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«On a gagné, mais on n’a pas gagné la légalisation qu’on aurait souhaitée et on trouve que c’est une prohibition 2.0», a lancé le chef du Bloc pot en entrevue avec Noovo Info.
Le 17 octobre 2018, le Canada devenait le premier pays du G7 à autoriser la vente et la consommation récréative de cannabis sur son territoire.
Bien que l’adoption du projet de loi C-45 du gouvernement libéral de Justin Trudeau a pu avoir l’effet d’une victoire pour certains activistes pro-cannabis, elle est loin d’être satisfaisante aux yeux du chef du Bloc pot, Daniel Blackburn.
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Le militant estime que la stigmatisation entourant la marijuana est loin d’être terminée et réclame l’abolition de certains articles de la loi à l’échelle provinciale et nationale.
C’est d’ailleurs pourquoi nous pouvons toujours apercevoir le Bloc pot parmi les 27 partis politiques autorisés par Élections Québec en vue du 3 octobre 2022.
Que revendique exactement ce parti politique fondé en 1998, quatre ans après la légalisation du cannabis?
Daniel Blackburn a livré son point de vue au Noovo.Info afin de mettre en lumière les objectifs du Bloc pot lors des prochaines élections provinciales.
«On a gagné, mais on n’a pas gagné la légalisation qu’on aurait souhaitée et on trouve que c’est une prohibition 2.0», dit le chef du Bloc pot. «Depuis 2018, on aurait eu espoir que la situation s’améliore, mais on a vu apparaitre un paquet d’enjeux qui n’existaient pas avant.»
Daniel Blackburn, chef du Bloc pot. Crédit photo: Noovo Info
L’ancien membre du Parti marijuana (Parti pro-cannabis au fédéral) estime que le Bloc pot encore pertinent en 2022, sous prétexte que «le cannabis est toujours dans le Code criminel fédéral», que les «peines ont été augmentées», tout comme les budgets de répression policière.
Selon la législation canadienne, toute personne de 18 ans et plus distribuant ou possédant plus de 30 grammes de cannabis ou détenant plus de quatre plants de cannabis est susceptible d’écoper d’un emprisonnement maximal de 14 ans.
De son côté, le gouvernement du Québec a d’ailleurs complètement interdit la possession de plants de cannabis sur son territoire, ce qui est autorisé par le gouvernement fédéral.
Sur le site web officiel du Bloc pot, le parti politique qualifie la Loi sur le cannabis de «pseudo-légalisation» réalisée par le gouvernement Trudeau.
«Et les interdictions supplémentaires imposées par la Coalition avenir Québec (CAQ) ne sont qu’un écran de fumée qui renforce la prohibition du cannabis. À bien des égards, on pourrait dire: “Plus ça change, plus c’est pareil”», peut-on lire sur la plateforme du parti.
Outre l’interdiction des plants de cannabis, le gouvernement caquiste de François Legault a repoussé l’âge minimum pour posséder et acheter du cannabis, passant de 18 à 21 ans en 2019. Une chose incompréhensible pour M. Blackburn.
«Depuis deux ans et demi, on entend beaucoup parler de santé publique. À l’époque où la CAQ a fait cet amendement à la loi, elle n’a pas écouté la santé publique, qui était contre l’augmentation de l’âge minimum à 21 ans.»
À la suite d’une recherche, plusieurs experts en santé dans la province se sont bel et bien opposés à ce que l’âge légal passe à 21 ans, eux qui estiment que cette mesure n’empêchera pas les jeunes adultes d’en consommer.
Selon M. Blackburn, le gouvernement provincial «abandonne notre tranche d’âge de 18 à 21 ans à un marché qui est non régulé», soit le marché noir.
«On sait que la consommation de cannabis commence autour de 15 ans, souligne M. Blackburn. Donc, d’augmenter l’âge minimum à 21 ans, c’est un coup d’épée dans l’eau, ça n’empêchera jamais un jeune de consommer du cannabis. Mais maintenant, il est obligé d’aller sur un marché non régulé pour s’approvisionner au lieu de l’habituer tout de suite d’aller consommer un produit régulé et légal», a déploré le chef du Bloc pot.
