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Le scientifique David Holland a expliqué cette semaine que la fonte des glaciers vers lesquels il se dirige pourrait contenir des signaux d'avertissement pour le littoral du Canada.
Alors que les icebergs dérivent autour son navire à destination de l'Antarctique, le scientifique David Holland a expliqué cette semaine que la fonte des glaciers vers lesquels il se dirige pourrait contenir des signaux d'avertissement pour le littoral du Canada.
L'océanographe fait partie d'une expédition dans l'un des endroits les plus froids et les plus reculés du monde _ le glacier Thwaites dans la partie ouest du continent _ où il mesurera les températures de l'eau dans un canal sous-marin de la taille de Manhattan.
«La question de savoir si le niveau de la mer va changer ne peut être résolue qu'en observant la planète là où cela compte, et c'est à Thwaites», a déclaré le directeur du laboratoire de dynamique des fluides environnementaux à l'Université de New York lors d'un entretien téléphonique par satellite depuis le brise-glace sud-coréen Araon.
Plus de 16 000 kilomètres séparent la ville natale du scientifique, Brigus, situé sur la baie de la Conception à Terre-Neuve, du site établi à une centaine de kilomètres à l'intérieur des terres de la «zone d'ancrage» où le glacier de Thwaites quitte le continent et s'étend sur le Pacifique.
Les 20 000 tonnes d'engins de forage de l'équipe seront assemblées pour mesurer les températures, la salinité et la turbulence des eaux du Pacifique qui se sont glissées en dessous et qui lèchent les entrailles du glacier.
«Si (l'eau) est au-dessus du point de congélation, et dans l'eau salée, cela signifie au-dessus de -2 degrés centigrades, ce n'est pas durable. Un glacier ne peut pas survivre à cela», a précisé M. Holland.
Depuis 2018, plus de 60 scientifiques du groupe» International Thwaites Glacier Collaboration «ont exploré l'océan et les sédiments marins, mesuré les courants océaniques de réchauffement qui s'écoulent vers la glace profonde, et examinent l'étirement, la flexion et le broyage du glacier sur le paysage en dessous».
Le glacier Thwaites, de la taille de la Floride, fait face à la mer d'Amundsen, et des chercheurs ont suggéré dans des articles de revues scientifiques au cours de la dernière décennie qu'il pourrait éventuellement perdre de grandes quantités de glace en raison de l'eau profonde et chaude entraînée dans la région à mesure que la planète se réchauffe. Certains médias ont surnommé Thwaites le «glacier apocalyptique» en raison d'estimations selon lesquelles il pourrait ajouter environ 65 centimètres à l'élévation mondiale du niveau de la mer.
M. Holland note que les modèles de recherche actuels suggèrent principalement que cela se produirait sur plusieurs siècles, mais il existe également des théories à faible probabilité d'«effondrement catastrophique», où l'énorme plateforme de glace fonderait en l'espace de quelques décennies. «Nous voulons prêter attention aux choses qui sont plausibles, et l'effondrement rapide de ce glacier est une possibilité», a-t-il précisé.
Alors que M. Holland regarde la fonte sous-marine, d'autres scientifiques examinent comment les parties terrestres des glaciers antarctiques perdent leur emprise sur les points d'attache au fond marin, provoquant potentiellement le détachement de certaines parties. D'autres chercheurs soulignent encore le risque de fractures initiales provoquant la rupture de la banquise, un peu comme un pare-brise de voiture endommagé.
Tous les mécanismes doivent être soigneusement observés pour prouver ou réfuter les modèles sur les taux de fonte, selon M. Holland.
«Si la grotte (remplie d'eau) située sous le glacier que nous étudions s'agrandit, cela signifie que l'Antarctique perd de la glace et recule, et si la grotte s'effondre sur elle-même, alors (la grotte) disparaîtra. C'est ainsi que l'Antarctique peut se rétracter, grâce à ce type d'événements spécifiques», a-t-il déclaré.
Un impact dans les provinces atlantiques
Les implications des travaux sur les glaciers ont un impact jusqu'au Canada atlantique _ qui, avec les communautés le long de la mer de Beaufort et du sud-ouest de la Colombie-Britannique, est la région la plus vulnérable à l'élévation du niveau de la mer au pays, selon des scientifiques fédéraux.
Selon M. Holland, la fonte des glaciers en Antarctique peut avoir une incidence sur tous les aspects de l'étude, qu'il s'agisse du calcul de la hauteur future des digues de l'isthme de Chignecto _ l'étroite bande de terre qui relie la Nouvelle-Écosse au reste du pays _ ou de la possibilité d'inondation des basses terres du fleuve Fraser.
Les scénarios où la glace de l'Antarctique fond plus rapidement que prévu sont brièvement abordés dans le Rapport sur le climat changeant du Canada publié en 2019. S'appuyant largement sur les rapports du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) qui les qualifient de théories du «point de basculement» à faible probabilité, le rapport de 2019 invoque la possibilité d'une élévation du niveau de la mer d'un mètre d'ici 2100.
Cependant, l'océanographe fédéral qui a supervisé le chapitre concerné du rapport, Blair Greenan, a déclaré dans une entrevue récente qu'une augmentation du niveau des mers mondiales approchant les deux mètres d'ici 2100 et les cinq mètres d'ici 2150 «ne peut être exclue» en raison de l'incertitude sur les processus de la calotte glaciaire comme Thwaites.
«Nous ne savons pas, personne ne sait, a déclaré M. Holland, mais il est plausible que ces choses puissent changer, et un changement de plusieurs pieds du niveau de la mer aurait un impact majeur sur le Canada atlantique. Ce qu'il faut, c'est une prévision des glaciers qui ressemble au genre de précision que les prévisions météorologiques fournissent actuellement.»
Toutefois, la collecte de données prévisionnelles sur les glaciers est une entreprise redoutable pendant la courte période _ de fin janvier à mi-février _ où les scientifiques peuvent prendre des mesures en toute sécurité. Des hélicoptères transporteront une foreuse à eau chaude, 30 barils de carburant et de l'eau sur le site de M. Holland à partir de la fin janvier. La foreuse devra pénétrer dans plus d'un kilomètre de glace pour atteindre les 300 mètres de chenal sous-marin où seront effectuées les mesures.
Au fur et à mesure que les données sont recueillies, certains scientifiques se demandent s'il y a vraiment de quoi s'inquiéter pour les résidents côtiers canadiens.
Une étude menée par Ian Joughin, un glaciologue de l'Université de Washington, a suggéré que le glacier Thwaites ne perdrait de la glace qu'à un rythme qui créerait une élévation du niveau de la mer d'un millimètre par an _ et pas avant le siècle prochain. À ce rythme, il faudrait 100 ans pour que le niveau de la mer monte de 10 centimètres.
Lors d'un entretien téléphonique la semaine dernière, M. Joughin a mentionné que la planification de la protection côtière et d'autres mesures pour les scénarios les plus extrêmes pourrait ne pas être rentable à ce stade, car cela pourrait prendre jusqu'à un siècle avant que les risques majeurs ne commencent à se manifester.
Cependant, Joanna Eyquem, une géoscientifique basée à Montréal qui étudie les moyens de préparer les infrastructures à l'élévation du niveau de la mer, a indiqué dans un courriel que la recherche sur les glaciers montre que les prévisions du niveau de la mer «évoluent constamment» et que les efforts d'adaptation doivent être plus rapides.
«La question est : à quel point la situation doit-elle être désespérée avant que nous agissions?» a demandé Mme Eyquem.