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«On va se battre pour chacune des jobs au Canada»
Le Canada sera prêt à collaborer avec l'administration Trump quand elle sera en poste, mais avertit qu'il se défendra contre toute décision qui pourrait porter préjudice à son économie.
Invitée par le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) vendredi, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a dit avoir eu de nombreuses rencontres avec des leaders de la future administration Trump et élus tant républicains que démocrates. «Ce que j'ai vu, c'est qu'on peut collaborer, mais en même temps on doit être ferme et on doit se défendre», a-t-elle déclaré.
«On va se battre pour chacune des jobs au Canada», a-t-elle lancé devant les quelque 200 convives réunis à l'invitation du CORIM en discutant des tarifs de 25 % que le président élu menace d'imposer dès son entrée en fonction sur tous les produits venant du Canada.
Lorsque l'ex-déléguée générale du Québec à New York, Martine Hébert, lui a demandé si elle serait prête à aller jusqu'à couper l'électricité aux Américains, comme l'a proposé le premier ministre ontarien Doug Ford, Mme Joly n'a pas dit oui, mais n'a pas complètement fermé la porte non plus, se donnant beaucoup d'espace pour une éventuelle réplique à ces tarifs. «On va avoir plusieurs outils à notre disposition et on va être prêts à utiliser tous les outils à notre disposition pour défendre nos emplois», a-t-elle répondu.
«Ce n'est pas vrai que, lorsqu'on a des partenaires qui prennent des décisions qui peuvent être à notre détriment, qu'on ne réagit pas», a-t-elle insisté.
Toutefois, elle dit avoir constaté, au fil de ses nombreuses rencontres avec des décideurs politiques américains, «qu'il y a un certain malaise par rapport à l'approche des tarifs, parce qu'au final, le Canada, c'est un grand ami, c'est le meilleur ami des Américains», a-t-elle fait valoir en invoquant l'interdépendance des deux économies.
Elle se dit également confiante que le plan de resserrement de la frontière qui sera annoncé la semaine prochaine lors de la mise à jour économique de sa collègue aux Finances, Chrystia Freeland, sera bien accueilli par Donald Trump. Au point de l'apaiser? Mélanie Joly n'entretient quand même pas d'illusions, compte tenu de la personnalité du nouvel homme fort de Washington. «Il y a une imprévisibilité avec l'administration Trump. Au final, qui décide? C'est le président élu Trump.»
La ministre n'était toutefois pas venue devant le CORIM pour parler de tarifs, bien que le sujet se soit imposé durant l'échange, mais plutôt de la nouvelle politique étrangère du Canada pour l'Arctique. Dans ce dossier aussi, certes, la relation avec les États-Unis sera cruciale, cette fois pour des questions de défense, de sécurité et de souveraineté impliquant les deux pays au nord du cercle polaire.
Les règles qui gouvernent le comportement des pays et aident à maintenir la paix dans l'Arctique, mises en place après la Deuxième Guerre mondiale, ont été grandement fragilisées par l'invasion de l'Ukraine par la Russie. «Il est clair que la Russie n'a pas de limites, n'a pas de ligne rouge», a-t-elle fait valoir.
Mais ce qui a changé et qui l'inquiète au plus haut point, ce sont les modifications de l'équilibre géostratégique que cette guerre a entraînées. «Ce qui est nouveau, c'est que la Russie est de plus en plus dépendante de la Chine en raison de sa guerre en Ukraine.»
Cette dépendance, dit-elle, place la Russie dans une position de faiblesse et la force «à ouvrir une partie de son Arctique et la Chine en profite».
«Le Canada est une nation de l'Arctique qui se trouve à un moment pivot. L'Arctique n'est plus une région à faible tension. Nous vivons dans un monde difficile et notre réponse doit être beaucoup plus ferme», a-t-elle affirmé. Une part importante des nouvelles dépenses militaires de 8 milliards $ sur cinq ans destinées à l'achat de chasseurs F-35, d'autres appareils, de navires, de brise-glaces et de radars sera destinée à la défense de l'Arctique.
«On doit regarder notre politique de l'Arctique de concert avec notre politique de défense. (…) Pendant longtemps, on a pensé qu'investir en défense, il fallait le faire pour d'autres pays, mais là, on le fait pour nous. Et on investit où? On investit en Arctique.»
Les ambitions chinoises sont directement reliées à ce mouvement d'autodéfense du Nord. «Ça fait longtemps que la Chine veut s'établir comme un pays de l'Arctique et veut utiliser les voies maritimes les plus courtes. On doit s'assurer dans ce contexte de protéger le passage du Nord-Ouest, de pouvoir nous protéger nous-mêmes», a insisté la ministre.
C'est pour cette raison, notamment, que le Canada a conclu en novembre dernier avec les États-Unis et la Finlande le ICE Pact (Pacte de collaboration sur les brise-glaces). «On a beaucoup de retard à rattraper quand on constate le nombre de brise-glaces que produisent présentement la Russie et la Chine.»
Même si elle est confrontée à ces questions extrêmement sérieuses, Mélanie Joly ne perd pas son sens de l'humour. Au moment d'amorcer l'entrevue sur scène après son discours, quand Martine Hébert l'a remerciée avec le sourire d'avoir parlé du Canada et des États-Unis et non des 51 États américains, Mme Joly a répliqué du tac au tac: «Ce que j'ai dit à la blague aussi, surtout à mes amis sénateurs républicains, c'est que Fort Lauderdale pourrait être la 11e province du Canada, il n'y a aucun problème.»