Des données recueillies par le ministère de la Santé et des Services sociaux indiquent que 15,2% des personnes de 15 ans et plus avaient consommé du cannabis en 2014-2015, année où le cannabis était toujours illégal au pays.
Parmi ses objectifs principaux, le Bloc pot souhaite contester la hausse de l’âge légal et le «zéro plant à domicile». Une mission qui ne sera pas de tout repos, admet M. Blackburn.
«Ça a pris 20 ans après la fondation du Bloc pot pour que ça devienne légal et ça va prendre un autre 20 ans pour avoir une règlementation qui respecte les droits des citoyens», croit l’activiste pro-cannabis depuis maintenant 22 ans.
Daniel Blackburn a comparé la loi sur le cannabis à une cage et que chaque barreau est un article de la loi.
«C’est article par article qu’il faut aller contester. Ça multiplie les recours judiciaires et le on sait que ça va prendre des années avant d’arriver à une conclusion», a-t-il déploré.
Bien que le cannabis soit légal, M. Blackburn avance que des membres de la communauté ayant des prescriptions de cannabis médical ne disposent pas d’endroits pour le consommer, alors que plusieurs propriétaires l’interdisent aux locataires. Même scénario pour certains propriétaires de condo, si les autres résidents du bloc s’y opposent.
La Loi resserrant l’encadrement du cannabis interdit à un consommateur de fumer ou de vapoter du cannabis dans les lieux publics, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs.
«Impossible pour lui de consommer dans son condo, le syndicat de condo a voté contre. Donc, pas dans son condo, pas sur le balcon, pas dans les aires communes, pas sur le trottoir, pas dans la rue, pas dans le parc. Le seul endroit qu’il lui reste, c’est assis à l’arrière de son véhicule sans les clés. C’est la seule façon qu’il a de se médicamenter.»
Selon la réglementation, une personne ne respectant pas ces règles peut être assujettie à une amende allant de 250$ à 750$.
Le Bloc pot réclame donc que la réglementation concernant la consommation de cannabis médical soit «accolée à celle du tabac».
«On compte bien, dans le cadre de la prochaine campagne électorale, sensibiliser les élus à cette problématique-là. Souvent, je me fais répondre: “Ouais, mais le pot c’est marginal comme cause”. Ben, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique, c’est environ plus d’un million de consommateurs au Québec. Donc, c’est loin d’être une cause marginale sur notre population», ajoute M. Blackburn.
Parmi les promesses électorales du Bloc pot, le parti politique s’attaque au monopole de la Société québécoise du cannabis (SQDC), seule succursale autorisée à vendre ce genre de produits en territoire québécois. Selon M. Blackburn, cette manière de faire a des impacts directs sur les micro-producteurs québécois, qui peuvent avoir de la difficulté à vendre leur produit dans la province.
«Quand vous démarrez une entreprise et que vous avez un seul acheteur pour vos produits, ça crée des problèmes. Si vous ne vous entendez pas bien avec l’acheteur, votre entreprise va fermer ou vous devrez exporter dans le reste du Canada», a-t-il expliqué.
Le chef du parti demande un élargissement des points de service dans la province et réclame que les dépanneurs soient en mesure de vendre du cannabis.
«On a 90 points de service au Québec. On a une population de neuf millions. Il y a 400 (points de service) en Ontario, 400 en Alberta, qui est la moitié de notre population. Mais eux, ils sont allés avec un modèle privé. Et Couche-Tard a des intérêts dans le cannabis et a fait des partenariats en Ontario et vend du cannabis.»
Pourquoi la chaîne de dépanneurs ne peut donc pas avoir le même privilège au Québec? C'est ce que se demande M. Blackburn.
«Couche-Tard vend déjà des produits contrôlés comme de l’alcool, de la loterie, des cigarettes et même jadis, des revues pour adultes. Est-ce qu’on pense qu’un jeune va pouvoir acheter de l’alcool en bas de 25 ans (sans se faire carter)? Non. On pense que l’entreprise a une attitude positive, qu’il ne vendra pas des produits contrôlés à des gens qui n’ont pas l’âge. Donc, en quoi ça changerait que tu puisses t’acheter du cannabis dans un dépanneur? Pourquoi il n’y aurait pas des agences comme celles de la SAQ qui sont dans les dépanneurs de régions?»
