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Le ressac contre les programmes de diversité et de développement durable aux États-Unis risque de faire des vagues jusqu’au Québec. De nombreux dirigeants et entrepreneurs pourraient ajuster leur stratégie en conséquence.
De nombreuses sociétés américaines ont annoncé qu’elles révisaient leur approche en matière de diversité et de durabilité dans la foulée de l’élection de Donald Trump, d’un jugement récent de la Cour suprême des États-Unis contre la discrimination positive et d’interventions d’investisseurs activistes conservateurs.
Les milieux des affaires québécois ne sont pas isolés de cette tendance, constate la présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), Véronique Proulx, en entrevue. «Est-ce que ça va être généralisé? Va falloir voir avec le temps, mais c'est sûr, on l'entend déjà-là (que des entreprises révisent leur approche)», raconte-t-elle.
Si les entreprises américaines abaissent leurs critères de durabilité ou de diversité, leurs fournisseurs québécois vont inévitablement ajuster leur stratégie en conséquence, explique-t-elle.
«Si on arrive du côté américain, ce n'est pas une exigence, ce n'est pas une demande et la majorité de tes clients sont aux États-Unis, tu vas peut-être choisir de ne pas poursuivre dans cet élan-là ou de ne pas investir là-dedans. (…) Pas que ce n’est pas important, mais c’est une des nombreuses priorités.»
Au Canada, le volet environnemental est plus à risque que celui de la diversité, croit Michel Séguin, professeur à l’UQAM.
Si les attentes des gouvernements et des clients diminuent en matière d’environnement, les entreprises qui en font moins auront un avantage concurrentiel, puisque leurs coûts seront moins élevés, explique le spécialiste de la gouvernance et de l’éthique en entreprise.
«La minute que tu as un mouvement de resquilleurs (personnes qui se défilent), bien ça décourage ceux qui respectent les normes», souligne-t-il.
C’est pourquoi le gouvernement doit réglementer pour pousser les entreprises à lutter contre les changements climatiques, juge M. Séguin. «Si on veut faire en sorte de contrôler le réchauffement climatique et de ne pas causer davantage de dommages, il faut s'y mettre et qu'on applique tous les règles.»
Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a d’ailleurs indiqué, en mêlée de presse mardi, que le Plan pour une économie verte, qui doit être mis à jour dans les prochains mois, tiendra compte du contexte politique au sud de la frontière.
«Nous, on ne veut pas pénaliser l'économie québécoise. Donc, si jamais il devait y avoir des tarifs importants imposés aux entreprises, aux industries québécoises, on ne viendra pas en rajouter une couche avec des contraintes environnementales supplémentaires.»
Lorsque le contexte économique est plus morose, les entreprises ont parfois moins d’appétit pour la responsabilité sociale, note la professeure adjointe à HEC Montréal, Celia Chui, spécialiste de l’éthique en entreprise.
«Quand ça va bien, quand l'économie se porte bien, je pense que les gens sont plus favorables à la durabilité et à la diversité. Elles sont perçues comme de bonnes choses qui peuvent aider une entreprise à créer de la valeur. (…) En période plus difficile, les entreprises ont plus de préoccupation quant à leur rentabilité.»
La même chose peut être dite pour les consommateurs qui se préoccupent de l’augmentation du coût de la vie et de la sécurité de leur emploi, ajoute-t-elle.
Les entreprises ne pourront pas se détourner bien longtemps de cette question, prévient-elle. «L'environnement n'attend pas que nous soyons prêts. On le voit avec les feux de forêt, les sécheresses un peu partout dans le monde. (...) Ce n'est pas possible, je pense, pour les entreprises de l'ignorer. Sinon, il ne restera plus de ressources pour créer de la valeur.»
Pour sa part, Rosalie Vendette, directrice chez Quinn et associés, une firme spécialisée en finance durable et en investissement responsable, ne croit pas que les entreprises canadiennes et québécoises vont se dégager de leurs objectifs environnementaux.
«Nous, ce qu'on voit, au contraire, sur le plan environnemental, c'est une augmentation de l'action qui est prise par les entreprises compte tenu des obligations de divulgation que l'on voit un peu partout dans le monde.»
Elle souligne que l’Europe continue d’avoir des normes plus strictes et que les entreprises canadiennes doivent satisfaire ces exigences pour rester concurrentielles dans le marché.
M. Séguin pense que les efforts des entreprises en matière de diversité seraient à l’abri du mouvement de rejet au sud de la frontière. «C'est quelque chose qui est positif pour l'organisation, même si les autres ne le font pas.»
Les politiques en matière de diversité et d’inclusion permettent aux entreprises d’embaucher les meilleurs talents, ajoute-t-il. «Si elle peut aller chercher la meilleure ressource, peu importe sa couleur, son genre, son orientation sexuelle, sa religion ou quoi que ce soit, ça peut permettre à l'organisation d'être plus performante et plus efficace.»
Mme Vendette abonde dans le même sens. «Il y a vraiment une quantité importante de recherches académiques qui démontrent tous les bienfaits de la diversité.»
Le contexte législatif est également différent au Canada, souligne l’experte en finance durable.
Le jugement de la Cour suprême des États-Unis contre la discrimination positive dans les universités, en juin 2023, a incité les entreprises américaines à revoir leurs pratiques afin d’éviter d’éventuelles poursuites, souligne-t-elle.
«Les entreprises se font conseiller par leurs avocats d'agir avec prudence parce qu'en fait, elles pourraient être la cible de poursuites en justice par différents groupes.»
Les sensibilités culturelles sont différentes au sujet de la diversité au Canada, croit Mme Vendette. Elle souligne également l’importance de la réconciliation avec les Premières Nations.
«Ça va devenir de plus en plus une condition pour faire des affaires dans certains milieux, avec certaines communautés. Donc, ça, c'est important pour les compagnies canadiennes, c'est à ne pas négliger.»