arriver à moi.»
Intervenante et porte-parole au CALACS Agression Estrie, Kelly Laramée est en accord avec les drapeaux rouges soulevés par Léa, après avoir visionné le reportage. Elle accompagne chaque semaine des victimes de violences sexuelles.
«Je pense que chaque situation a ses propres drapeaux rouges. Je pense que c’est important de les véhiculer ces drapeaux rouges là et de rester vigilants, surtout quand c’est des premiers contacts sur internet», lance-t-elle.
«Je sais que des fois les jeunes sont tannés de se faire dire de faire attention sur internet, d’être vigilants, mais on ne sait jamais. On voit de plus en plus de situations de leurre, des cyberagressions aussi.»
«Il n’y a aucun sens à ce qu’un adulte majeur essaie de nouer quelconque lien de proximité avec un mineur», renchérit Mélanie Lemay, cofondatrice de Québec contre les violences sexuelles.
«Je pense que c’est vraiment problématique parce que malheureusement on constate que c’est quelque chose qui est répandu dans la société, on le voit dans l’actualité. Beaucoup de cas, de dénonciations de jeunes qui ont vécu des situations de pouvoir, d’autorité.»
«La curiosité tue, témoigne Léa. C’est ce qui m’a amené là-dedans au tout début. J’étais curieuse. J’avais 15 ans et j’étais une enfant curieuse», continue celle qui réussit à reconstruire doucement sa vie.
Jeudi, Noovo Info présente la deuxième partie de ce reportage: les procédures judiciaires, et la vie qui continue pour les victimes de crimes sexuels.

Voyez le reportage de Guillaume Cotnoir-Lacroix dans la vidéo.