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Environ 90 % des terres de Singapour appartiennent à l'État et environ 70 % des logements sont construits par le gouvernement.
L'urbaniste Louisa-May Khoo dit avoir eu un sentiment de déjà-vu lorsque le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, a annoncé le programme de logement BC Builds au début de l'année.
Mme Khoo, chercheuse publique à l'Université de la Colombie-Britannique, a travaillé dans le secteur de la planification et du développement à Singapour à partir de 1996 avant d'arriver à Vancouver en 2018.
Lorsque M. Eby a dévoilé BC Builds en février, Khoo a expliqué que de nombreuses philosophies singapouriennes étaient immédiatement reconnaissables dans le programme provincial, jusqu'aux points de pourcentage exacts dans un cas.
«BC Builds a fixé ses loyers à 30 % du revenu des ménages, par exemple, et c'est quelque chose que le Singapore Housing and Development Board a toujours respecté», a affirmé Mme Khoo.
«Le plan économique StrongerBC préconise également une planification beaucoup plus en amont, ce que Singapour fait depuis longtemps. Certaines des réglementations et des propositions que j'ai vues en termes de plan de logement sont très inspirées (par Singapour).»
Le modèle de logement de Singapour, dans lequel le gouvernement joue un rôle prépondérant dans la propriété foncière, le développement immobilier, le financement et d'autres aspects connexes de la société, a été présenté à de nombreuses reprises par d'autres personnes telles que Mme Eby comme une voie vers l'accessibilité financière au Canada.
Mais l'idée n'est pas exempte de critiques, en particulier lorsqu'une grande partie de la politique n'est pas applicable à l'environnement social canadien.
Le programme BC Builds vise à utiliser des terrains appartenant au gouvernement, à des communautés et à des organisations à but non lucratif, ainsi qu'un financement à faible coût de 2 milliards de dollars pour construire des logements destinés aux personnes à revenus moyens.
M. Eby a dit que le programme de la Colombie-Britannique s'inspirerait davantage de Singapour.
«Nous commençons par les logements locatifs», a indiqué M. Eby lors de l'annonce du programme BC Builds en février. «Nous allons également nous intéresser aux logements destinés à l'achat. C'est un modèle qui a été utilisé à Singapour, à Vienne...Nous savons qu'il fonctionne, et nous le reprenons et l'étendons de façon spectaculaire.»
Selon Sock Yong Phang, professeure d'économie à l'université de gestion de Singapour, il sera toutefois difficile d'adopter le modèle singapourien dans son intégralité.
Cette chercheuse basée à Singapour, qui a coécrit un rapport de 2016 de l'Institut de la Banque asiatique de développement sur les politiques de logement du pays, a mentionné qu'une grande partie de l'approche unique du pays en matière de logement était le fruit de la nécessité.
L'adaptation complète à un environnement différent s'avérera donc difficile, a-t-elle souligné.
Singapour est confrontée à un problème aigu de pénurie de terrains, soutient Mme Phang. «Il s'agit donc d'un cadre holistique de planification et d'attribution de l'utilisation des terres, de fourniture de logements, de financement du logement et de régulation de la demande de logements afin de garantir l'accès à la propriété à un prix abordable.»
«Ce cadre dans son intégralité sera difficile à reproduire dans un autre contexte.»
Singapour, souvent décrite comme une cité-État, abrite la plupart de ses 5,9 millions d'habitants sur une île principale d'une superficie totale de 730 kilomètres carrés. Cette superficie est inférieure à celle de chacune des 15 régions métropolitaines de recensement les plus peuplées du Canada, la plus proche étant celle d'Oshawa (Ontario), avec 903 kilomètres carrés.
Le manque de terres a été aggravé par un manque équivalent de logements adéquats lorsque Singapour a obtenu son autonomie de la Grande-Bretagne en 1959.
Mme Phang écrit dans son rapport que moins de 9 % de la population vivait dans des logements sociaux à l'époque, «la majorité vivant dans des appartements surpeuplés d'avant-guerre à loyer contrôlé, sans accès à l'eau ni à des installations sanitaires modernes», tandis que «d'autres étaient confrontés à des conditions de logement comparables aux bidonvilles d'aujourd'hui».
Cette situation a conduit à la création de l'Office du logement et du développement, chargé de construire et de vendre des logements sociaux, ainsi qu'à l'adoption de lois donnant au gouvernement des pouvoirs étendus pour acquérir des terres en vue de les redistribuer pour «tout objectif public».
En conséquence, Mme Phang a indiqué qu'environ 90 % des terres de Singapour appartiennent désormais à l'État, qu'environ 70 % de tous les logements sont construits par le gouvernement par l'intermédiaire du conseil de développement et que les citoyens sont tenus d'épargner en vue de leur retraite par l'intermédiaire d'un fonds central qui peut être utilisé pour acheter des logements sociaux.
Le «système étroitement intégré d'offre et de financement de logements» décrit par Mme Phang dans le rapport a permis à Singapour d'atteindre un taux d'accession à la propriété de 90 % depuis 1990.
«Ce qu'il faut garder à l'esprit lorsque l'on pense à Singapour, c'est qu'il s'agit d'une cité-État, c'est-à-dire que toute la population est regroupée dans une grande étendue urbaine», a précisé Kai Ostwald, directeur de l'Institut de recherche asiatique de l'université de Colombie-Britannique, qui a vécu à Singapour.
