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Exclusif

«Le français n'est pas mort en Louisiane!»

Il y a un an, François Legault affirmait craindre une «louisianisation» du Québec si son gouvernement n’obtenait pas plus de pouvoirs en immigration. Pourtant, loin d’être morte, la francophonie louisianaise peut compter sur une nouvelle génération de leaders francophones qui font résonner le français dans toutes les sphères de la vie.

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«Le français n'est pas mort en Louisiane!»

Il y a un an, François Legault affirmait craindre une «louisianisation» du Québec si son gouvernement n’obtenait pas plus de pouvoirs en immigration. Pourtant, loin d’être morte, la francophonie louisianaise peut compter sur une nouvelle génération de leaders francophones qui font résonner le français dans toutes les sphères de la vie.

«On peut parler de louisianisation, mais tant qu’à faire je lui dirais qu’on peut aussi parler de montréalisation», réplique Zachary Richard à François Legault. Le célèbre chanteur se tient debout à la porte d’une boîte à chanson de Lafayette, la «capitale de la Louisiane francophone». À 72 ans, le chanteur louisianais adoré des Québécois n’a pas perdu sa verve.  

«Les francophones de Louisiane, on aurait dû disparaître depuis longtemps, mais nous sommes là», fait valoir le musicien, fier de voir sa communauté réclamer sa place à la table de la Francophonie.

«C’est ça la louisianisation, lance-t-il. Bien qu’on soit tombé de la falaise, juste avant de frapper la terre, on a surgi de nouveau!»

Statistiquement, les données semblent inquiétantes. Alors que les francophones étaient environ un million en 1950, ils seraient aujourd’hui quelque 200 000. La politique de 1921 de la Louisiane interdisant l’enseignement du français a, en apparence, porté ses fruits. Mais la réalité est beaucoup plus nuancée, car toute une jeunesse est en train de se réapproprier la langue. Autrefois honteux, c’est dorénavant une source de fierté que de parler français.

«Auparavant, être Cadien, ça signifiait être ignorant et pauvre. Il n’y avait aucune valeur à parler français», explique Zachary Richard. Il estime toutefois que ses compatriotes ont de plus en plus conscience de la valeur «culturelle et économique» du français. «Et quand on parle d’argent, les Américains font attention», lance-t-il.

«Puis, nous sommes en train de former une génération de francophones lettrés. Et on ne peut pas dire à quelqu’un comme ça qu’il est ignorant», explique Zachary Richard.

De nouveaux leaders francophones

«Bonsoir Moreau! Oh bonsoir Moreau!», «Allons danser Colinda, oooh allons danser Colinda!»,… Lorsqu’on se promène sur Bourbon Street à la Nouvelle-Orléans ou dans les bars de Lafayette, à peu près tout ce qu’on entend est en français.

Aujourd’hui les musiciens et chanteurs de l’État se réapproprient la musique historique louisianaise. Mais pour bien pouvoir  chanter ces refrains, ils doivent parler français. Parler français devient aussi un «trait de caractère» qui distingue les Louisianais du reste des États-Unis.

«Je me considère Louisianais et Franco-Louisianais avant de me considérer Américain», confie Colby LeJeune, qui étudie à l’Université de la Louisiane à Lafayette. Il fait partie de cette nouvelle génération de Louisianais qui ont décidé de se réapproprier le français, même s’il n’a pas été élevé en français par ses parents. «Mon instinct me disait que je devais protéger mon identité et ma culture. Je voulais absolument réapprendre la langue», raconte-t-il. Son seul regret est que ses grands-parents soient décédés avant qu’il n’ait eu la chance de converser avec eux dans leur langue maternelle, souffle-t-il.

S’il incarne une nouvelle génération combative, Colby LeJeune n’est plus une exception. Des dizaines d’artistes et de jeunes leaders veulent faire entendre leur langue sur toutes les tribunes. Par exemple, le chanteur Jourdan Thibodeaux publie des vidéos pour faire connaître le Français louisianais auprès de ses dizaines de milliers d’abonnés. Will McGrew  a quant à lui lancé Télé-Louisiane, qui produit des émissions en français à l’intention des Louisianais (notamment un dessin animé nommé Boudini à l’intention des plus jeunes).

Colby LeJeune a appris le français pour se réapproprier la langue de ses aïeuls.
Colby LeJeune a appris le français pour se réapproprier la langue de ses aïeuls.

Mais ces jeunes leaders, ainsi que Colby LeJeune, ne veulent pas parler n’importe quel français. Ils veulent promouvoir le «français louisianais» avec son accent et ses expressions uniques. «Le français standard, c’est bien et ça ouvre des portes, mais notre français à nous, c’est une richesse. Il faut aussi le protéger, protéger cette diversité», martèle Colby LeJeune.

Marguerite Justus, une Franco-Louisianaise, confie qu’il n’est cependant pas facile de s’assumer, tant auprès des francophones d’ailleurs dans le monde que des francophones de Louisiane. «Les aînés ne nous ont pas appris leur français, car ils en avaient honte. Nous avons donc appris un français louisianais plus moderne. Mais ces aînés nous jugent, car on ne parle pas la même langue. Et on se fait aussi juger par les autres francophones d’ailleurs», s’attriste-t-elle. 

Mais aujourd’hui, chaque geste compte. Elle croit que les Louisianais ne doivent plus s’effacer et assumer pleinement leur différence, au sein des États-Unis, mais aussi de la francophonie. «Soit on est mal à l’aise, soit on est mort. Je me suis autorisée à me tromper. C’est mieux que d’être unilingue anglophone!»