«C’est une hypocrisie, c’est une mentalité qui est très rétrograde, paternaliste envers le cannabis», fustige le politicien dans la cinquantaine.
Le Bloc pot milite pour que davantage de produits puissent être vendus dans les SQDC. La plupartdes produits comestibles tels que les jujubes, les chocolats et les biscuits ne sont pas autorisés ou contiennent un faible taux de tétrahydrocannabinol (THC). M. Blackburn mentionne que les personnes davantage tentées à consommer du cannabis via des «edibles» se tournent présentement vers le marché alternatif.
D’autres provinces canadiennes ont toutefois autorisé la vente de comestibles depuis la légalisation. Mais une étude publiée dans le New England Journal of Medicine montre une augmentation du nombre d'enfants hospitalisés pour des empoisonnements accidentels au cannabis, particulièrement en Ontario, qui a approuvé la vente de produits comestibles en janvier 2020.
Daniel Blackburn déplore toutefois que lorsqu’il s’agit d’alcool et de produits vendus à la SAQ, ce sont deux poids, deux mesures.
«Cet été, la SAQ a rempli les vitrines avec des canettes à l’ananas, des canettes de boissons alcoolisées à plein de saveurs et puis quand t’arrives à la SQDC, les vitres sont frostées. Ce qui t’accueille, c’est un garde de sécurité qui te demande, peu importe ton âge, une carte d’identité.»
«C’est stigmatisant, c’est insultant et c’est nous prendre pour des citoyens de deuxième ordre», a fustigé le chef.
Le parti pro-cannabis montre du doigt la règlementation interdisant les taux de THC dépassant les 30%, loi qui force certains produits à perdre en qualité pour être vendus, estime Daniel Blackburn, prenant le haschich en exemple.
«Le hash, c’est une extraction (de cannabis) qui peut avoir de 40% à 60% de concentration de THC. Donc, pour arriver à un taux inférieur à 30%, les entreprises sont obligées de le couper avec des résidus de plantes, soutient-il. C’est un peu aberrant qu’on soit obligés de couper un produit pour rentrer dans la règlementation quand partout ailleurs au Canada, ces produits-là sont légaux. Tu peux acheter le même hash sur un site de vente de cannabis médical de la même compagnie. Il est 44% au médical et ils sont obligés de le couper à 29,95% pour pouvoir le vendre à la SQDC. C’est aberrant.»
M. Blackburn a aussi vivement critiqué l’interdiction des vapes, car elles peuvent contenir «jusqu’à 80% de THC».
«L’augmentation du taux de THC dans le cannabis, ce n’est pas une mauvaise nouvelle, c’est une bonne nouvelle, parce que vous allez en fumer moins, a-t-il répliqué. On sait aujourd’hui que les gens sont plus près de leur santé. Fumer le cannabis comporte un certain risque au niveau pulmonaire. On a des patients, des gens qui font de l’asthme, qui ne peuvent pas se procurer, s’ils n’ont pas de prescription, une vape, parce que ça peut contenir jusqu’à 80% de THC.»
Une étude publiée dans la revue Lancet Psychiatry note toutefois que les personnes consommant du cannabis avec une plus forte concentration en THC seraient plus à risque de développer une dépendance.
«C’est comme dire: “On vend juste de la bière et on ne vend pas de Jack Daniel’s”. C’est clair que le Jack Daniel’s, à 40% d’alcool, tu le bois au shooter, tu ne le bois pas dans une bouteille à coup de 10 onces. C’est prendre les consommateurs de cannabis pour des gens sans scrupules, incultes, influençables, plus que le reste de la population», a-t-il ajouté.
Bien que la légalisation de la marijuana a été le cheval de bataille du Bloc pot pendant 20 ans, le parti politique revendique également la légalisation de la majorité des drogues afin de pouvoir distribuer un produit de qualité dans un marché régulé, à l’instar de la SQDC.
«Si on prend l’exemple des drogues dures présentement au Canada, si l’espérance de vie a reculé dans les dernières années, c’est à cause du fentanyl, affirme Daniel Blackburn. Le fentanyl se retrouve dans l’héroïne et dans la cocaïne et les gens font des overdoses accidentelles. Ce n’est pas parce qu’ils ont pris trop de coke, c’est qu’il y a du fentanyl dedans. C’est la preuve qu’un produit qui est non contrôlé, qui est criminel, a beaucoup plus de conséquences que s’il était légalisé.»
