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La terre tatouée sur le coeur: ces jeunes agriculteurs qui s'accrochent

Le Québec est la province canadienne qui fait le plus de place à sa relève dans le milieu agricole, mais les défis sont multiples pour les jeunes agriculteurs, qui sont de moins en moins nombreux à reprendre le flambeau.

Le Québec est la province canadienne qui fait le plus de place à sa relève dans le milieu agricole, mais les défis sont multiples pour les jeunes agriculteurs, qui sont de moins en moins nombreux à reprendre le flambeau.

«Honnêtement, j’ai jamais pensé faire autre chose.» Pour David Simard, reprendre la ferme familiale, c’était un peu écrit dans le ciel. À 30 ans, le producteur maraîcher et acéricole fait partie de cette relève qui a choisi de continuer à nourrir le Québec, contre vents et marées.

Mais ces jeunes qui s’accrochent à la terre deviennent tranquillement l’exception. Alors que 22% des exploitations agricoles étaient composées d’au moins un membre de la relève en 2016, cette proportion a baissé à 20% en 2021. La moyenne canadienne, elle, est passée de 18% à 17%..

En arrivant sur la ferme de David Simard à Sainte-Anne-de-Beaupré, notre équipe se stationne par mégarde chez son voisin. Pas d’inquiétude, nous assure-t-il: la propriété voisine appartient à nul autre que son cousin. Ici, l’agriculture, c’est une affaire de famille.

Depuis des décennies, ce sont les frères Simard qui gèrent les terres dans ce coin-là, et c’est maintenant au tour des fils de prendre le relais. 

Ce lien avec la terre, souvent présent depuis l’enfance, de nombreux agriculteurs de la relève le nomment.

Pour David Simard, il serait inimaginable d'abandonner l'agriculture. «Je ne me vois pas faire du 9 à 5 dans un bureau.»
Pour David Simard, il serait inimaginable d'abandonner l'agriculture. «Je ne me vois pas faire du 9 à 5 dans un bureau.»

À Saint-Augustin, un petit village au nord du Lac-Saint-Jean, Valérie Bouchard nous accueille, accompagnée de son père et de son helper qui est aussi — et surtout — son conjoint. Au chaud sous son polar, la maraîchère de 30 ans nous fait visiter son jardin. D'abord, son premier potager qui a grandi avec elle, puis les serres où elle cultive des légumes en plus grande quantité et des plantes d'intérieur. Le résultat de six ans de persévérance et de dur labeur.

Sur l'immense terrain de la ferme familiale, la Jeannoise s'est enracinée. L'hiver, elle vit dans le sous-sol de la maison de ses parents. L'été, elle profite de l'air frais et s'installe dans sa roulotte installée tout près.

«C'est tellement plus simple chez nous», souffle-t-elle.

Rien n'égale la maison pour la voyageuse qui revient se poser, encore et toujours, sur ces terres que trois générations ont foulé avant elle. Les légumes d'épicerie n'ont pas la fraîcheur et le goût savoureux de ceux du jardin familial. Alors quand sa mère s'est blessée il y a quelques années, Valérie a pris le relais, elle qui n'avait pourtant pas l'intention de reprendre les rennes de l'entreprise familiale.

Diplômée en aménagement paysager, en horticulture et en lancement d'entreprise, la jeune femme cultive aujourd'hui une cinquantaine de légumes. Le succès de son entreprise est grandissant.

N’empêche que s’ils sont de moins en moins nombreux à reprendre la terre familiale, c’est que le quotidien d’agriculteur est éreintant, et que les obstacles se sont multipliés ces dernières années.

Avec la hausse du coût de la main-d’œuvre, de la machinerie et des taux d’intérêt, les plus petits producteurs, comme Le Potager de Valérie, doivent travailler fort pour survivre.

«La main-d’œuvre, c’est moi… Parfois j’ai des collaborateurs qui viennent me donner de l'aide en échange de légumes. Il faut que je sois capable de me payer avant d’engager!»
Valérie Bouchard

Dans les productions acéricoles, c’est le prix de la machinerie qui pose problème.

«Depuis la pandémie, il y a eu une explosion des prix d’équipement, que ce soit en construction ou pour les équipements spécifiques. En plus du taux d’intérêt. Ça fait une pression financière qui est très grande pour des marges [de profit] très faibles», déplore Bianka Pagé, 30 ans, productrice acéricole à Saint-Alexis-des-Monts.

Si elle a choisi ce métier, c'est entre autres pour «contribuer au patrimoine», en prenant soin de cette «richesse québécoise» qu'est le sirop d'érable. 

Mais c'est aussi par amour de la nature. Et, comme nos deux autres producteurs, elle s'inquiète de constater les dégâts déjà causés par les changements climatiques.

«Il y a de la pluie en février, il y a de la glace autour des arbres qui fait qu'ils se réveillent parfois plus tard ou encore plus tôt à cause de la chaleur», énumère-t-elle. «C'est tellement imprévisible.»

Les aléas financiers se font sentir partout. Résultat? En 2021, 44% des jeunes agriculteurs québécois occupaient un deuxième emploi en dehors de l'entreprise. En 2006, c'était le cas de 28% d'entre eux.

Bianka Pagé, 35 ans, est productrice acéricole à Saint-Alexis-des-Monts en Mauricie.
Bianka Pagé, 35 ans, est productrice acéricole à Saint-Alexis-des-Monts en Mauricie.

Dans la région de la Capitale-Nationale, des quantités record de pluies ont été reçues cet été, détruisant complètement certaines parties des champs de David. Ça fait déjà un moment qu’il observe le climat changer, et tout indique que ça ne s’améliorera pas dans les prochaines années.

«Heureusement on est très, très bons pour s’adapter en agriculture, souligne David. Mais il va falloir qu’on le fasse encore plus dans les prochaines années.»

Les femmes prennent leur place

Peu à peu, le visage de la relève agricole québécoise change lui aussi. En 15 ans, la relève féminine est passée de 24% à 29%.

C’est d’ailleurs une fierté pour Bianka Pagé, même si être une femme dans un milieu typiquement masculin s'avère un défi de plus dans son quotidien.  La jeune mère de trois filles doit trouver un juste équilibre entre entretenir la production d'érable et subvenir aux besoins de sa famille. Comme plusieurs mamans, elle ressent parfois la pression de devoir tout faire à la perfection.

«La saison des sucres, c'est très, très intense. C'est jour et nuit parfois, et justement les hommes ont un peu cet avantage-là d'avoir une maman qui va pallier l'absence. Moi je dois rassembler tout ça. Ce qui fait que j'ai l'impression d'avancer moins vite.»

Elle se pousse à travailler d'arrache-pied, et sa motivation profonde vient surtout de ses filles. Elle souhaite être un modèle inspirant et les pousser à suivre leurs rêves et leurs passions.

«Mes filles sont tellement fières lorsqu'un de leurs amis ou un professeur leur dit ''hey ce matin, j'ai mangé du sirop d'érable, et c'était votre sirop d'érable!''»

C'est avec ces petites marques de reconnaissance dans leur besace et la terre tatouée sur le coeur que ces jeunes agriculteurs — et agricultrices! — gardent le cap et continueront de remplir nos assiettes, un légume à la fois.