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Paperplane Therapeutics a développé deux applications qui permettent d'immerger le patient dans un monde virtuel pendant que le dentiste lui prodigue les soins nécessaires.
Une thérapie de réalité virtuelle développée par une jeune entreprise québécoise semble en mesure de soulager l'anxiété et la nervosité qui peuvent accompagner une visite chez le dentiste, surtout en ce qui concerne les enfants.
Profitant des plus récents progrès technologiques en la matière qui rendent disponibles des casques moins encombrants, Paperplane Therapeutics a développé deux applications qui permettent d'immerger le patient dans un monde virtuel pendant que le dentiste lui prodigue les soins nécessaires.
Il en résulte apparemment des procédures plus agréables pour le patient et moins longues pour le praticien.
«J'ai toujours été passionné par tout ce qui était non pharmacologique, pas juste pour la gestion de la douleur et de l'anxiété, mais pour la prise en charge de plusieurs pathologies, donc d'essayer de maximiser tout ce qu'on peut faire sans avoir recours toujours aux médicaments», a dit le cofondateur de Paperplane Therapeutics, le docteur Jean-Simon Fortin, un médecin qui a mis sa carrière en pause pour se consacrer à ce projet à temps plein.
Le docteur Fortin ne s'en cache pas: la pratique de la pédiatrie d'urgence peut finir par être drainante quand on côtoie au quotidien des enfants qui souffrent ― ou qu'on fait souffrir, même si c'est ultimement pour leur bien.
«J'ai travaillé pendant trois ans à Sainte Justine, à l'urgence, et (...) je trouvais ça difficile que des enfants malades à longueur de journée, on est toujours en train de leur faire des trucs, puis ils pleurent, ils crient, ils se débattent, et ça se met à peser», a-t-il confié en toute candeur.
C'est un peu ce qui l'a amené à réaliser qu'«on manque d'options» pour soulager la douleur des plus petits. On peut toujours les endormir, mais cette option est réservée aux procédures les plus souffrantes en raison des risques qui l'accompagnent.
«Je me suis demandé: est-ce qu'on serait capable d'avoir quelque chose qui n'a aucun risque, que les enfants vont adorer et qui va transformer des expériences où tout le monde est stressé? Quand un enfant se met à pleurer, ce n'est pas juste lui, ce sont les parents, les professionnels... tout le monde dans la pièce est encore plus stressé. Donc je me disais: est-ce qu'il y a quelque chose qui pourrait abaisser cette intensité-là pour tout le monde et qui serait extrêmement bien reçu?»
Les bienfaits conférés par l'utilisation du casque de réalité virtuelle vont bien au-delà d'une simple distraction du patient et découlent d'un phénomène connu des chercheurs depuis plusieurs décennies, celui de la «théorie des portillons».
Si un influx nerveux (comme une sensation douloureuse ou à tout le moins déplaisante) arrive au cerveau et qu'il est le seul influx présent à ce moment, a expliqué le docteur Fortin, le cerveau lui consacrera 100 % de son attention. Mais si le cerveau est bombardé au même moment de multiples autres influx (comme ceux générés par un jeu vidéo), pratiquement tous les influx seront régulés à la baisse.
«Ou encore le cerveau va se concentrer sur certains influx, dépendamment de son intérêt ou de l'état émotionnel du patient, a précisé le docteur Fortin. Donc si par exemple il y a quelque chose d'extrêmement plaisant, de très stimulant, qui arrive en même temps, le cerveau va augmenter l'interprétation de ces stimuli et il va vraiment baisser l'intensité des autres stimuli. Donc si la douleur était un de ceux-là, alors la douleur va être régulée à la baisse.»
Des images de résonance magnétique montrent même que certaines zones du cerveau, lors d'un stimulus douloureux, sont beaucoup moins actives en présence de la réalité virtuelle, a-t-il ajouté.
Le fait d'utiliser des jeux vidéo interactifs, au lieu d'une tâche passive comme regarder un écran, y est aussi pour quelque chose, a révélé le docteur Fortin.