Outre la consommation de cannabis et d’autres drogues, le Bloc pot fait également la promotion du chanvre, qui avait criminalisé au même moment que le cannabis. Le chanvre peut également être utilisé en tant que matériau de construction, révèle le média Écohabitation.
Le gouvernement du Québec rappelle sur son site web qu’il est interdit à un producteur de cannabis ou à un commerçant «de vendre, de donner ou d’échanger un objet» faisant la promotion du cannabis. Par exemple, un vendeur n’a pas le droit de mettre en vente des chandails affichant une feuille de chanvre. Il est également interdit de vendre des accessoires de cannabis en ligne. Une loi incompréhensible, juge M. Blackburn.
«Amazon livre au Québec des articles de fumeurs avec des titres trompeurs et ne marque pas que c’est un article de cannabis. Partout au Canada, c’est légal. Donc, ici la réglementation ne protège pas plus la population. En quoi la population est protégée parce que je ne peux pas m’acheter un bong en ligne? C’est quoi le problème?»
Le chef du Bloc pot rappelle que la vente des articles liés au cannabis était légale au Québec lorsque le produit en lui-même ne l’était pas.
«C’est de l’argent qui sort du Québec. Je connais une chaîne d’articles de fumeurs qui a un inventaire de 30 000 à 40 000$ de chandails avec une représentation de la feuille de cannabis. Ils ne sont pas capables de les écouler», se souvient-il.
En vue des élections provinciales de 2022, le Bloc pot compte rallier autant de candidats qu’aux dernières élections de 2018, soit 29. M. Blackburn assure que, malgré la légalisation du cannabis, il y a toujours une mobilisation, mais que la communauté est en quelque sorte divisée depuis.
«Avant, on était tous sur un pied d’égalité: consommateurs, producteurs, ceux qui possédaient du cannabis, on était tous des criminels. On avait une communauté très soudée parce qu’on faisait face aux mêmes enjeux», mentionne le chef du Bloc pot, disant que 50% des consommateurs sont toujours sur le marché illégal.
L’Institut de la statistique du Québec a toutefois déclaré en 2021 que «la proportion de consommateurs s’étant procuré du cannabis auprès d’un fournisseur illégal au cours de la dernière année a significativement diminué», passant de 32 % en 2018 à 11 % en 2021.
De son côté, Daniel Blackburn sait pertinemment que les chances de voir un candidat du Bloc pot remporter une élection sont pratiquement nulles. Mais lors de cette campagne électorale, il souhaite envoyer un message aux autres partis politiques présents à l’Assemblée nationale.
«Le fait de se présenter aux élections, d’être un candidat, d’être assis du même côté que les autres partis font en sorte que l’on discute avec eux en coulisses. On présente nos arguments lors des débats, parce que nos questions sont posées en débat, et les autres candidats sont obligés d’y répondre. On les fait se prononcer sur la stigmatisation du cannabis, sur les enjeux du cannabis», raconte-t-il.
Cependant, M. Blackburn rapporte que les autres partis demeurent évasifs à ce sujet et ne veulent pas prendre position.
S’il avait l’occasion de discuter quelques instants avec le premier ministre sortant François Legault, Daniel Blackburn ne passerait pas par quatre chemins et l’encouragerait à essayer un produit de cannabis d’ici.
«François, je te présente un beau produit qui est fait à Stoneham par l’entremise de l’entreprise Fuga, qui s’appelle un Tropicana Cookie. Je t’invite à l’essayer et peut-être qu’à ce moment-là, tu vas comprendre que ce que vous avez fait avec la loi et que l’attitude que vous avez est un peu rétrograde et inutile», a lancé le chef du Bloc pot.
Selon lui, M. Legault aurait dû écouter l’avis des consommateurs de cannabis ainsi que la santé publique «au moment de modifier ces règlements» à la loi.
En vue des élections, le Bloc pot est à la recherche de financement afin d’attirer davantage de candidats, de bénévoles et de donateurs afin de poursuivre leur «mission, soit de défendre l’ensemble de l’industrie et les utilisateurs de cannabis», a conclu M. Blackburn.
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