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En tant que parent, à quoi vous attendre si vous devez vous soumettre au processus d’intervention de la Direction de la protection de la jeunesse ?
Les parents qui voient la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) débarquer dans leur vie peuvent rapidement être dépassés par les événements et les dédales administratifs que la situation comporte. Se faire soupçonner d’avoir maltraité son enfant alors qu’il n’en est rien est assurément un cauchemar, certes long, mais non sans issue.
« Si on n’a rien fait de mal, ça devrait se régler assez vite », se disent les parents qui peuvent montrer patte blanche. Erreur. Que peuvent faire ceux qui n’ont rien à se reprocher pour évacuer rapidement la DPJ de leur vie? « Rien», répond l’avocate spécialisée en droit de la jeunesse et de la famille Me Valérie Assouline, du cabinet SOS Avocats. « Je leur dis d’être patients. »
DOSSIER DANS LES LIMBES DE LA DPJ :
On entend souvent parler des « enfants de la DPJ » une fois que les mesures de protection sont appliquées - tel un placement en famille d’accueil jusqu’à la majorité, par exemple. Mais, avant d’en arriver à une décision formelle, les parties doivent traverser différentes étapes qui peuvent s’échelonner sur plusieurs mois, voire plus d’un an.
Me Marie-France Ouimet est avocate spécialisée en protection de la jeunesse au cabinet Goldwater Dubé. Son premier conseil : « Collaborez avec la DPJ, premièrement », ce qui est « totalement aux antipodes des conseils [qu’elle] donne à un client en droit criminel ».
« Au criminel, rien de ce que vous pouvez dire ne va vous aider. Sa job, au policier, c’est de récolter de la preuve contre vous », met en parallèle la professionnelle, qui suggère dans un deuxième temps de consulter un avocat dès que possible.
« Quand j’ai des clients qui arrivent dans mon bureau et que ça fait déjà un an que la DPJ est dans leur vie, c’est beaucoup plus difficile à récupérer comme situation. S’ils ne sont pas représentés, qu’ils ne sont pas bien avisés, qu’ils sont réfractaires, méfiants, qu’ils ne collaborent pas, ça peut prendre beaucoup, beaucoup plus de temps, parce que la DPJ n’arrivera pas à faire son travail correctement. »
À partir du moment où un signalement est fait auprès de la DPJ, trois principales étapes s’enchaînent avant d’en arriver à l’imposition de mesures de protection de l’enfant : la réception et le traitement du signalement, l’évaluation de la situation de l’enfant, et l’orientation, après laquelle des mesures de protection sont mises en place ou non. Entre chacune de ces étapes, les familles doivent s’attendre à des délais.
Pour dresser un portrait global de la situation, Noovo Info a recueilli les données des trois dernières années auprès des CISSS et CIUSSS des différentes régions et a fait la moyenne des délais en nombre de jours pour chacune des étapes.
À partir du moment où une personne fait un signalement à la DPJ, un intervenant est attitré au dossier et doit décider si le signalement est retenu ou non. En 2020-2021, la DPJ a traité près de 118 000 signalements et en a évacué 62 % après une analyse superficielle de la situation; ainsi 44 000 dossiers ont été retenus et relégués à l’étape suivante, soit celle de l’évaluation.
À cette étape, la DPJ sonde l’entourage de l’enfant et évalue si sa sécurité est en danger ou non. Si elle juge que c’est le cas, le dossier passe à l’étape de l’orientation. C’est à ce moment que les parties conviennent des mesures à mettre en place. S’il y a mésentente, le recours au tribunal est nécessaire. Les mesures de protection sont ensuite imposées à la famille et la situation est révisée selon des délais variables.
« Le délai générique, après une demande en protection, c’est un an, explique Me Ouimet. Mais il y a tellement d’éléments propres à chaque dossier, que ça dépend. Et à chaque étape, ça peut s’arrêter. C’est pour ça aussi qu’il y a un juge impartial pour voir si la DPJ a bien fait son travail, dans les délais, et si la famille a besoin d’être accompagnée davantage. »
Avant de représenter les parents aux prises avec la DPJ, Me Ouimet a été avocate pour la DPJ Laval. Elle connaît le système des deux côtés et reconnaît qu’il est loin d’être parfait et que les parents ne se battent pas toujours à armes égales.
« Les parents n’ont pas les mêmes moyens que la DPJ, ils n’ont pas accès aux mêmes informations que la DPJ. Si la DPJ veut aller parler aux professeurs, aux médecins, avoir les rapports, elle n’a pas dix mille autorisations à aller demander. C’est l’organisme en charge de la protection des enfants au Québec, donc elle a beaucoup, beaucoup de pouvoir. Alors que les parents, pour avoir accès aux mêmes informations, si tu ne vas pas faire une thérapie privée, si tu ne vas pas chercher une expertise privée, si tu ne demandes pas au professeur ou au directeur d’avoir une lettre pour le témoignage, en tant que tel c’est plus difficile démontrer ton côté de l’histoire. »
Me Valérie Assouline est avocate spécialisée en droit de la jeunesse et de la famille. Elle estime que les parents devraient avoir droit à des services pour assurer leur défense.
« Ces parents-là doivent payer pour les contre-expertises, et c’est cher! J’aimerais que le système puisse offrir des contre-expertises rapidement, pour qu’on puisse évaluer psychologiquement les parents, par exemple.
Les délais, les frais de cour, les frais d’avocat, les frais des experts, des expertises, c’est fou ce que vivent ces parents-là. Il y en a qui perdent leur bébé, parce qu’il y en a qui n’ont pas les moyens de faire ça », relate-t-elle.