Ces jours-ci, il faut dire que le français est redevenu à la mode. Cinq mille élèves sont inscrits dans les écoles primaires d’immersion française de la Louisiane. Des centaines de parents rêvent aussi de voir leurs enfants apprendre la langue de Molière…et de Zachary Richard. Le gouvernement louisianais y va même d’un incitatif financier pour les écoles qui décident d’ajouter le français à leur offre: 20 000$ par enseignant francophone. Le programme est tellement populaire que l’État doit faire appel à des renforts provenant de France, de Belgique ou d’ailleurs en francophonie pour combler des postes.

Au centre-ville de Lafayette, le français a prédominance dans l'affichage.
Au centre-ville de Lafayette, le français a prédominance dans l'affichage.

Un combat politique

En arrivant à Lafayette, ça saute aux yeux: les panneaux de rues sont bilingues. En fait, les indications en français sont même plus grosses que le texte en anglais, comme on le verrait au Québec. Et ça ne semble pas choquer les Américains anglophones qui croisent ces panneaux.

Un geste posé en 1968 par élu démocrate du congrès louisianais sera un point tournant dans la dynamique linguistique de l'État, s'entendent plusieurs intervenants. James Domengeaux surnommé par plusieurs comme «l’élu des causes perdues» réussit à convaincre ses collègues de créer le Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL).

Le petit organisme, qui agit comme un bureau de la francophonie au gouvernement louisianais, repose sur le travail de seulement six employés qui «s’imposent de travailler seulement en français», confie l’un d’eux. 

La directrice générale du CODOFIL Peggy Feehan se bat pour faire avancer le français en Louisiane.
La directrice générale du CODOFIL Peggy Feehan se bat pour faire avancer le français en Louisiane.

«La francophonie est l’ambassadrice de la Louisiane. Nous voulons encore plus de français», lance l’actuelle directrice du CODOFIL, Peggy Feehan. Elle rêve de voir un jour du français en dehors des villes, jusque sur les panneaux d’autoroute. «C’est important, pour dire aux gens francophones de la planète qu’ils sont les bienvenus», estime-t-elle.

«Le français n’est pas mort en Louisiane! S’il l’était, je ne serais pas là!»
Peggy Feehan, directrice du CODOFIL

Peggy Feehan croit qu'il faut donner la piqûre aux jeunes louisianais pour l'apprentissage des langues étrangères. Mais elle a accueilli avec consternation la décision des élus de permettre à un étudiant de substituer ses cours de langue étrangère par des cours de codage (coding language, en anglais). Un obstacle de plus à la progression du français dans l’État, croit-elle.

Son organisme doit naviguer dans un contexte politique complexe. Joseph Dunn, qui a dirigé le CODOFIL, a expliqué cette réalité lors d’un événement de l’Université d’été de la francophonie des Amériques qui se déroulait à Lafayette, à la fin mai.

«C’est un défi en Louisiane car, il faut l’admettre, c’est un État conservateur au niveau politique. Quand on parle de langue et d’identité, on est dans le même bain que la Floride ou le Texas où ce n’est pas vraiment le bienvenu. On doit faire très attention à ce qu’on demande», a-t-il expliqué.

L’histoire raciale de la Louisiane vient aussi compliquer les relations entre les différents groupes qui composent la communauté francophone, elle-même. «On porte le poids de la ségrégation, note Joseph Dunn. Le racisme est encore très présent.» 

Au sein de la communauté francophone de Louisiane, très diverse, tous ne partagent pas les mêmes opinions, souligne-t-il. 

Une murale au coeur de Lafayette.
Une murale au coeur de Lafayette.

«Il demeure assez difficile de réunir les gens autour d’une même table pour parler d’un projet francophonisant, estime M. Dunn. De l’autre côté de la table, l’un et l’autre vont voir un Blanc, un Noir ou un Autochtone. Il faut changer les mentalités.»

Lui et plusieurs autres intervenants se demandent aussi comment canaliser cette force que constituent ces milliers de jeunes francophones. «Il faut être capable de leur offrir des emplois en français, leur envoyer le message que le français est une langue utile qui peut améliorer leur vie aussi du point de vue socio-économique», font valoir différents intervenants.  

Le cri du cœur de Zachary Richard

Zachary Richard croit que plusieurs réponses passent par l’appui de la francophonie mondiale à la Louisiane francophone. La Louisiane est d’ailleurs devenue membre de l’Organisation internationale de la Francophonie en 2018. Et le Québec, comme «phare de la francophonie en Amérique», a un rôle plus important à jouer en Louisiane, croit le chanteur

«On a besoin de ressources, d’enseignants,…de tous les éléments culturels pour défendre et répandre le français. On a besoin de nos frères en Amérique du nord avec qui on partage une longue et riche histoire. Nos frères ce sont les Acadiens, mais nos premiers cousins ce sont les Québécois.»

En Louisiane, la fleur de lys est omniprésente, rappelant le passé français de la région.
En Louisiane, la fleur de lys est omniprésente, rappelant le passé français de la région.

Zachary Richard dénonce l’absence du Québec en sol louisianais. Sa première visite en sol québécois, le chanteur la doit au défunt Bureau du Québec à Lafayette.«Ça a lancé ma carrière, juge-t-il. J’ai rencontré Willy Lamothe, Serge Fiori, Michel Rivard,…j’ai été propulsé dans cette effervescence!»

À son avis, la fermeture de la délégation du Québec à Lafayette a affaibli les relations entre le Québec et l’État américain, et il rêve de la voir rouvrir.

«On a un bureau pour vous; il y a une place qui vous attend. Revenez!»