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Des photographes bénévoles accompagnent des parents endeuillés pour leur offrir un souvenir tangible d’enfants passés en coup de vent dans leurs bras.
Des photographes bénévoles accompagnent des parents endeuillés pour leur offrir un souvenir tangible d’enfants passés en coup de vent dans leurs bras.
Isabelle L’Italien manipule le petit corps avec toute la délicatesse du monde, croisant les minuscules mains du garçon sur son ventre avant de saisir quelques clichés. À chaque clic de son appareil photo, un autre détail du petit corps est immortalisé: le petit nez retroussé, les ongles délicats, la bouche fine. Ces traits, les parents du petit garçon n’ont eu que quelques heures pour les graver dans leurs mémoires. L’enfant ne quittera pas l’hôpital dans les bras de ses parents.
Mme L’Italien est présidente et photographe bénévole pour la Fondation Portraits d’étincelles, qui offre gratuitement depuis 2015 des séances photos aux parents dont l’enfant meurt avant, pendant ou peu de temps après sa naissance. Les services sont offerts dans tous les hôpitaux de la province grâce à l'implication de photographes et de retoucheurs bénévoles. «L’importance des photos, c’est de faire en sorte que l’enfant ne sera pas oublié, explique-t-elle. Qu’il a bel et bien existé et qu’il fait partie de leur vie.»
Un constat auquel fait écho Mélissa Béchard-Côté. Son conjoint et elle ont dû dire adieu il y a quelques années à son fils Benjamin, né à 21 semaines de gestation. «Ça arrive tellement vite cette journée-là», raconte la maman, qui s’estime choyée d’avoir pu bénéficier des services de la fondation. Elle décrit son accouchement comme une expérience teintée par les émotions et la morphine. «Je me souviens de l’avoir pris, de lui avoir dit des choses, témoigne-t-elle. Mais une journée, ça passe vite quand tu es sous le choc.»
Contrairement à certains parents, Mélissa et son conjoint ont choisi de prendre part aux photos, et même d’y faire participer leur fils aîné. Si certains clichés de Benjamin sont aujourd’hui exposés aux côtés de photos de leurs deux autres fils à la maison, même la séance comme telle s’est avérée salvatrice pour la famille.
«C’est le seul acte qu’on fait avec un bébé naissant qu’on a pu faire avec Benjamin», souligne Mélissa. La photographe a par ailleurs été «la première qui traitait Benjamin comme un enfant, qui en prenait soin», souligne le papa, Vincent Monette, visiblement reconnaissant.
Certains parents qui n'avaient pas osé toucher ou prendre leur bébé dans leurs bras le font pour la première fois lors de la séance photo, témoigne Isabelle L'Italien. «Quand je les invite à poser leur main sur lui, ou à prendre sa petite main dans la leur, il y en a qui ne pensaient même pas qu'ils avaient le droit», raconte-t-elle, soulignant l'importance d'immortaliser ces contacts physiques, si brefs soient-ils.
«Les photos, ça peut être fort, insiste-t-elle. Ça peut ramener des souvenirs qu'on aurait peut-être oubliés.»
Le deuil périnatal, qui désigne le deuil d’un bébé décédé in utero, durant l’accouchement ou au cours de sa première année de vie, peut être particulièrement solitaire pour les parents dont l’entourage n’a pas eu l’occasion de rencontrer l’enfant.
«C’est difficile d’avoir des repères et de partager le deuil avec les gens autour, puisque personne ne l’a vraiment connu», explique Mélissa Lalonde, infirmière spécialisée en deuil périnatal au CHU Sainte-Justine.
Le fait d’avoir des souvenirs tangibles, comme des photos ou des empreintes d’argile, est généralement très apprécié par les familles qu’elle accompagne, confirme l’infirmière. «C’est la seule chose qui va vraiment rester, rappelle-t-elle. C’est l’élément qui va montrer l’existence de ce bébé-là, et qui va permettre de montrer que c’est vraiment arrivé.»
Pour Vincent et Mélissa, les photos ont aussi permis à l’entourage de mieux saisir l’ampleur du deuil qu’ils vivaient.
«Pour plusieurs membres de la famille ou amis, c’était comme une fausse couche, ce qu’on avait vécu, déplore Vincent. Et ils se disaient qu’on ne fait pas un deuil pour une fausse couche.» Le couple a aussi vécu plusieurs fausses couches, mais souligne que ces expériences étaient pour eux sans commune mesure avec la perte de Benjamin. En voyant les photos, plusieurs de leurs proches ont réalisé «que c’était vraiment un bébé», relate Mélissa.
Si les projecteurs ont longtemps été mis uniquement sur la mère, l’infirmière Mélissa Lalonde assure que les pères qui vivent un deuil périnatal sont de mieux en mieux accompagnés. «On les implique de plus en plus, dit-elle. Pour nous, c’est une famille, et pas seulement la mère qui porte le bébé.»
Vincent, lui, a trouvé particulièrement difficile de composer avec le sentiment d’impuissance qui l’habitait à la mort de Benjamin. «On se crée des attentes, on a hâte de jouer avec lui, d’en prendre soin, confie le papa. C’est un paquet de deuils qui est à faire.»
S’il accepte de se confier, c’est aussi parce qu’il espère briser les tabous entourant le deuil périnatal pour d’autres hommes. «Ce que je trouverais dommage, c’est que des pères ne se permettent pas de le vivre», dit-il.
«Ce n’est pas anodin. Ce qui t’arrive, c’est important. Et il faut prendre le temps de vivre le deuil», enjoint-il aux autres pères endeuillés.
«T’étais jeune, tu vas en avoir d’autres.» «Ah, c’est pas grave, tu l’avais pas connu.» «Ça serait pire si c’était un enfant plus grand.»
C’est le genre de commentaires auxquels l’infirmière Mélissa Lalonde prépare les parents qu’elle accompagne dans un deuil périnatal à recevoir de la part de leur entourage.
«C’est pas mal intentionné, c’est souvent très maladroit», estime-t-elle. Mais ces commentaires n’en sont pas moins blessants, confirment Vincent et Mélissa.
«Les gens ont tendance à vouloir combler un silence, remarque le papa. Mais ils vont souvent le combler avec des paroles vraiment creuses.»
Si des membres de votre entourage vivent un deuil périnatal, la meilleure chose à faire est de l’écouter, estime le couple.
«Laissez-les parler, implore la mère. Et surtout, nommez le bébé par son nom. C’est important.»