«En pratique, cela signifie que le type de politiques et d'interventions que le gouvernement de Singapour peut mettre en œuvre est pratiquement impossible à reproduire dans d'autres contextes. Au mieux, je pense que certains éléments de l'approche adoptée par Singapour en matière de logement public peuvent être adaptés à d'autres contextes.»
Pour Mme Khoo, l'un des aspects de l'approche de Singapour en matière de logement qui pourrait être reproduit au Canada est une approche plus globale de la planification urbaine pour les décennies à venir.
«Non seulement nous disposons d'un plan à long terme qui nous permet de dire ‘’OK, dans 40 ans, quelle sera l'orientation du pays’’, mais nous déclinons ensuite ce plan en plusieurs étapes. Nous décomposons ensuite ce plan en phase de développement appelé plan directeur, de sorte que pour chaque site ou chaque quartier, la planification devient beaucoup plus spécifique», a élaboré M. Khoo à propos du modèle singapourien.
«Il ne s'agit pas seulement des logements, mais aussi des infrastructures qui les accompagnent», a-t-elle ajouté. «Ainsi, les magasins, les commerces... (le conseil) est en fait responsable du plan directeur de la ville.»
Selon Mme Ostwald, les logements de Singapour sont également conçus pour créer une interaction entre les résidents.
«Lorsque vous êtes en bas dans les parties communes, vous êtes également susceptible de rencontrer des voisins. Cela permet de se familiariser avec l'environnement d'une manière que beaucoup de logements à Vancouver ne permettent pas.»
Il précise qu'il a vécu dans différents logements sociaux à Singapour au cours des 25 dernières années, «et dans presque tous les cas, au bout de quelques semaines [il] connaissait assez bien [ses] voisins. Et cela tient à la façon dont les logements sont aménagés».
L'écrivain et activiste singapourienne Kirsten Han, qui dirige l’infolettre We The Citizens, qui analyse la situation des droits de l'homme dans le pays, a déclaré que la politique de logement de Singapour peut être considérée comme une extension de sa vision plus large de la société, et que la planification s'étend à l'ingénierie sociale, ce qui peut être difficile à accepter pour les Canadiens.
Par exemple, Mme Han a indiqué qu'en plus des règles d'éligibilité limitant l'achat de logements publics aux citoyens ou aux résidents permanents, le conseil de développement a également une politique d'intégration ethnique et des quotas qui contrôlent le mélange éthique dans une communauté - jusqu'au «niveau de l'îlot et du quartier».
«Le quota racial a été très largement salué à l'étranger comme ‘’Oh, c'est ainsi que Singapour gère le racisme et construit une société multiraciale’’», a expliqué Mme Han. «Mais si vous parlez aux minorités ethniques de Singapour, elles vous diront aussi qu'il leur est en fait plus difficile de vendre leurs appartements.»
«Un Indien ne peut vendre à un Indien que si le quota est atteint», a-t-elle ajouté.
Selon Mme Han, il y a aussi le problème de la main-d'œuvre nécessaire à la construction des projets immobiliers, qui, dans le cas de Singapour, provient souvent de travailleurs immigrés étrangers.
D’après elle, si Singapour dépend fortement de ces travailleurs pour fournir de la main-d'œuvre, ils sont souvent logés dans des dortoirs séparés des autres communautés, ce qui crée un problème social important qui fait également partie du modèle de logement du pays.
«Les travailleurs migrants sont considérés comme des personnes qui ne sont là que pour travailler et qui, de surcroît, sont jetables», explique-t-elle. «Il s'agit donc d'un type de relation très exploiteur.»
Mais elle ajoute que le traitement des travailleurs ne semble pas susciter suffisamment d'indignation pour que le gouvernement procède à des changements.
En 2020, l'Organisation internationale du travail a déclaré que Singapour comptait plus de 1,4 million de travailleurs migrants, essentiels pour la construction et le travail domestique, et que ce nombre représentait 38 % de la main-d'œuvre du pays.
Mme Khoo a convenu d’avoir entendu les critiques formulées à l'encontre du modèle de logement de Singapour, mais cela n'enlève rien au fait que la politique a largement atteint ses objectifs : offrir aux citoyens la possibilité d'accéder à la propriété à un prix abordable.
«Je suis convaincue que Singapour a fait du bon travail en matière de logement», a-t-elle insisté. «C'est certainement un exemple à suivre pour les autres villes qui souhaitent s'en inspirer.»
Mme Khoo a également déclaré que les critiques ne pouvaient pas ignorer la complexité de l'approche de Singapour et que les experts passaient des décennies à peaufiner chaque aspect de la société pour l'aligner sur la politique du logement.
«Les gens m'ont dit : ‘’vous donnez l'impression que c'est si facile’’. Mais il ne s'agit pas d'un simple claquement de doigts. Il s'agit en fait d'une diligence obstinée et d'une attitude de ne jamais se laisser abattre pour résoudre chaque problème, petit ou grand, et trouver des moyens créatifs de le contourner afin d'obtenir ce que nous voyons aujourd'hui.»