«Quand il y a une tâche cognitive qui est impliquée, il y a des voies inhibitrices descendantes, a-t-il dit. C'est un système nerveux qui part du cerveau, qui descend au niveau de la moelle et qui libère une substance qui est identique à la morphine, qui se colle sur les mêmes récepteurs et qui vient bloquer les influx douloureux. Quand le patient est captivé sur une tâche qui nécessite de réfléchir à quelque chose, on a vu qu'il y avait un effet analgésique très intéressant.»
Dans les faits, cette «morphine naturelle» libérée ressemble tellement à la morphine qu'il est possible d'en bloquer l'effet en administrant au patient le même produit qu'on utiliserait pour neutraliser la morphine synthétique.
«Il y a réellement un mécanisme physiologique très bien documenté qui fait que le corps réagit de façon très concrète à ces stimuli-là», a dit le docteur Fortin.
L'effet bénéfique le plus évident de l'utilisation de la réalité virtuelle semble toutefois être une réduction de l'anxiété du patient, ce qui empêchera le cercle vicieux «plus on est anxieux, plus on a mal; plus on a mal, plus on est anxieux» de s'enclencher.
Une «mémoire de la douleur» finit par s'installer, a rappelé le docteur Fortin. Un patient qui a subi une procédure qui l'a fait souffrir sera encore plus anxieux s'il doit la subir de nouveau.
«Ça part d'une mauvaise expérience à une expérience pire, à une expérience pire, et c'est ça qui fait que ça devient de plus en plus difficile, a-t-il dit. C'est une pente glissante, que tous les enfants qui sont mal pris en charge vont devenir phobiques contre les milieux de santé.»
Ne reculant devant rien pour fournir à nos lecteurs une information de première qualité, le représentant de La Presse Canadienne s'est immédiatement porté volontaire pour mettre le dispositif à l'essai.
La première étape consiste à calibrer le casque de réalité virtuelle pour lui permettre de suivre le regard de l'utilisateur, puisque seuls les yeux seront ensuite appelés à bouger. Cela ne prend que quelques secondes, après lesquelles on peut entrer en action.
La première application est un jeu de tir qui consiste à faire exploser différents objets en les «visant» avec les yeux. Il suffit de regarder l'objet en question, le petit point lumineux qui sert de viseur se déplace en conséquence, on appuie sur la gâchette... et boum, la cible est pulvérisée. Les mouvements de la tête ― quand il y en a ― sont minimes et ceux de la main inexistants, et on comprend sans longues explications que l'inverse serait inimaginable dans un contexte de dentisterie.
Le deuxième jeu est un casse-tête dont le but est d'aligner des tuyaux pour rediriger un filet d'eau vers un seau. Encore une fois, c'est avec les yeux qu'on vise les cibles qui permettent de changer l'orientation des tuyaux (de la gauche vers la droite, de la droite vers la gauche) pour envoyer l'eau au bon endroit.
Les deux applications ont par ailleurs été conçues pour imposer à l'utilisateur une sorte de «vision télescopique»: l'image disparaît dès qu'il tourne la tête vers la droite ou la gauche, ce qui le contraint à l'immobilité s'il veut jouer ― permettant au dentiste de travailler en toute quiétude.
La docteure Élise Morency, dont le cabinet se trouve à Saint-Constant, est pour le moment la seule dentiste à utiliser la technologie de Paperplane au Québec.
Elle a découvert le produit par le biais de son conjoint, un ami et collègue de longue date du docteur Fortin, et elle a rapidement réalisé qu'il pourrait s'agir d'un atout précieux dans sa pratique quotidienne.
«J'ai une clientèle qui, de façon générale, fait beaucoup d'anxiété, j'ai beaucoup de TDAH, d'autisme, de jeunes enfants qui nous sont référés parce que ça n'a pas bien été ailleurs, a-t-elle expliqué.
«Avec le temps, ma pratique s'est spécialisée, donc (...) c'est parfait dans ce temps-là d'avoir plusieurs façons pour pouvoir moduler le comportement en salle, parce que ce n'est pas la même recette qui va fonctionner pour tout le monde.»
La réalité virtuelle, poursuit-elle, est venue «combler un besoin que je voyais pour une certaine strate (de ma clientèle) que je n'étais pas capable de vraiment bien contrôler».
La dentiste et son assistante suivent en temps réel, sur une tablette électronique, les progrès du jeu, et ils peuvent en influencer le déroulement selon les besoins du moment. Si on en arrive par exemple à une étape plus délicate de la procédure, on pourra augmenter le volume du son du jeu ou faire apparaître de nouvelles cibles pour distraire l'utilisateur de ce qui s'apprête à se produire.
«Si je sais que je vais faire quelque chose d'un peu problématique pour (le patient), je fais un signe à mon assistante et elle va donner des défis à l'enfant, elle va lui dire, "il y a une boîte qui descend en parachute, fais-la exploser tout de suite", a expliqué la docteure Morency. On est capables d'interagir avec lui et de garder son attention sur le jeu, ce qui fait qu'il oublie un peu ce qui est en train de se passer. Moi je peux travailler et des fois ils ne s'en rendent même pas compte, puis je dirais à peu près 95 % des enfants au moment où j'enlève le casque me disent, "mais c'est déjà fini?".»
Le casque de réalité virtuelle n'est pas approprié pour tous les patients, précise-t-elle, mais elle a constaté au fil de son utilisation qu'il est particulièrement apprécié des jeunes de 8 à 14 ans. Avec cette strate de sa clientèle, a-t-elle dit, «le monde des licornes est fini et ils ont une vraie anxiété».
«Ils savent ce qui se passe et j'ai besoin de quelque chose de très immersif pour leur faire oublier leur stress de ce qui s'en vient, a-t-elle dit. Et le casque fonctionne vraiment très bien. Maintenant je ne m'en passerais plus, surtout pour les procédures qui sont très anxiogènes, comme par exemple une extraction de dent.»
Même si les dentistes savent que la procédure est quand même peu douloureuse, un enfant de cet âge pourra avoir de la difficulté à distinguer entre la pression ressentie pendant la procédure et une douleur, qu'elle soit réelle ou perçue.
La docteure Morency a aussi constaté que l'utilisation du casque de réalité virtuelle a pratiquement éliminé le réflexe nauséeux que pouvaient avoir certains patients, entre autres quand elle doit déplacer leur langue pour pouvoir travailler.
L'utilisation du casque pourrait être envisageable chez les adultes, croit-elle, à cette différence près que l'anxiété des adultes se porte habituellement davantage sur l'injection du produit anesthésiant que sur la procédure, tandis que c'est l'inverse pour les enfants. Une immersion virtuelle plus courte pourrait donc suffire.
«C'est sûr que si je peux améliorer leur expérience, moi ça va juste me rendre heureuse, a-t-elle dit. Quand quelqu'un quitte heureux de sa séance, il n'y a rien de mieux là pour un dentiste.»
C'est d'ailleurs aussi ce que recherche ultimement le docteur Fortin, qui dit tirer une immense fierté de l'amélioration de l'expérience des patients.
«J'ai l'impression que je fais encore de la médecine, mais c'est différent. C'est sûr que je n’ai pas l'action-réaction de poser un geste et d'avoir un retour immédiat, mais je reçois les commentaires des gens, comment ils l'utilisent sur le terrain et les bienfaits que ça apporte, et ça me donne le même sentiment que l'effet que j'avais quand je pouvais avoir un effet positif à l'urgence», a conclu le docteur Fortin.
Une étude clinique pour mieux quantifier l'impact de la technologie de Paperplane Therapeutics est en cours au département de médecine dentaire du CHU Sainte-Justine, à Montréal, sous la supervision de la professeure Sylvie Le May, une sommité mondiale dans le domaine de la gestion de la douleur, ainsi que des dentistes Marie-Ève Asselin et Wenjia Wu.